Les chutes touchent durement, et mortellement, les seniors

Alors que chaque année, de nombreux seniors décèdent suite à une chute, souvent « tout bête », le Syndicat national des prestataires de santé à domicile (Synalam) en partenariat avec l’Association Nationale Française des Ergothérapeutes (ANFE) a décidé de se saisir du problème et d’organiser entre le 10 et le 15 octobre 2011 la première Semaine nationale de prévention des chutes au domicile des seniors.


Les accidents de la vie courante (AcVC), traumatismes non intentionnels autres que les accidents du travail ou de la circulation routière, sont chaque année très nombreux en France et constituent un problème croissant de santé publique. On en dénombre en moyenne 11 millions par an, dont 4,5 millions font l’objet d’un recours aux urgences.

En tout, les AcVC ont été responsables de 19 703 décès en France métropolitaine en 2008, soient 3,7% de la mortalité totale, constituant donc la troisième cause de mortalité du pays, bien plus que les accidents de la route !

Près des deux tiers des AcVC surviennent chez les plus de 75 ans

Les chutes constituent de loin la première cause des décès causés par un AcVC. Elles constituaient en moyenne 58% des accidents de la vie courante ayant fait l’objet d’un recours aux urgences en 2009. Ce pourcentage va croissant en fonction des tranches d’âge : les chutes constituent 69% des AcVC chez les 65-69 ans, 76% chez les 70-74 ans et 90% chez les 75 ans et plus ! Un tiers des plus de 65 ans et la moitié des plus de 85 ans font au moins une chute par an.

Les chutes ont causé, tous âges confondus, 9 412 décès en 2008, soit 59% des décès par AcVC. Près de 90% des décès des suites d’une chute surviennent chez les plus de 65 ans (8 356 en 2008).

La multiplicité des facteurs de risque de chute rend nécessaire une prévention personnalisée tenant compte des dangers de l’environnement

Les causes des chutes sont multifactorielles et restent parfois difficiles à évaluer et à contrer. Certaines pathologies peuvent en effet affecter la fonction d’équilibration (maladie de Parkinson, troubles cognitifs, diabète…). Mais une grande majorité des chutes est causée par des facteurs extérieurs liés à l’environnement de la personne âgée, notamment à l’intérieur de son domicile, ou encore par des habitudes de vie : comportement au quotidien (consommation d’alcool, sédentarité, malnutrition), prise de certains médicaments (psychotropes, antidépresseurs, sédatifs ou hypnotiques, neuroleptiques…) ou bien encore par la pratique d’activités à risque. Rappelons également qu’il faut lutter contre le « phénomène de glissement » et le repli sur soi et que rester actif est l’un des meilleurs moyens de maintenir sa forme.

Dans 30 à 50% des cas, la chute survient à domicile

A domicile, les principaux facteurs de chute sont bien identifiés et nombreux : objets traînant sur le sol, mauvais éclairage, sol glissant ou irrégulier, tapis mal fixé, marches, chaises, lits ou cuvette des toilettes trop bas, etc. Pour tous ces cas, des aménagements préventifs du domicile sont possibles et laissent penser que la majorité des décès par suite d’une chute sont des drames évitables ! C’est pourquoi on note un engagement croissant des pouvoirs et acteurs publics en ce sens. « Tout ça, c’est quand même un désastre, parce qu’on ne devrait pas mourir d’un accident en principe évitable », Bertrand Theltot, responsable de l’étude InVS sur la mortalité par accidents de la vie courante en France métropolitaine.

La prévention des chutes des seniors est devenue un enjeu de santé publique

Face à la problématique du vieillissement de la population et au regard de ces chiffres alarmants, la prévention des chutes de personnes âgées est devenue un objectif national de santé publique à part entière. La loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 fixait ainsi un objectif de réduction de 25% du nombre de personnes de plus de 65 ans ayant fait une chute dans l’année d’ici 2008. Malgré ces efforts, les chutes chez les plus de 65 ans ont augmenté de 0,7% sur la période 2004-2008, passant de 8 297 à 8 356. Le Plan national « Bien vieillir 2007-2009 » avait quant à lui pour ambition de favoriser un vieillissement réussi, tant sur le plan de la santé individuelle que des relations sociales. Un de ses axes comportait des mesures spécifiques aux AcVC et au travail sur l’équilibre, confiées à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes).

Quant à la Haute Autorité de Santé, elle émettait le 23 février 2006 des recommandations professionnelles sur la prévention des chutes accidentelles des personnes âgées, préconisant un repérage systématique de la personne à risque, ainsi qu’une évaluation adaptée aux situations individuelles.

Malgré ces dispositions et orientations officielles, la mortalité par chute à domicile suit une tendance difficile à faire fléchir. Elle nécessite plus d’efforts sur la prévention afin de modifier en profondeur le comportement des personnes âgées et leur conscience des dangers liés à leur domicile.

« Chaque année, 9 400 personnes décèdent des suites d’une chute », explique Olivier Lebouché, président du Synalam. « Ce chiffre à lui seul justifie une campagne de mobilisation nationale. Pourtant un chiffre encore plus terrifiant nous a fait réagir ».

Et d’ajouter : « Nous venons de réaliser un sondage auprès de personnes âgées de 70 ans et plus. Il révèle que 67% d’entre elles n’ont pas conscience des dangers encourus à domicile. Face à une telle méconnaissance, nous ne pouvions rester inactifs. Or, une des missions des prestataires de santé à domicile, c’est précisément de proposer des solutions d’aménagement du domicile ; nous voulons, par cette campagne, remobiliser l’ensemble des acteurs, grand public, politiques, intervenants de santé sur cette question ».

Pendant une semaine, du 10 au 15 octobre, les adhérents du Synalam, avec le soutien de l’ANFE, Association nationale française des ergothérapeutes, diffuseront donc de l’information dans leurs enseignes :

- Un quizz composé de 13 questions. Il permet d’évaluer son risque de chute (avez-vous des tapis ? Utilisez-vous une baignoire ? Vos interrupteurs sont-ils clairement visibles et faciles d’accès ? …).

- Des conseils pour rester chez soi en sécurité

Et durant toute la semaine, leurs équipes de professionnels se rendront disponibles pour donner aux personnes concernées et à leurs familles, gratuitement et à domicile, un maximum de conseils d’aménagement et présenter des solutions adaptées. « C’est une semaine organisée et promue par notre syndicat mais concrètement mise en œuvre pas les entreprises adhérentes ; il s’agit d’une approche complémentaire et cohérente ».

Les lieux jugés les plus dangereux de l’habitation sont les escaliers et la salle de bains

Le sondage réalisé par OpinonWay montre que les personnes âgées savent reconnaître les pièces les plus dangereuses de leur habitation. Deux sont citées spontanément : les escaliers par 44% des personnes vivant dans une maison individuelle (contre 27% pour celles résidant en appartement) et la salle de bains (30% des personnes en appartement contre 15% dans une maison individuelle). Parmi les accidents domestiques, la chute est un accident fréquent. Une enquête publiée fin 2010 révélait que 88% des personnes de plus de 70 ans accidentées à domicile l’avaient été par chute. Parmi elles, 24% sont tombées dans l’escalier, et 6% dans la salle de bains (cette pièce étant à juste titre l’une des plus aménagées du domicile).

L’avis de l’expert : Elisabeth Hercberg, ergothérapeute, chargée de mission ANFE

Dans le sondage, les Français citent en premier lieu les escaliers et la salle de bain comme des pièces dangereuses. Qu’en pensez-vous ?

E. Hercberg : Ils ont raison. Ce sont effectivement dans ces deux pièces que s’expérimentent les premières pertes d’autonomie. Pour ne pas risquer de tomber dans les escaliers, les personnes vont progressivement limiter leur périmètre de déplacement. Quitte à ne plus vivre que sur un étage. Dans la salle de bain, c’est encore plus net. La crainte de chuter peut amener quelqu’un à limiter sa toilette. Il va d’abord prendre une douche qu’en présence d’un tiers, puis ne plus utiliser que le lavabo. A ces deux pièces, j’ajouterais les toilettes qu’il est important d’équiper d’une cuvette rehaussée et de barres d’appui. Les personnes âgées se lèvent davantage la nuit et peuvent avoir besoin de ces aides.

Y a-t-il des signes annonciateurs ?

E. Hercberg : D’une manière générale, il vaut mieux prévenir la chute et ne pas attendre l’accident pour sécuriser l’espace de vie. Surtout qu’il existe un large éventail d’alternatives pour accompagner la perte d’autonomie. Certains signes doivent en effet attirer l’attention : les pertes d’équilibre, la baisse de la force musculaire... mais il faut surtout agir dès qu’on ne se sent plus en sécurité. L’installation de marches contrastées et antidérapantes, de mains courantes et préhensibles sont des soutiens efficaces et rassurants.

Y a t-il des pièges à éviter ?

E. Hercberg : Appliquer les mêmes recettes pour tout le monde sans adapter les réponses aux besoins. Il est inintéressant par exemple de supprimer systématiquement les baignoires, si on ne les remplace pas par des douches sécurisées. Des professionnels peuvent établir des diagnostics précis et sur-mesure.

Une personne sur trois a déjà été concernée par une chute

Selon le sondage OpinionWay, 30% des personnes interrogées déclarent avoir déjà été concernées par une chute : 19% à titre personnel, 11% témoins de l’accident d’un proche. Pourtant l’aménagement de la maison est loin d’être systématique. Les trois-quarts des répondants (76%) n’ayant même aucune intention d’équiper leur domicile. L’absence de perception du danger semble en être l’une des raisons principales.

L’avis de l’expert : Sylvie Proust, prestataire de santé à domicile

Pourquoi les Français ne mesurent-ils pas les risques liés aux chutes ?

S. Proust : Il s’agit d’un état d’esprit vis-à-vis de la prévention. Les Français pensent que l’accident ne les touchera pas personnellement. Ils ne se sentent pas concernés. Il faut reconnaître qu’aujourd’hui à 75 ans, les gens sont encore très mobiles. Il s’agit d’un problème culturel. Ils rejettent tout ce qui peut suggérer une forme de dépendance. C’est très perceptible avec les déambulateurs par exemple. Nous équipons beaucoup de patients mais peu de personnes osent les utiliser à l’extérieur du domicile.

Existe-t-il des freins à l’équipement ?

S. Proust : Nous sommes surtout frappés par le fait que le grand public ne connaît pas la diversité des aides à sa disposition. Financières bien sûr, mais aussi techniques. Le secteur est très créatif et imagine sans cesse de nouvelles alternatives innovantes. Il existe aussi des produits simples pour faciliter le quotidien des personnes âgées : décapsuleur de bouteilles en plastique, aide à l’ouverture de bocaux, mais surtout siège de baignoire pivotant, tabourets antidérapants, poignée de baignoire... Dans ce domaine, les pays du Nord sont pour nous une grande source d’inspiration.

Comment les gens peuvent ils être conseillés sur ces sujets ?

S. Proust : Pendant toute la semaine, les adhérents du Synalam sont mobilisés en agence mais également au domicile des personnes âgées, pour leur présenter gratuitement les différents types de dispositifs existants et éventuellement repérer des situations plus préoccupantes nécessitant l’intervention d’un ergothérapeute. Aujourd’hui nous souhaitons montrer que nous pouvons travailler en amont, faire de la prévention et éviter ainsi l’accident qui laisse souvent des séquelles et ne plus nous limiter à une intervention en sortie d’hôpital, quand il est parfois trop tard.

Deux personnes sur cinq ont équipé leur logement après une chute

41 % des personnes ayant fait une chute à leur domicile, soit plus de deux personnes sur cinq, reconnaissent
avoir équipé leur logement, selon le sondage OpinionWay. L’aide des proches (famille, amis, professionnels de santé...) semble alors déterminante. Ils accompagnent le diagnostic, soutiennent la mise en oeuvre du projet, installent parfois eux-mêmes l’équipement. Si cette réalité est à encourager, il n’en reste pas moins que 59 % des personnes ayant chuté à leur domicile n’ont mis en place aucun équipement particulier, et ce malgré les risques encourus.

L’avis de l’expert : Guy Bastide, prestataire de santé à domicile

Les Français expriment dans un récent sondage que le fait de voir quelqu’un de leur entourage faire une chute grave est déterminant dans la décision d’aménager le logement. Qu’en pensez-vous ?

G. Bastide : C’est vrai. C’est souvent l’élément déclencheur, le détonateur pour les familles. Mais nous regrettons que notre société appréhende encore si mal le vieillissement, alors que nous y sommes de plus en plus confrontés. Cette question n’est pas assimilée et le grand public semble la découvrir lorsque survient l’accident. Elle fait peur et dérange. Il serait pourtant intéressant que l’Etat favorise cette réflexion dans le cadre d’une politique générale.

Pensez-vous qu’il soit possible d’anticiper l’adaptation du logement ?

G. Bastide : Bien sûr. Lorsqu’ils font construire leur logement, les jeunes couples ont tendance à créer des étages. Mais cela multiplie les difficultés à partir d’un certain âge. Nous pouvons suggérer de privilégier les espaces plans, notamment dans la cuisine et la salle de bain et de veiller à élargir les portes. Le but : faciliter l’adaptation. On comprend aisément que les plus jeunes aient du mal à se projeter, mais lorsqu’on déménage vers 55-60 ans, on choisit souvent un logement dans lequel on est susceptible de vieillir. Pourquoi ne pas se préoccuper tout de suite de son évolution ? C’est en tous cas ce que les professionnels recommandent. Aujourd’hui nos clients ont 50/55 ans, mais ils nous consultent pour leurs parents, âgés de 75/80 ans. Difficile pour eux de se projeter et d’envisager leur propre vieillissement.

Les seniors ont-ils beaucoup changé ?

G. Bastide : En vingt ans, le 3ème âge s’est littéralement transformé. Les sexagénaires d’aujourd’hui s’occupent de leurs enfants et de leurs parents, voyagent, surfent sur Internet. Pour répondre à leur soif d’information, les CARSAT ont mis en place des conférences sur les sujets de la vie quotidienne (alimentation, diabète…). La prévention des chutes en fait naturellement partie. C’est ainsi qu’on voit apparaître des ateliers de formation pour apprendre à se relever après une chute, une démarche particulièrement intéressante. En complément, nous ne pouvons que recommander l’évaluation du domicile par un ergothérapeute. Il pourra conseiller des aménagements simples et peu coûteux (barres d’appui, installation de dalles stables dans le jardin, tapis antidérapant dans la baignoire…).

Comment concrètement doit-on faire évaluer et équiper son domicile ?

G. Bastide : L’évaluation du domicile est une prestation technique qui doit être réalisée par un professionnel et les ergothérapeutes sont qualifiés pour évaluer le domicile des personnes qui en font la demande. Ensuite, les prestataires de santé à domicile peuvent intervenir, sur la base de ces recommandations, pour proposer des équipements, voire réaliser certains aménagements.

La famille, première sollicitée en cas d’équipement

Selon les résultats du sondage, la famille est la première sollicitée pour faciliter l’équipement du domicile. Notamment financièrement car les possibilités d’aide restent mal connues des personnes âgées. 36 % des personnes déclarent en effet spontanément s’adresser à la famille. Les mutuelles sont également souvent citées comme un recours financier (28% des réponses).

L’avis de l’expert : Muriel Boulmier, directrice générale du Groupe Ciliopée et présidente du groupe de travail «Evolutions démographiques et vieillissement» du CEC ODHAS (Fédération européenne du logement social)

Pourquoi les personnes âgées ne s’équipent-elles pas spontanément ?

M. Boulmier : Le sondage que vous venez de réaliser démontre clairement un phénomène commun aux personnes âgées qui vivent dans notre société : la personne qui vieillit, c’est l’autre. Or ce déni s’inscrit encore davantage au domicile. Sentiment de sécurité, cocon protecteur, cet espace est celui dans lequel on reste après le départ des enfants ou la cessation d’activité professionnelle. Celui de l’habitude. Pour tenter d’améliorer la sécurité à domicile, la commission de sécurité des consommateurs et l’Agence Nationale des services à la personne ont conçu une grille d’évaluation des risques opérationnelle à réaliser en famille. Elle permet d’identifier les dangers et propose des astuces simples pour anticiper les accidents comme de placer un ruban phosphorescent pour visualiser un interrupteur éloigné...

Quelles sont les aides à disposition des personnes pour faciliter les adaptations ?

M. Boulmier : Un récent sondage a démontré qu’il existait de nombreuses aides mais qu’elles étaient peu connues. Pourtant dès que les familles y ont accès, elles les plébiscitent à 95%. C’est dire si elles sont nécessaires. Il y a actuellement trois sources de financement possibles : les collectivités locales, départements et communes, l’Agence Nationale de l’Habitat et les CARSAT ou les Caisses de retraite complémentaire. En revanche il n’existe toujours pas de guichet unique et les familles s’épuisent dans les méandres administratifs. Elles finissent souvent par financer elles-mêmes les travaux d’adaptation. Le coût moyen d’une adaptation de base est de 4.000 euros.

Vous suggérez un aménagement de la loi pour une juste redistribution ?

M. Boulmier : Depuis 2005, il existe une niche fiscale. C’est un crédit d’impôt d’un montant maximum de 5.000 euros pour compenser 20% du coût des équipements pour l’autonomie de vie des personnes âgées dans l’habitat. Or il profite pour 40% aux contribuables les plus aisés. Je propose donc de le redistribuer aux classes moyennes. Le projet repose sur la création d’un périmètre économique déclencheur autour de la personne âgée. Pour cela il convient de déterminer un âge (65/70 ans), un plafond de ressources (que j’abaisserais à 11.000 euros par an pour une personne seule).

Le but de cette loi serait bien de favoriser le maintien à domicile, les travaux étant réalisés par des artisans labellisés. Si les enfants financent les travaux, il semble naturel que le crédit leur soit transférable. Cette évolution de la loi permettrait d’obtenir davantage de solidarité intergénérationnelle active, de soulager les classes moyennes et de favoriser l’activité économique des artisans labellisés. Elle permettrait également une meilleure redistribution au profit des personnes âgées les plus fragiles, comme les femmes seules en milieu rural.

Le député Daniel Fasquelle (Pas-de-Calais) va déposer une proposition de loi en ce sens au cours de cette législature.

Publié le 12/10/2011 à 09:50 | Lu 9833 fois