Emploi des seniors (2) : les formes de la reconnaissance, chronique de Serge Guérin

La semaine dernière, nous avons insisté sur l’importance du sens au travail. Mais pour autant, il n’est pas question de nier l’impact de la rémunération sur la décision de poursuivre une activité. On peut même dire que le différentiel dernier salaire/première retraite joue un rôle fort dans le processus de décision. Ou de non décision.


Par ailleurs, pour une large partie des salariés, le gain lié au maintien de l’activité, mais diminué des cotisations sociales associées et des revenus de retraite non perçus, est peu attractif par rapport à la pension qui serait versée à la personne passée en retraite.

Des chercheurs proposent d’ailleurs que le senior qui choisi de poursuivre sont activité soit rétribuée en une fois pour que la rémunération supplémentaire soit visible et incitative. L’idée étant de rétrocéder l’ensemble du gain qu’il génère auprès des caisses de retraite par sa poursuite d’activité.

Reste qu’Axel Honneth* ouvre, de ce point de vue, une démarche utile pour étayer la réalité de ce besoin de reconnaissance. Pour le philosophe, la reconnaissance, ou la « réalisation de soi », comme norme, suppose que le processus d’individualisation, qui caractérise notre modernité, entraîne aussi une « lutte pour la reconnaissance ».

Elle concerne l’ensemble des relations au sein de la sphère sociale et les situations de travail et de rapports hiérarchiques qui atteignent la dignité des personnes, et donc leur identité. Elle participe de toutes les injustices qui empêchent l’autoréalisation des personnes. Des injustices qui proviennent d’un mépris qui n’est pas la conséquence directe et simpliste du capitalisme, mais qui est d’ordre social, culturel, psychologique. Honneth montre cela à travers une analyse décapante des formes de socialisation et de scolarisation des enfants pour s’en convaincre. Honneth s’inscrit dans un idéal de société juste et égalitaire (délicat à définir…) et se fonde sur un impératif d’individualisation.

Gageons que l’exercice est complexe et que le désir, qui finalement n’a pas de limite, de la reconnaissance peut entrer en conflagration avec la recherche du meilleur équilibre social. Il peut aussi entrer en conflit avec le propre désir de reconnaissance de l’autre et des autres. Quelle norme sociale, quel processus de justice sociale collective et légitime permet de trouver le point d’équilibre ? Un point d’équilibre par nature évolutif…

Reste que la lutte pour la reconnaissance comme vecteur d’intégration sociale renvoie à la notion d’utilité de soi et d’intérêt personnel et collectif du travail. Cela concerne aussi les relations sociales dans l’entreprise et les modes de management, et donc de respect des personnes.

On ne manage pas de la même façon un senior et un jeune. Mais dans les deux cas, on les respecte et on les écoute. Le management de la diversité culturelle et générationnelle s’apprend. Dans ce management, l’objectif de l’activité, les raisons du travail sont des éléments à ne pas minorer, en particulier dans le cas des seniors qui, plus que les autres, recherchent du sens à leur implication.

D’ailleurs pour eux, l’implication en soi a du sens. La prise en compte de cette quête de sens, de celle lutte pour la reconnaissance, permet de mieux saisir les attentes de chaque actif, salarié ou non. Une norme qui prise en compte, permet de renouveler l’analyse de l’emploi comme de la consommation. La reconnaissance comme cœur du social dans un monde sans cœur, pour reprendre la formule de Marx à propos de la religion.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier Vive les vieux !, Editions Michalon

*Axel Honneth, La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, Paris, La Découverte, 2006
Emploi des seniors (2) : les formes de la reconnaissance, chronique de Serge Guérin

Publié le 10/11/2008 à 11:18 | Lu 5355 fois