Question du vieillissement et lien social, chronique de Serge Guérin

La question de l’instauration d’un cinquième risque s’inscrit dans un mouvement plus large qui interroge la société française : comment renouveler le compromis social ? Le modèle de l’Etat-providence reposait sur une logique de compensation, pour ceux qui ont eu à subir la crise ou divers accidents ou des désavantages sociaux ou physiques (thèse de Bruno Palier). Un modèle répliqué dans les modes de gestion sociale du vieillissement et qui demeure bien ancré dans les pratiques professionnelles.





Si la prise en compte du vieillissement veut rester une idée neuve pour le 21ème siècle et participer à la refondation du contrat social qui lie tous les citoyens à la République, il ne peut s’en tenir aux logiques quantitatives ou ne se prévaloir que du nombre de constructions et de réhabilitations d’établissements, de moyens mises en oeuvre, voire du nombre de personnels...

La réflexion doit s’inscrire dans une logique d’innovation sociale, d’« entrepreneur de sens ».

Aujourd’hui, du côté du social, le défi est de dépasser l’action de solidarité et de prévention pour prendre, aussi, la mesure du double mouvement sociétal : d’un côté la personne âgée entend être traitée en individu aspirant à des services spécifiques, mais aussi comme être désireux d’être reconnu en tant que tel ; de l’autre, sa demande de plus d’équité et de prise en compte des fragilités (situation économique, ruptures familiales, grande vieillesse…). Le tout dans un contexte où le souci du développement durable étaye (co-produit) ce double mouvement.

Il importe de penser les seniors, y compris les plus fragilisés, non comme une entité uniforme (le vieux ou le dépendant, comme on disait jadis le Travailleur) mais comme des publics diversifiés aux identités évolutives, complexes et multiples.

Les statuts ne se résument pas à la fonction officielle désignée à chacun (autonomes, dépendants…). Ils sont l’expression, par exemple, de la personnalité, du parcours biographique, des attentes, de l’image de soi, de la situation de famille, du rapport au monde de la personne… C’est donc bien la question du lien social qui est posée lorsque l’on pense vieillissement.

Aujourd’hui, il s’agit de passer de la seule gestion sociale -grâce à des politiques de solidarité et d’accompagnement, qui ne doivent pas être délégitimés et abandonnées- à la prise en compte de l’impératif du vivre ensemble et de la production du lien social. C’est ce que l’on pourrait appeler –provisoirement- la gestion sociétale ou encore, le management responsable.

Les politiques sociales et les approches de la vieillesse doivent donc effectuer leur mue, leur révolution culturelle, pour passer d’une culture d’ingénierie sociale à une culture de services et de services à la personne. Cette mutation passe aussi par l’invention de nouveaux métiers, le recrutement d’autres profils…

Les structures (établissements, CCAS, services à domicile…) sont des acteurs directs du territoire qui façonnent pour une large part l’avenir de la ville, participent à la dynamique économique et sont impliqués dans la relation au travail (du point de vue de la formation comme de la relation des enfants des personnes fragilisées).

La responsabilité sociale des acteurs du vieillissement doit se penser de façon extrêmement large au sens où elle englobe l’ensemble du vécu et des attentes des seniors, mais aussi leur relation avec les autres (voisins, famille, institutions,…).

Il s’agit aussi d’anticiper sur les attentes, les nouvelles façons de vieillir. Par exemple, on assiste tout doucement à la naissance d’une nouvelle catégorie : les Boofras, Boomers Fragilisés. Ces enfants du baby-boom (BooBos) habitués à la notion de service et désireux, même au grand âge, de bénéficier de confort et d’écoute.

Les politiques seniors sont, à mon sens, d’abord des politiques du vivre-ensemble et d’une société en gestation marquée par l’impératif écologique, la nécessité de répondre à des fragilités croissantes et évolutives et l’obligation de restaurer une vision collective.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier La société des seniors Editions Michalon
Question du vieillissement et lien social, chronique de Serge Guérin

Article publié le 06/07/2009 à 09:03 | Lu 3762 fois