Invisible de Paul Auster : variation sur l’ère du soupçon

Paul Auster, le célèbre auteur américains de romans, à qui l’on doit, notamment, la fameuse trilogie newyorkaise, M. Vertigo, Leviathan ou Smoke vient de sortir aux Editions Acte Sud son dernier livre : Invisible. L’histoire se déroule à New York en 1967 : Adam Walker, jeune aspirant-poète, rencontre un énigmatique mécène français, Rudolf Born, et sa sulfureuse maîtresse. Sans ambages introduit dans l'intimité du couple, l'idéaliste jeune homme se voit proposer une association susceptible de placer la littérature au centre de son existence.


Mais une nuit criminelle va quelque temps plus tard sceller, de New York à Paris, l'étrange communauté de destins qui s'est ainsi formée… Tel est le prologue de l'intrigue nouée par le récit d'Adam Walker dont, quarante ans plus tard, un jour de 2007, son ancien condisciple à l'université, le célèbre romancier Jim Freeman, reçoit le surprenant manuscrit, en même temps qu'il apprend que son vieil ami est en train de se mourir d'un cancer en Californie.

Très affaibli, dans l'incapacité d'achever lui-même la rédaction de la mystérieuse confession qu'il a entamée, Adam prie son ami d'accepter de mettre en forme à sa place les notes fragmentaires qu'il a rassemblées pour la suite. Jim se fait alors le scribe du deuxième chapitre du récit : désormais installé à Paris, le jeune Adam Walker retrouve sur son chemin l'inquiétant Rudolf Born, lequel semble s'employer à prendre dans ses filets une femme aux prises avec une situation difficile et sa fille, Cécile, fervente étudiante en lettres et passionnée de poésie…

Ayant renoué avec la sœur d’Adam après sa mort, Freeman est amené à s'interroger sur la véracité du récit auquel il a contribué. De passage à Paris où l'a conduit la publication en France de son dernier roman, il retrouve la détentrice d'un possible épilogue en la personne de Cécile, à présent quinquagénaire, et que Born a récemment reçue pour une ultime conversation dans le nid d'aigle où il s'est retiré, sur une petite île des Caraïbes…

« Machine romanesque d'une puissance exceptionnelle, superbe variation sur " l'ère du soupçon ", Invisible explore sur plus de trois décennies, les méandres psychiques de protagonistes immergés dans des relations complexes et tourmentées » souligne l’éditeur. Et d’ajouter : « le vertigineux kaléidoscope du roman met en perspective changeante les séductions multiformes du récit dont le motif central ne cesse de se modifier pour proposer, en même temps que de nouveaux angles de lecture, des interrogations troublantes dont la profondeur se trouve creusée par la lisibilité jubilatoire et la crédibilité simultanée de toutes les combinaisons mises ici en jeu par un écrivain au sommet de son art narratif ».

On se délecte au récit des tribulations du jeune homme naïf confronté au secret et aux interdits, tout autant qu'on admire l'exercice de haute voltige romanesque dont fait preuve ce très singulier roman de formation qui interroge les ressorts même de la fiction dans une captivante réflexion sur le thème de la disparition et de la fuite.

"La complexité indéniable de la construction d'Invisible n'est jamais un obstacle à sa lisibilité - elle oeuvre à l'intérêt romanesque du récit, aux rebondissements qui le jalonnent. Le suspense ainsi ménagé permet à Paul Auster de s'autoriser à laisser planer, sur l'histoire et son interprétation, la plus grisante incertitude" indique Nathalie Crom dans Télérama.
Invisible de Paul Auster : variation sur l’ère du soupçon

Extrait d'Invisible de Paul Auster

C’est au printemps 1967 que je lui ai serré la main pour la première fois. J’étais alors étudiant en deuxième année à Columbia, gamin ignorant affamé de livres et pétri de la conviction (ou de l’illusion) que je deviendrais un jour assez bon pour me dire poète et, parce que je lisais de la poésie, j’avais déjà rencontré dans l’enfer de Dante son homonyme, un mort qui traîne ses basques dans les derniers vers du vingt-huitième chant de L’Enfer : Bertran de Born, poète provençal du XIIe siècle, tenant par les cheveux sa tête coupée qu’il balance d’avant en arrière comme une lanterne – assurément l’une des images les plus monstrueuses de ce livre qui est, d’un bout à l’autre, un catalogue d’hallucinations et de tourments. Défenseur convaincu de l’écrivain qu’avait été de Born, Dante l’a néanmoins voué à la damnation éternelle pour avoir conseillé au prince Henri Plantagenêt de se révolter contre son père, le roi Henri II, et puisque de Born avait provoqué la séparation entre père et fils, faisant d’eux des ennemis, l’ingénieux châtiment imaginé par Dante consistait à séparer de Born de lui-même. D’où le corps décapité gémissant dans l’au-delà, qui demande au voyageur florentin s’il peut exister douleur plus terrible que la sienne.

Invisible de Paul Auster
Editions Acte Sud

Roman (broché)
22.50 euros

Publié le 05/04/2010 à 09:44 | Lu 2113 fois





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