Vie intime des ainés : l'éclairage de Malagie Assor, petits frères des Pauvres

Le grand enjeu c’est de s’atteler à une réflexion, courageuse et sincère, d’ordre éthique, sur les conditions qui permettent de garantir les libertés fondamentales de chacun en la matière. Comment raisonner autrement que par l’interdit, le non-dit ou le problème et ce, en prenant en considération tous les facteurs des situations telles qu’elles se présentent c’est-à-dire souvent dans leur grande complexité et sans angélisme. Par Magali Assor, chef de projet démarche de réflexion éthique et luttecontre les maltraitances, Petits Frères des Pauvres.

PAR SENIORACTU.COM | Publié le 13/10/2022

Qu’est-ce qui a retenu votre attention dans l’étude* ?
Les résultats sont éminemment porteurs d’espoirs car à la question que posait Charles Trenet « Que reste-t-il de nos amours ? », on pourrait répondre « encore beaucoup de beaux horizons ! ».
 
Loin d’une vision trop éthérée du couple, dont le ciment reste certes la complicité, le rire et la confiance, la majorité des personnes âgées en couple assument qu’avoir des « relations intimes » est important, et pour un quart d’entre elles essentiel.
 
Ce versant de l’étude vient confirmer le propos de notre colloque « Désirs et sexualités : vieillir sans tabous » à savoir que, contrairement aux idées reçues, le désir n’a pas d’âge. Ajoutons également que près des trois-quarts des personnes interrogées pensent que le corps vieillissant peut continuer à être désirable et la moitié déclarent avoir le sentiment d’être séduisant.
 
En somme, des personnes âgées nous disent bien volontiers que l’épanouissement affectif (amoureux et sexuel) n’est pas l’apanage de la jeunesse. Pour ce message porteur de joie, qu’elles en soient remerciées  !
 
Mais là encore, méfions-nous de conclusions hâtives devant un tableau si triomphant. Car celles et ceux qui témoignent ouvertement de cet épanouissement et de leurs capacités de séduction vivent en couple. Si nous tournons notre regard vers celles et ceux qui nous disent leur sentiment de solitude alors, et malheureusement sans surprise, nous voyons le visage de femmes seules aux faibles revenus.
 
Un ressenti qui s’accentue avec l’avancée en âge. Enfin, le dernier chiffre marquant pour moi ce sont les 85% des personnes qui ne vivent pas en couple et qui ne souhaitent pas de changement de situation.

Le couple n’est peut-être donc pas un horizon indépassable mais se pose alors la question d’autres formes de liens et des «  nourritures affectives  » pour ne pas sombrer dans l’isolement relationnel voire la mort sociale.
 
Comme le précise très justement la charte éthique et accompagnement du Grand Age : « quel que soit notre âge, nous avons besoin d’amour, d’attention, de contacts, d’échanges. Comme l’a montré John Bowlby, sans la réassurance que ces liens d’attachement procurent, il est difficile de s’accomplir et de se sentir bien ».
 
Selon vous, est-ce une avancée que de défendre un droit à la vie affective et un droit à la sexualité ?
Il me semble qu’il faille être précautionneux lorsque l’on parle des interactions entre le droit et la sphère de la vie intime. Rappelons d’abord que la sexualité inclut le sexe biologique, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’érotisme, le plaisir et la reproduction.
 
Et en la matière, c’est avant tout le code pénal qui a toujours tracé la ligne de partage entre ce qui est considéré comme licite ou illicite. Avec comme pierre angulaire, la question du consentement et des évolutions sociétales sur ce qu’on nommait autrefois « les bonnes mœurs ».
 
Aujourd’hui, il n’existe pas de droit à la vie affective et à la sexualité dans le sens de «  droit créance  » c’est-à-dire de droit opposable, de droit qui peut être exigé. On ne peut pas demander à l’Etat qu’il fasse accéder les individus à une vie affective et sexuelle.
 
Sur ces questions, on se réfèrera plutôt aux « droits libertés  » c’est à dire les droits fondamentaux qui visent la protection et l’épanouissement des individus. La Cour Européenne des droits de l’homme a beaucoup œuvré, au travers de sa jurisprudence, pour défendre la vie affective comme la poursuite du développement de la personnalité.
 
Ainsi, un « droit à », dont personne ne pourrait garantir l’effectivité (et qui pourrait générer son lot de contentieux), n’a pas de sens. Le grand enjeu c’est de s’atteler à une réflexion, courageuse et sincère, d’ordre éthique, sur les conditions qui permettent de garantir les libertés fondamentales de chacun en la matière.
 
Comment raisonner autrement que par l’interdit, le non-dit ou le problème et ce, en prenant en considération tous les facteurs des situations telles qu’elles se présentent c’est-à-dire souvent dans leur grande complexité et sans angélisme.
 
Je pense aux altérations du discernement, aux rôles et à la place des enfants vis-à-vis de leur parent âgé, aux possibles désinhibitions d’ordre pathologique, à l’expression de la misère affective et sexuelle, à la place qui est faite (ou non) aux personnes LGBT+ vieillissantes qui ont déjà eu à mener tant de combats, à la prévention des infections sexuellement transmissibles à tout âge.
 
Une conscience aigüe du respect d’autrui ainsi que le souci de mettre en place les conditions d’un dialogue de qualité sont indispensables pour aborder ces questions.
 
Que met en œuvre l’association pour faire progresser les uns et les autres sur ce sujet ?
Après avoir posé le sujet de la vie sexuelle et affective comme l’un des dix grands sujets de notre Congrès Itinérant 2019-2020, inclus la définition de « la sexualité » dans l’Abécédaire des Petits Frères des Pauvres, 100 mots contre l’isolement, plaidoyer pour un réveil des consciences, coorganisé le colloque « Désirs et sexualités  : vieillir sans tabous  », cette étude chiffrée contribue à alimenter encore plus finement la réflexion.
 
En parallèle, nous sommes, avec le centre de formation des Petits Frères des Pauvres, en train de rénover le cahier des charges d’une formation intitulée «  Appréhender la vie affective et sexuelle des personnes qui avancent en âge  » avec comme objectif de développer des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être pour ajuster la posture d’écoute et pour réagir de la façon la plus appropriée possible sur un sujet qui vient percuter l’intime et les représentations de chacun.
 
Aborder une personne âgée de façon globale, dans toutes les dimensions de son identité et de son histoire de vie est un signe de respect et de reconnaissance de l’autre. La compréhension et la délicatesse sont indispensables et cela peut se travailler dans une formation en présentiel.
 
Nous avons aussi le souci de diversifier les ressources disponibles sur ce sujet et venons de finaliser un podcast de cinq épisodes de 15 à 20 minutes qui donne la parole à des professionnels, à des personnes concernées, qui croise les regards de différentes générations, les données existantes et les approches pour justement tordre le cou aux idées reçues, sortir du tabou, se réinterroger soi-même en son for intérieur sur ses propres représentations, pouvoir réajuster nos manières d’accueillir ce sujet.

Destiné à sensibiliser le grand public, le contenu de ce podcast est aussi pertinent pour les acteurs de l’association que pour des personnes très éloignées de nos sujets.

C’est un chantier immense mais quand je regarde le chemin parcouru en finalement peu de temps, je crois que l’on peut collectivement être fiers d’avoir contribué à lever un peu le tabou en mettant à disposition des ressources variées et complémentaires.

*« Rapport Vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées - Petits Frères des Pauvres - Septembre 2022 ». Réalisé à partir de l’étude CSA Research Avec le soutien financier de la Fondation des Petits Frères des Pauvres et de la CNAV (Caisse nationale d’Assurance Vieillesse).










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