Le promeneur d’oiseau de Philippe Muyl : retour aux sources pour un grand-père et sa petite-fille

Le long-métrage franco-chinois « Le promeneur d’oiseau » de Philippe Muyl, que vous pourrez découvrir à l’occasion du prochain festival Lumière Blanche (Tassin la Demi-Lune) met en scène un grand-père qui réalise un voyage vers son village natal en compagnie de sa petite-fille.


Le promeneur d'oiseau, DR
Depuis Pékin, et afin de tenir la promesse faite à sa femme, Zhigen, un vieil homme entreprend un périple vers son village natal, accompagné pour l’occasion de sa petite fille.
 
C’est là qu’il veut libérer son oiseau, unique compagnon de ses vieilles années (de nombreux seniors chinois possèdent des oiseaux qu’ils promènent parfois en laisse dans les parcs).
 
Il fera le voyage de Pékin à Yangshuo avec Renxing, sa petite-fille, jeune citadine gâtée, contrainte de partir avec lui.
 
Dans une Chine qui perd peu à peu ses repères, ce voyage (véritable retour aux sources) avec son grand père va changer l’enfant et lui faire découvrir d’autres valeurs.
 
Sans niaiserie, Philippe Muyl (Cuisine et dépendances, Le Papillon) accompagne ses personnages dans une douce métamorphose amoureuse et humaine. Cette simplicité touchante se double de la luxuriance des paysages de l’arrière-pays chinois (somptueux) et d’un plaisant retour en enfance.

Entretien avec Philippe Muyl


Vous avez donc entamé votre apprentissage de la Chine en vous rendant sur place à plusieurs reprises.

Oui, et j’ai commencé par passer du temps à Pékin. Steve m’a servi de «guide» : c’était une excellente porte d’entrée pour tenter de décrypter la société chinoise. J’ai d’abord été frappé par le contraste saisissant entre la richesse apparente et l’exhibition de l’argent de certains et le dénuement de ceux qui n’ont rien. Cette situation témoigne d’une formidable accélération du temps : en moins de trente ans, la société chinoise a fait un bond spectaculaire. C’est ce qu’on voit dans le film sur deux générations : alors que le grand-père était un paysan qui a connu la Révolution culturelle et qui est venu à Pékin pour que son fils fréquente l’université, celui-ci est devenu un immense architecte. Quant à la petite fille, qui incarne la génération suivante, elle est archi-gâtée. C’est donc un concentré d’histoire qui s’est étalé sur plus d’un siècle dans la civilisation occidentale et qui a pris moins de trois décennies en Chine !
 

Comment s’est passée l’écriture ?

Pendant que j’étais sur place, j’ai écrit un premier jet autour d’un vieux bonhomme qui revient dans son village pour ramener un oiseau que lui avait offert sa femme. Ning Ning l’a lu et traduit, puis j’ai fait une analyse extrêmement détaillée du script avec une scénariste chinoise, en évoquant tous les enjeux : Est-ce qu’en Chine les gens se disent bonjour en se serrant la main ? À quoi ressemblent leurs gestes ? Quels sont les codes ? Etc. Par exemple, je voulais qu’il y ait un conflit entre le père et le fils pour des raisons dramaturgiques. Mais on m’a expliqué qu’un fils respectait son père et ne pouvait pas se disputer ouvertement avec lui. C’est l’héritage de la philosophie confucéenne qui impose le respect des aînés. À la fin d’une réunion de travail, j’ai dit à mon assistante, qui me servait d’interprète, que je ne comprenais pas : elle m’a raconté qu’elle-même ne parlait plus à son père, mais sans jamais être en conflit avec lui ! Du coup, lorsque le grand-père commet une faute majeure à l’égard de sa petite-fille, le père refuse de lui adresser la parole, mais sans l’invectiver. Autant dire que l’écriture a pris beaucoup de temps.
 
Comment se sont esquissés les personnages ?

Le grand-père, joué par un comédien que j’ai rencontré avant d’écrire le scénario, est un ancien paysan issu d’un petit village du sud de la Chine. Il est monté à Pékin pour accompagner son fils et lui ouvrir des perspectives, mais, comme de nombreux ruraux venus à la capitale, il a dû travailler à l’usine et sacrifier sa vie pour que son fils fasse de bonnes études. Pour un homme comme le grand-père, il est capital que la génération suivante accède à une meilleure vie. Son fils a fait un bond social sans état d’âme. C’est un type brillant qui a bénéficié de la pleine croissance du pays : célèbre et talentueux, il est happé par un travail qui l’oblige à voyager dans le monde entier. Il est marié à une jolie femme qui, elle aussi, est accaparée par son métier. C’est donc un couple engagé dans une course en avant frénétique, parfaitement représentative des excès propres à cette classe sociale extrêmement fortunée. Pas étonnant qu’ils vivent dans un appartement de plus de 2,5 millions d’Euros, situé dans un quartier branché de la capitale ! Mais, à mon sens, le personnage le plus emblématique de cette évolution de la société chinoise, c’est la gamine : contrairement à son père et à son grand-père, elle ne connaît plus son histoire et elle est, pour ainsi dire, acculturée.
 
Peut-on dire qu’il s’agit d’un récit initiatique ?

C’est un voyage vers les racines : le grand-père repart vers son passé, tandis que sa petite-fille découvre d’où elle vient. Il y a donc une introspection dans le voyage qui, effectivement, possède un caractère initiatique : la fillette va à la rencontre de son identité la plus profonde, ce qui va la changer à tout jamais. Pour moi, c’est le propre d’un voyage initiatique que de vous ramener à votre être profond.
 
Vous évoquez une famille éclatée qui a perdu l’habitude de se parler et qui réapprend à communiquer…

Quand le fils renoue avec son père, la tension qu’il éprouve à l’égard de sa femme retombe. En cela, le film est très chinois, parce que les Chinois sont obsédés par l’idée de l’harmonie et que la famille est emblématique de l’harmonie. La petite fille découvre non seulement ses racines, mais devient la médiatrice grâce à laquelle l’unité familiale se reforme.
 
À travers le film, vous brossez un portrait de la Chine contemporaine qui se distingue de la plupart de ceux que nous renvoie le cinéma chinois.

Il y a toujours plusieurs facettes à une réalité. Certes, la Chine de Jia Zhang Ke est vraie, mais celle que je montre, avec un autre regard, est tout aussi véridique. Le couple est réel, les décors sont réels, et les rapports avec la petite fille sont réels. Ce sont donc des personnages d’une grande justesse : ils ne sont ni fantasmés, ni caricaturés, mais directement inspirés d’une réalité à laquelle je me suis confronté. Les cinéastes chinois, eux, tiennent à dresser un portrait critique de leur société, ce que je ne me serais pas autorisé à faire.
 
Le promeneur d’oiseau de Philippe Muyl
Sortie en salles le 7 mai 2014 (1h40min)
Avec : Baotian Li, Yang Xin Yi, Li Xiao Ran, etc.

Publié le 04/09/2014 à 12:44 | Lu 1286 fois





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