Sous le figuier : hymne à la vie avec Gisèle Casadesus (film)

Sous le figuier, le dernier film d’Anne-Marie Etienne vient de sortir sur les écrans français. Le sujet ? Nathalie, Christophe et Joëlle sont en pleine crise existentielle. Ils vont se retrouver réunis autour de Selma, 95 printemps et gravement malade, pour passer des vacances d’été mémorables au bord de la Moselle où ils comprendront que celle qu’ils pensaient aider à mourir, va les aider à vivre.






 

Interview d’Anne-Marie Etienne

Avec « Sous le figuier », vous signez un véritable hymne à la vie.

Oui, un petit hymne à la vie en parlant de la mort. C’était en tout cas mon ambition : dire qu’il est possible de bien finir son existence, que la vieillesse n’est pas fatalement un naufrage. C’est ce que j’appelle la « reliance ».
 
Selma, la vieille dame de « Sous le figuier », qu’interprète Gisèle Casadesus, est un modèle du genre.

Jusqu’à la dernière minute, elle est complètement dans la vie, « reliée » et entourée. Elle garde les yeux grands ouverts. C’est important de bien vieillir : il est relativement courant d’avoir une jeunesse flamboyante et une maturité qui s’installe bien ; vieillir est plus compliqué. Cela dépend bien sûr de la façon dont on a vécu -et le film le dit un peu en filigrane. Cela repose surtout sur l’ouverture aux autres. Sans elle, même avec une très belle maison, même avec de l’argent, une vie intérieure et intellectuelle riche, la vieillesse, c’est la solitude ; la pire chose au monde.
 
« Sous le figuier » est aussi un film sur la transmission. C’est en accompagnant les derniers jours de la vielle dame que Christophe, Nathalie et Joëlle (qu’interprètent Jonathan Zaccaï, Anne Consigny et Marie Kremer), jusque-là plutôt mal dans leur peau, réussissent à se trouver.

Oui. Le pitch du film pourrait être : « Ils pensaient l’aider à partir ; elle va les aider à vivre. ». Jonathan, Nathalie et Joëlle ont tous les trois perdu de vu leurs priorités, ils vivent à toute allure. Jonathan s’épuise entre son boulot, ses trois filles à élever, et la quête de l’âme soeur. Nathalie met toute son énergie à lutter contre un patron qui veut imposer la nouvelle cuisine dans son restaurant et, après plusieurs échecs amoureux, par peur de souffrir, ne veut plus prendre le risque d’aimer à nouveau. Quant à Joëlle, plutôt que de s’intéresser aux siens, elle préfère aller visiter des petits vieux dans les maisons de retraite, quitte à oublier sa fille chez le boucher. Aucun n’a le temps de se poser les questions essentielles : de quoi ai-je vraiment besoin ? Qu’est-ce qui est vraiment important dans ma vie ? Mais pour y parvenir, il faut savoir s’arrêter un peu. Et c’est ce que Selma leur enseigne : apprendre à se poser et à regarder. Il y a quand même une forme de solitude très particulière à l’époque. Les solutions de fuite sont innombrables : on peut vraiment se mettre entre parenthèses du matin au soir et ne jamais avoir de moment de reliance avec soi-même.
 
Il est frappant de voir qu’aucun des personnages de « Sous le figuier » n’est uni par un lien familial : ils se sont choisis.

Il était important pour moi que Selma, dont on devine qu’elle a eu une vie de couple magnifique mais qui n’a pas d’enfant, donc plus de famille, ait réussi à s’en faire une. Je crois beaucoup aux familles qu’on se choisit –il y a tellement de gens qui ne voient plus leurs enfants et d’enfants qui ne voient plus leurs parents ! Le lien le plus solidaire n’est pas toujours celui du sang même s’il arrive parfois, qu’on se re-choisisse. Ma fille m’a dit un jour : » Si je te rencontrais, j’aimerais que tu sois ma maman ». C’est merveilleux !
 
Ce n’est pas le cas de celle du personnage de Nathalie, que joue Anne Consigny.

On comprend qu’elle n’a guère eu de temps pour elle. Elle dit : « Pendant des années, je n’ai vu ma fille qu’en pyjama le matin. » Entre elles, le lien est trop ténu pour que son départ pour Shanghai ne soit pas lourd de conséquences.
 
Il y a un caractère incroyablement tactile dans la relation qui unit Selma à ses jeunes amis ; presque sensuel.


Ma mère me disait souvent : « Ce qui est très dur, quand on est âgé, c’est que plus personne ne vous prend dans ses bras. » Aux yeux des autres, vous n’êtes plus un être désirant, vous n’êtes plus dans la séduction. C’est pour cette raison qu’il me semblait capital que le personnage de Christophe ne se comporte pas avec Selma comme avec une vieille dame. Il la complimente, s’enquiert de ses désirs, lui offre un chapeau, la prend dans ses bras. Quand nous tournions, je disais à Jonathan : « Fais comme si Selma avait trente ans… » Je pensais à cette phrase de Cyrano de Bergerac qui m’a toujours beaucoup émue: « Grâce à vous, dit-il à Roxane, une robe sera passée dans ma vie. » Grâce à Jonathan, un homme sera de nouveau passé dans celle de Selma. Ce n’est pas parce qu’on a 80 ans qu’on n’éprouve plus le besoin de poser sa tête sur l’épaule d’un homme. C’était vraiment une chance d’avoir Gisèle Casadesus sur le plateau : malgré ses 98 ans – elle en avait 97 lorsque nous tournions-, elle est restée si féminine et séduisante qu’il n’est pas difficile d’imaginer qu’un homme lui fasse des compliments. Elle est vraiment la lumière dont j’avais besoin pour le film. Or, la lumière ne se joue pas : on l’a ou on ne l’a pas.
 
Pensiez-vous déjà à elle lorsque vous écriviez le scénario ?

Non, C’est toujours une fois l’étape de l’écriture terminée que je commence à me poser la question des acteurs. Mais dès qu’il s’est agi de choisir Selma, j’ai repensé à « La Tête en friche », de Jean Becker, et il était évident que Gisèle s’imposait pour le rôle. Sans elle, je n’aurais pas pu atteindre un tel niveau de luminosité. Je lui ai envoyé le scénario et, le soir même, elle acceptait d’être Selma. Elle aurait pu reculer, être impressionnée par le sujet– c’est tout de même l’histoire d’une vieille femme qui va mourir. Mais, non, elle n’a pas hésité une seconde.
 
Les personnages qu’ils interprètent ont une attitude très différente face à la mort prochaine de Selma. Nathalie (Anne Consigny) reconnaît s’y préparer en parlant de la vieille dame au passé. Christophe (Jonathan Zaccaï) est littéralement terrorisé par cette perspective – au point de ne plus oser monter dans sa chambre. Et paradoxalement, alors qu’elle fréquente assidûment les maisons de retraite, Joëlle (Marie Kremer) est dans la révolte.

Christophe, Nathalie et Joëlle n’ont évidemment pas la même approche -je ne voulais surtout pas être manichéenne. A la fin du film, pourtant, lorsqu’ils s’assoient sur le banc, sous le figuier, on sent qu’ils sont prêts : ils commencent à parler de Selma, ils acceptent l’inéluctable. Et ils se sont posés. C’était un scénario très délicat à écrire. Il fallait éviter les pièges ; ne pas être didactique ou donneur de leçon- c’est Selma qui leur donne les clés. L’autre défi était de réussir à parler de la fin d’une vie sans qu’à aucun moment on ne soit dans la tristesse. J’ai l’impression de l’avoir relevé. « Sous le figuier » a été montré dans de nombreux festivals et j’ai eu le bonheur de voir des spectateurs pleurer de joie. Ils me disaient : « Nous allons envoyer nos enfants le voir. Grâce à vous, ils auront moins peur de notre mort. » Si mon film pouvait apporter ce réconfort à quelques personnes, j’aurais le sentiment d’avoir fait mon travail.
 
D’ « Un été après l’autre », votre premier long métrage, à « Tôt ou tard », dans lequel Anny Duperey lutte contre un cancer, tous vos films évoquent les cycles du temps, les combats que la vie oblige chacun de nous à affronter, et l’indispensable solidarité entre les êtres qui permet de les surmonter.

Je suis passionnée par les forces insoupçonnées que les gens portent en eux. On le voit très bien lorsqu’ils sont confrontés à une épreuve. Ils déploient une énergie vitale qu’eux-mêmes ne soupçonnaient pas, tout simplement parce qu’ils n’ont pas confiance en leur propre puissance, parce qu’on ne la leur a pas apprise et peut-être même aussi parce qu’ils en ont peur. S’ils en étaient plus conscients, leur vie serait démultipliée. Elle serait plus riche et plus épanouie. Pour en revenir à la question, je pense qu’on creuse toujours le même sillon. Il y a toujours dans mes films cette idée de main tendue vers l’autre. En matière de cinéma, les Américains appellent ce genre de films des « Good Feeling Films », des films dont on sort heureux et qui font du bien.

Interview de Gisèle Casadesus

Anne-Marie Etienne raconte que vous lui avez donné votre accord pour interpréter le personnage de Selma moins de vingt-quatre heures après avoir reçu le scénario ?

C’est vrai. Je l’ai lu, et le soir même, je lui disais oui. Tout me plaisait : le sujet, la façon dont il était écrit, la sincérité et l’humanité du propos. Et sa modernité. « Sous le figuier » n’est vraiment pas un film banal. Il a un ton très neuf. Et puis Selma correspond à ce que j’aime et à ce que je ressens profondément : elle irradie la gaieté, elle est porteuse d’espoir. Selma, c’est la vie même. Or j’aime la vie.
 
Vous connaissiez ses films ?

J’avais vu « Si c’était lui… », la comédie qu’elle a tourné avec Carole Bouquet et Marc Lavoine. Et je connaissais son travail au théâtre. Je savais qu’elle était aussi comédienne. Anne-Marie est un peu atypique dans le milieu du cinéma. C’est quelqu’un de très profond et elle sait tout faire.
 
Revenons à Selma, cette vieille dame qui arrive au terme de son existence. N’avez-vous pas eu peur de ce rôle ?

A mon âge- 98 ans bien tassés-, on sait bien qu’on est plus proche de la fin de l’histoire que du début, ce n’est pas toujours très réconfortant, on pense évidemment aux limites du possible. Ça passe très vite, une vie ! Mais il ne faut pas trop s’attarder à cela, même si c’est un peu douloureux. Il faut savoir rester sereine, comme l’est Selma. Et quelle chance pour une actrice de mon âge de trouver des rôles qui lui correspondent ; pouvoir jouer encore. J’ai renoncé au théâtre -c’est devenu trop fatigant- mais pas au cinéma. Je me dis qu’il y a encore de l’avenir dans ce domaine ; je suis partante pour d’autres films si on veut de moi. Avis aux amateurs.
 
Vous êtes lumineuse dans le film.

Attention à ne pas me rendre prétentieuse, c’est sûrement exagéré mais je prends le compliment, je ne suis pas blasée.
 
On vous sent très proche de Selma, très ouverte aux autres, comme elle.

Oui comme Selma chaque journée est une nouvelle page à écrire : Selma est dans la vie, elle regarde devant elle, elle n’est jamais négative.

Elle transmet une incroyable force aux trois jeunes adultes qui l’accompagnent pour ce dernier été.

Oui, elle a envie de les secouer, leur faire comprendre que rien n’est jamais perdu et qu’il faut aller de l’avant. Elle veut leur communiquer son bonheur de vivre, leur faire apprécier ce qui est beau. Elle a des antennes, Selma ! Une espèce de don de double vue qui fait qu’elle comprend très bien les problèmes et les besoins de ceux qui l’entourent.
 
On sent qu’elle a été très heureuse en amour.

Et ça ne m’a pas été non plus très difficile à jouer : j’ai moi-même eu la chance de rencontrer l’homme de ma vie
(Lucien Pascal) à dix-sept ans et de l’accompagner jusqu’à ses cent ans passés.
 
Il passe entre eux, et entre Selma et les quatre petites filles, une incroyable tendresse, une très grande compréhension.

Parce que chaque génération apporte quelque chose de précieux à l’autre. C’est dommage que notre époque laisse moins de place à ces échanges. Aujourd’hui, les gens sont davantage fermés sur eux-mêmes, ils ne veulent plus s’encombrer avec des personnes âgées et préfèrent mettre leurs parents dans des maisons de retraite. Alors qu’autrefois, il était normal de garder ses aïeuls chez soi : les enfants étaient souvent élevés avec leurs grands-parents, il y avait un enrichissement réciproque.
 
Vous avez passé près de trente ans à la Comédie-Française, vous jouez la comédie depuis près de quatre-vingt ans. Vous avez vu ce métier évoluer.

Je me souviens du premier film dans lequel j’ai tourné « L’Aventurier », de Marcel Lherbier en 1934. Lherbier avait demandé à une ancienne comédienne de nous aider à travailler nos rôles. Et déjà, j’avais le sentiment d’être beaucoup plus moderne qu’elle. Déjà, on sentait un écart dans le jeu entre les générations. J’écoutais ce que cette femme me disait bien sûr, mais je repoussais un peu les limites. C’est normal que les choses évoluent – on subit l’époque dans laquelle on vit, on s’adapte.
 
Dans « Sous le figuier », vous êtes pratiquement de tous les plans. Cela a-t-il exigé une préparation particulière ?

Comme toujours, je me suis imprégnée du scénario. J’ai toujours pensé qu’il était préférable d’arriver presque vierge sur un plateau de cinéma : on est vraiment entre les mains du metteur en scène et de la technique. Il faut savoir se laisser guider et ne pas avoir d’a priori. Laisser un peu de part à la spontanéité. Par contre, je vais voir les rushes. Je n’aime pas me voir à l’image mais je les regarde quand même : pour les scènes qui vont suivre. C’est comme si je prenais des leçons je veille à ne pas reproduire une erreur que j’aurais relevé la veille. Mais, comme disait Louis Jouvet, au théâtre, on joue au cinéma, on a joué.

Article publié le 28/03/2013 à 10:30 | Lu 1663 fois