Mères et filles : trois femmes, trois générations différentes et une histoire commune (film)

La réalisatrice Julie Lopes-Curval vient de sortir son tout dernier long-métrage : Mères et filles, un film avec Catherine Deneuve, qui dresse avec justesse, le portrait de trois générations de femmes. A voir.





Mères et filles : trois femmes, trois générations différentes et une histoire commune (film)
Dans les années 50, Louise (Marie-Josée Croze) a quitté le domicile conjugal alors que ses enfants étaient encore jeunes. Elle n’a plus donné signe de vie.

Sa fille Martine (Catherine Deneuve) est restée dans la petite ville de bord de mer où elle est devenue médecin.

Aujourd’hui la fille de Martine, Audrey (Marina Hands), la trentaine indépendante, revient rendre visite à ses parents. Elle va trouver par hasard un cahier ayant appartenu à sa grand-mère, un journal qui pourrait enfin expliquer son départ.

Eclaircira-t-il les non-dits qui altèrent depuis toujours les relations au sein de la famille ? Audrey y trouvera-t-elle les réponses aux questions qu’elle se pose sur son propre avenir ?

En salle cette semaine.

Entretien avec Julie Lopes-Curval, la réalisatrice de Mères et filles

D’où est venue l’idée de Mères et Filles ?

De manière très générale, j’avais envie de parler de la place de la femme aujourd’hui, et de l’évolution de sa situation depuis quelques années : le rôle qu’on lui assigne, la liberté qu’elle a pu gagner. C’est une chose à laquelle j’ai pensé pendant mes voyages à l’étranger avec mon premier film, Bord de mer.

Le fait d’être une jeune femme m’a sans cesse été renvoyé comme quelque chose d’étonnant. Ce qui me paraissait naturel semblait singulier ailleurs. J’ai fini par m’interroger sur la condition des femmes, et aussi sur ma propre histoire familiale. J’ai d’abord pensé à un documentaire, et puis je suis partie sur l’idée de trois femmes, de trois générations différentes.

J’avais envie d’une histoire dure, violente, qui montre comment l’absence de liberté, pour les femmes, est encore dans les mémoires. J’ai imaginé trois personnages : une femme libre d’aujourd’hui, avec la question : que fait-on de sa liberté ? Une femme « prisonnière », et ce qu’elle peut faire de sa prison. Et puis une femme prise entre ces deux générations. Cette réflexion, je voulais la cacher en quelque sorte dans une histoire simple en apparence : une femme enceinte se pose des questions, va dans sa famille, enquête... C’est important de cacher ce que l’on veut raconter et le raconter à travers chaque personnage, chaque situation, voir comment le particulier rend compte du général.


A partir de cette base, le récit s’est-il structuré rapidement ?

Oh non, l’écriture a été longue, je suis partie sur plein de pistes, il a fallu du temps pour que cette histoire se précise à Sophie Hiet, ma coscénariste, et à moi. A un moment, le film se passait dans la ville de bord de mer où a vécu Christian Dior. Le couturier lui-même était l’un des personnages, que la plus âgée des femmes regardait passer : il incarnait Paris, un fantasme de liberté. A un moment, une partie du récit se situait dans les années 70, on suivait la jeunesse de Martine...

Et puis il y avait l’idée de l’électroménager, dont les progrès ont libéré les femmes : Audrey a passé plein de moments dans son enfance dans cette cuisine, elle y était bien, elle en aimait les objets. Toutes ces idées se sont mises en place petit à petit, y compris le secret que je jugeais nécessaire pour révéler la violence de la condition des femmes.


L’histoire aurait-elle pu fonctionner sans le mystère du départ de Louise ?

Ce départ est quand même au centre du film ... Mais j’espère que l’histoire particulière de cette famille peut en évoquer d’autres car dans toutes les familles, il y a des histoires fortes. C’est ce qui fait que chacun a la certitude d’avoir une famille très particulière et une histoire à part. Après c’est plus ou moins lourd, plus ou moins difficile de vivre avec... Parfois, un fait passe au travers d’une génération pour venir se planter en plein coeur d’une autre. Le film raconte les arrangements avec la mémoire qui sont le fait de toutes les familles. Il est parfois nécessaire d’oublier.

Et puis se souvenir peut devenir vital à son tour. Comment on en arrive à se souvenir, c’est là-dessus qu’on a travaillé la narration : mort récente du grand-père, la grossesse d’Audrey et son silence, les disputes, tout cela bouleverse des relations familiales déjà tendues. La découverte du cahier, c’est comme si Martine se fissurait. Mais le film ne devait pas non plus être construit autour de la révélation d’un secret, la résolution d’une énigme, au contraire j’ai vraiment travaillé que ce soit à l’écriture, au tournage, au montage, à ne pas créer une attente, mais plutôt un climat.

Je crois que le moteur du film, c’est la maternité : l’instinct particulier que donne à Audrey le fait d’être enceinte. Comment elle en vient à porter en elle le fantôme de Louise, comment elle est habitée par quelque chose qu’elle ne comprend pas, qu’est-ce que ça engendre d’être mère. Et comment il faut arrêter avec l’image de la gentille maman.


Ce n’est pas autobiographique ?

Non, pas du tout. Même si j’ai, moi aussi, vécu des tensions avec ma mère. Mais nous avons toujours été très complices. S’il y a quelque chose de proche dans ma famille, c’est la difficulté à dire des choses simples. Il faut un long travail pour arriver à comprendre que, quand on vous dit une saloperie, ça peut être l’expression d’autre chose.

Comment avez-vous construit les personnages ?

Encore une fois, en cherchant à évoquer, à travers les personnages, des époques, des signes. Je voulais qu’Audrey ait cette quête de liberté, et en cela un caractère proche de sa grand-mère... Sauf qu’en cinquante ans les données ont vraiment changé : Audrey est libre, mais elle est un peu tendue avec cette liberté. En construisant d’abord sa vie professionnelle, elle a dû rater des histoires d’amour... Elle se retrouve enceinte d’un ami-amant et cette maternité l’angoisse. Et le fantôme de sa grand-mère qui l’accompagne, c’est sa mère Martine qui le lui a passé.

On peut deviner que Martine n’a que rarement évoqué sa mère, son enfance. Mais elle n’a jamais pu quitter sa ville natale, elle ne peut pas partir : c’est maladif, une peur panique. Elle a su préserver les apparences, elle a une vie de famille, c’est un médecin respecté, certainement très à l’écoute, très doux. Elle a plus de mal avec ses proches. C’est une femme fragile qui se protège.


Et Louise ?

Les scènes où elle apparaît ne sont pas des flash-back : ce sont des fantasmes, des images mentales d’Audrey. C’est son imaginaire, et c’est aussi vrai pour Martine enfant. Rien ne dit qu’elle ait vraiment été cette petite fille si dure. Mais j’avais envie d’une certaine vérité à l’intérieur de ce passé fantasmé : Louise vient d’un milieu modeste. Elle a sa beauté pour tout bagage, pour moi c’est un truc terrifiant, totalement injuste. On peut l’imaginer satisfaite un certain temps, mais les mots laissés dans le cahier témoignent de son malaise.

Comment résumeriez-vous les rapports entre Audrey et sa mère ?

Des rapports de culpabilité réciproque. Audrey souffre de la rigidité de sa mère, sans pour autant l’avoir rejetée totalement. Elle sent qu’il y a une blessure en elle, qu’elle imagine autour de l’abandon de la mère. Elle ne soupçonne pas l’ampleur de la blessure, à quel point leur relation est un malentendu. On est ici au-delà de la psychologie, parce que c’est toujours plus compliqué que la psychologie, et c’est comme ça que j’ai demandé à mes actrices de le jouer.

Diriez-vous que les personnages masculins sont faibles ?

Je n’en suis pas sûre, mais il faut aussi regarder autour de nous. Dans une famille, si le père est parti c’est une banalité ; si c’est la mère, la foudre tombe sur la maison... Mais le père d’Audrey reste, je pense, un pilier du couple : Martine ne s’en serait pas tirée, toutes ces années, sans lui. Et, sans lui, Audrey n’aurait pas supporté Martine... Quant au mari de Louise, c’est un geôlier, mais j’ai essayé de le sauver, un peu : je pense qu’on sent chez lui une vraie souffrance. C’est un homme qui a vénéré sa femme.

Le problème de ce couple c’est qu’il n’a plus de sexualité : lui la désire, elle ne veut plus être touchée. Non, mon désir n’était pas de les rendre faibles, au contraire, mais quand les personnages du premier plan sont des femmes, on dit que les hommes sont faibles. Non, l’ami d’Audrey est un chouette type, il vient la voir aussitôt, il veut l’enfant, il ne la force pas... Ces femmes-là sont dures, c’est vrai, mais les hommes ne sont pas faibles pour autant.


Comment avez-vous choisi les comédiennes qui allaient être ces trois femmes ?

J’ai écrit en m’inquiétant de qui allait être Martine. J’ai très vite pensé à Catherine Deneuve. Je lui ai envoyé le scénario via son agent, j’ai attendu, elle a accepté de me rencontrer. On s’est vu au Lutétia, j’avais une trouille bleue, et je m’étais dit une chose : si mon admiration pour elle m’inhibe, je ne pourrais pas travailler avec elle. Et puis tout s’est passé de façon très simple. C’est quelqu’un de direct. Elle arrive sur le plateau avec son expérience impressionnante, mais elle se laisse diriger, elle ne demande que ça. C’est une femme attentionnée et très exigeante.

J’avais très envie de travailler avec Marina Hands, et je savais que Catherine Deneuve en avait aussi le désir. Je crois qu’elles sont très crédibles en mère et fille. Elles se sont beaucoup appréciées. Marina est une comédienne fantastique d‘une puissance incroyable. Je l’avais vue au théâtre dans Phèdre, et j’avais été impressionnée par ce qu’elle faisait avec son corps... En voyant Lady Chatterley, j’ai eu ce sentiment rare qu’une actrice pouvait être littéralement un film. Il y a une pureté en elle, pas du tout innocente ou mièvre. Elle est étrange, parce qu’elle peut être très dure et, d’une nuance, devenir radieuse. Le personnage est complexe : c’est aussi une emmerdeuse !

Marie-José Croze est très différente : elle a quelque chose d’instinctif, elle réagit au quart de tour. Elle a été parfaite. C’est une actrice qui devient son personnage, souvent d’un film à l’autre je la trouve méconnaissable, elle réagit physiquement...

J’ai eu du plaisir à travailler avec chacun des comédiens de ce film. Des gens qui vous préservent des faux semblants, qui exigent que vous soyez là, au maximum de vous-mêmes. Et on a vraiment envie de leur trouver l’espace, l’espace dont ils ont besoin pour exister. La scène de dispute entre Audrey et Martine est très forte. Les deux femmes se disent des choses précises et cruelles.


Le film ne dit-il pas, à travers les destins de Louise et Audrey, qu’il n’y a pas de solution miracle ?

La liberté ne résout pas tous les problèmes... Mais elle est tout de même profondément préférable. Elle exige une connaissance de soi beaucoup plus grande, on ne peut pas tout être à la fois, mais les portes sont relativement ouvertes à un tas d’expériences. Après, la difficulté est d’être en confiance avec ses désirs propres. La liberté c’est drôlement compliqué. C’est peut-être ce qui rend les gens de ma génération plus avides de comprendre ce qu’est leur passé, pour trouver une ligne, une continuité ou tout simplement une entente... Audrey est comme cela, elle a besoin de comprendre.

Article publié le 08/10/2009 à 18:02 | Lu 5574 fois