Pauvre Bitos de Jean Anouilh, au Théâtre Hébertot : cruel jeu de rôles

La pièce fut créée en 1956 au Théâtre Montparnasse, avec Michel Bouquet dans le rôle-titre. « Si cette comédie grinçante fit violemment réagir le public, elle ne manqua pas de le faire venir en nombre : la pièce fut un triomphe », confie l’acteur dans ses Mémoires.


L’ouvrage fut repris en 1967 avec le même Michel Bouquet en tête de distribution, puis, disparut du répertoire pendant de longues années.
 
Avec le courage qu’on lui connait, Francis Lombrail a choisi de la remonter cette saison dans son charmant théâtre du Boulevard des Batignolles.
 
Dans une petite ville d’une France récemment libérée, quatre notables ont décidé de se venger du nouveau substitut de justice, André Bitos, qu’ils connaissent depuis l’enfance.
 
Celui-ci, à l’opposé des autres, est issu d’un milieu très simple et s’est toujours senti méprisé par eux. C’est peut-être pour cette raison qu’il a envoyé à l’échafaud l’un des leurs, soupçonné de collaboration.
 
Craignant que ces procédés ne se reproduisent à leurs dépens, les quatre personnages ont invité Bitos à un dîner de têtes où chacun jouera le rôle d’un révolutionnaire. Face à Danton, Saint-Just et Mirabeau, Bitos sera Robespierre.
 
Les quatre comparses espèrent, en le faisant boire, que la collusion des personnages, présent et passé, lui fera révéler sa face d’ombre pour le faire tomber.
 
Face à ses accusateurs implacables de cynisme, Bitos n’est pas plus sympathique qu’eux. Tantôt diabolique et tantôt pitoyable, on ne sait plus d’ailleurs plus très bien qui parle, du procureur d’aujourd’hui à celui d’hier.
 
Parmi toute cette noirceur, seule une femme fera preuve d’un peu d’humanité mais qui malgré tout, lui promet Bitos, ne sera même pas récompensée…
 
Maxime d’Aboville, déjà auréolé de deux Molière, est un acteur prodigieux. Il doit sa première statuette à son rôle tout de noirceur dans l’adaptation théâtrale de « The Servant » de Joseph Losey.
 
Et on le retrouva avec grand plaisir plus récemment dans « Berlin Berlin », campant un personnage loufoque et lunaire, performance qui lui valut sa deuxième récompense.
 
Ici, il conjugue ces deux aspects à la fois, alternant la bouffonnerie de Bitos et le délire inquiétant, parfois proche de l’hystérie, de Robespierre.
 
Les autres acteurs, Francis Lombrail en tête, se délectent de ce texte remarquablement écrit qui, d’évidence, permet à chacun de faire preuve de son talent.
 
La mise en scène de Thierry Harcourt donne un rythme soutenu aux trois actes de l’ouvrage. Elle s’appuie sur les décors de Jean-Michel Adam et les lumières de Laurent Béal, ainsi que sur les costumes  très soignés de David Belugou.
 
Une œuvre originale aux résonances intemporelles, dans une reprise très attendue qui s’avère parfaitement à la hauteur de nos espérances. Merci au Théâtre Hébertot pour la constante qualité de ses productions.


Alex Kiev

« Pauvre Bitos ou Le dîner de têtes » de Jean Anouilh
Théâtre Hébertot
78bis, Boulevard des Batignolles
75017 Paris

Du mercredi au samedi 19h
Dimanche 17h30

Publié le 14/02/2024 à 01:00 | Lu 2718 fois





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