France Alzheimer : pour une réforme adaptée aux besoins des familles (partie 5)

L’association France Alzheimer vient de publier un manifeste intitulé « Mobilisation pour une réforme adaptée aux besoins concrets des familles ». Interviews, regards croisés, témoignages, et bien sûr, contributions de France Alzheimer…





Interview d’expert

Federico Palermiti, Juriste spécialiste des droits des personnes vulnérables et des politiques publiques européennes dédiées au vieillissement et à la maladie d’Alzheimer (Monaco)
 
Quelles sont les conséquences du recours sur succession ?

Les personnes âgées peuvent bénéficier, sous condition de ressources, de certaines aides à caractère social, en institution ou à domicile. Ces prestations sont destinées à aider les personnes les plus démunies. Des recours existent pour permettre aux organismes qui les versent de procéder au recouvrement des sommes versées.
 
L’existence d’un tel recours se justifie par le principe de subsidiarité de l’aide sociale versée à titre d’avance par la collectivité publique qui ne s’applique que lorsque le bénéficiaire ou sa famille ne peut pas subvenir aux dépenses concernées.
 
Ces allocations peuvent alors, dans des conditions précises fixées par la loi, être remboursées soit par le bénéficiaire lui-même, si sa situation financière s’améliore, soit après son décès par les héritiers, les légataires ou encore les donataires. Toutefois le recours sur succession n’est pas systématique : c’est une faculté et non une obligation. Une contestation est d’ailleurs toujours possible devant les juridictions compétentes de l’action sociale. En pratique, notons que chaque collectivité locale peut appliquer avec plus ou moins de souplesse ces procédures. Les situations peuvent donc être inégales d’un territoire à un autre.
 
Les sommes en jeu vous paraissent-elles nécessiter l’application d’une telle mesure ?

Les sommes en jeu, bien que de plus en plus lourdes pour les budgets des collectivités locales, ne me semblent toutefois pas répondre au défi sociétal et humain que représente le financement global de la perte d’autonomie. Ce chantier national tant attendu mérite, à mon sens, davantage d’audace qu’un saupoudrage de réponses techniques, qui plus est lorsque ces dernières impactent directement les personnes concernées et leur entourage. C’est notre vision même de la solidarité et du modèle économique correspondant qui sont questionnées dans ce débat.
 
Le recours sur succession risque-t-il d’entraîner un effet d’évincement des bénéficiaires potentiels de l’APA ?

En effet, l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) n’est pas de même nature. Il s’agit d’une prestation universelle qui n’intervient pas à titre subsidiaire par rapport à la solidarité familiale. Par ailleurs, c’est moins le niveau de seuil de mise en recouvrement que l’existence même d’une telle procédure qui est ambiguë. C’est avant tout une question d’éthique et d’équité envers les personnes en perte d’autonomie et leurs familles. Dès lors, on comprend facilement qu’un tel mécanisme peut décourager les personnes concernées à demander le bénéfice de la prestation : au lieu de prendre le risque de voir le patrimoine à léguer amputé, certains bénéficiaires potentiels peuvent préférer tout simplement renoncer à l’aide.
 
Souvenons-nous des enseignements tirés de la Prestation Spécifique Dépendance qui a précédé l’APA. Cela reviendrait en quelque sorte à ne pas reconnaître la valeur et l’engagement de la famille dans l’accompagnement de son proche. C’est également risquer de priver les personnes âgées d’une aide qui tend à soulager des familles bien souvent déjà asphyxiées par une prise en charge coûteuse. Rappelons enfin que l’APA a in fine vocation à freiner l’évolution vers une “dépendance” plus lourde. Le renoncement à cette aide est susceptible d’entraîner des retards de prises en charge souvent irrémédiables avec des conséquences humaines et économiques bien plus dramatiques. N’y aurait-il pas là une certaine contradiction avec l’ensemble des stratégies actuellement mises en oeuvre en matière de prévention de la fragilité des personnes âgées ?

Contribution 3 : diminuer le reste à charge à domicile

Dans quel contexte ? La prise en soin et l’accompagnement d’une personne en situation de perte d’autonomie vivant à domicile, entraînent pour les familles des coûts extrêmement élevés, dépassant bien souvent leurs capacités financières. Pour aider au financement de ces charges, les personnes âgées dites “dépendantes” peuvent bénéficier de l’APA, une prestation universelle qui, à ce titre, est ouverte à toutes les personnes âgées de plus de 60 ans en situation de perte d’autonomie.
 
Dans ce cadre, un plan d’aide, défini en fonction de l’évaluation de sa situation et de ses besoins ainsi que de son environnement social et familial, est attribué au demandeur. Toutefois, ce plan d’aide ne peut excéder des plafonds nationaux modulés en fonction du GIR du bénéficiaire, c’est-à-dire de son niveau de dépendance. Le montant de l’APA est donc égal au montant du plan d’aide, diminué d’une participation éventuelle laissée à la charge du bénéficiaire, qu’on appelle le ticket modérateur, calculé en fonction des ressources de ce dernier.
 
Dans bon nombre de cas, le montant de l’APA, insuffisant, ne permet pas de couvrir l’intégralité des besoins d’aide des personnes en situation de perte d’autonomie et de leur famille, notamment en raison du plafonnement des plans d’aide. En conséquence, les familles ont à supporter un reste à charge (c’est-à-dire l’ensemble des coûts qui restent à leur charge toutes aides déduites) très important qui s’établit en moyenne autour de 1000 € par mois.
 
France Alzheimer appelle à une diminution du reste à charge des familles de personnes en situation de perte d’autonomie vivant à domicile, via une augmentation des plafonds de l’APA. Lors de sa campagne présidentielle en 2012, François Hollande s’y était explicitement engagé. France Alzheimer demande donc que le président de la République honore cet engagement en l’intégrant à la loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société au vieillissement.

Témoignages : la retraite ne suffit pas à financer le reste à charge

Le mari de Mme B. est atteint d’une dégénérescence fronto-temporale. Le diagnostic a été posé en 1999. Mme B. assure son rôle à temps plein depuis 14 ans. Son époux est aujourd’hui en GIR 1. La perte progressive d’autonomie du mari a contraint le couple à déménager.

De nombreux aménagements ont été réalisés au sein du nouvel appartement afin de pallier les difficultés de M. B. (siège de douche, rehausseur des toilettes etc.) pour un coût total de 4806 €. Le véhicule du couple a également été aménagé pour un coût total de 4431 € (dont 936 € pris en charge par l’APA). Le couple a recours à deux aides ménagères par jour (une le soir qui leur coûte 209 € par mois et une le matin qui leur coûte 150 € par mois). L’accueil de jour leur revient à 295,20 € par mois (848,10 € moins les 552,90 € de l’APA).

Par ailleurs, d’autres dépenses viennent diminuer les ressources du couple : podologue (15 € par mois), protections pour incontinence (90 € par mois), produits pour gélifier les aliments (57,40 € par mois). Au total, en prenant en compte le caractère déductible du montant de l’aide-ménagère, il leur reste à charge 969,80 € par mois. Toutes les ressources du couple sont  mobilisées pour faire face à la maladie.

Source : Association France Alzheimer et maladies apparentées.
 
En 1971, François F. et son épouse avaient un coup de coeur pour une meulière pleine de charme. 43 ans plus tard, cette meulière est devenue la “maison familiale.” “Nos trois enfants y sont nés et y ont grandi. C’est notre maison. Elle fait partie de notre histoire personnelle”, justifie François F. C’est également en 1971 que Daniel G. et son épouse Fabienne, ont acquis leur maison. Eux aussi nourrissaient le doux rêve d’y terminer leurs vieux jours. C’était sans compter sur la maladie d’Alzheimer diagnostiquée chez Fabienne en 2000 et dont les conséquences se sont progressivement fait sentir sur les finances du couple. Leur reste à charge s’élève à 1100 € par mois.

“La maladie évoluant toujours plus, depuis trois ans nous travaillons à un entrée en institution qui se fera dans les prochains jours. Cela me coutera près de 2200 € par mois, une somme bien au-delà de nos revenus”, se désole-t-il. C’est ce calcul et un reste à charge en constante augmentation depuis quatorze ans qui a poussé Daniel G. à vendre le pavillon familial il y a deux ans ! Daniel G. ne souhaitant pas solliciter l’aide financière de sa fille qui, “a également les charges de sa propre famille à assumer”, justifie-t-il.

“C’était la prise en soin de ma femme ou ma maison. Même si nous avions toujours imaginé transmettre notre maison à notre fille”, regrette-t-il. Le produit de la vente lui a permis de s’acheter un appartement plus modeste mais lui permettra surtout d’honorer la facture mensuelle de l’établissement.
 
Source : Association France Alzheimer et maladies apparentées.

Article publié le 26/02/2014 à 06:00 | Lu 472 fois




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