Lien vers la partie 1
Proposition n° 1 : Entrer dans une spirale vertueuse de la prévention en santé cognitive et de la lutte contre les inégalités sociales en santé. Une telle entreprise débute par l’accès à une éducation de qualité pour le plus grand nombre et se termine par la lutte contre l’isolement et le confinement à domicile.
Progresser dans la voie d’un vieillissement réussi à la fois au travail et grâce au travail
L’arrivée à la cinquantaine des « baby-boomers », conjuguée à une entrée sur le marché du travail de plus en plus tardive, ont conduit à un vieillissement progressif de la population active. L’étude des conséquences de ce phénomène sous l’angle du vieillissement cognitif invite à considérer deux aspects complémentaires.
D’une part, l’impact de l’activité professionnelle sur le déclin des capacités intellectuelles ; d’autre part, les effets des évolutions cognitives en matière de performances et d’intégration professionnelles. Des questions particulièrement intéressantes en ces temps où les taux d’emploi des seniors sont bas et où parallèlement l’âge du départ à la retraite est mis en débat.
Le travail : facteur de préservation ou d’usure cognitives ?
La vie professionnelle en tant que source potentielle de tâches cognitives, d’interactions sociales mais aussi de pénibilité, peut être facteur de préservation comme d’usures cognitives. L’enquête européenne SHARE (Survey on Health Ageing and Retirement in Europe), axée sur les questions sanitaires et socioéconomiques liées au vieillissement, inclut des tests cognitifs et des questionnaires relatifs aux activités sociales (professionnelles, loisirs, bénévolat, etc.). Ses résultats révèlent que garder une activité professionnelle permet de différer le vieillissement cognitif d’environ 1,3 année. Par ailleurs, l’analyse par pays montre que les personnes âgées voient leurs capacités intellectuelles mieux préservées dans les pays où la retraite est fixée à 65 ans par rapport à ceux où elle est plus précoce.
Cependant, il convient de nuancer ce premier résultat global : l’effet de la fin de la vie active sur le déclin cognitif dépend à la fois du contenu du travail et de ses conditions d’exercice. Des données suggèrent ainsi que l’impact positif de rester en emploi n’est présent que pour les métiers complexes nécessitant de la flexibilité cognitive. Deux propriétés des environnements de travail sont identifiées comme favorables à une préservation cognitive dans l’âge : « la première est l’effort cognitif, c’est-à-dire la sollicitation élevée des capacités intellectuelles : c’est la dimension intensive. La deuxième est le sentiment que ces efforts sont récompensés par des bénéfices à la fois cognitifs (création de nouvelles ressources) et motivationnels (expérience gratifiante donnant envie d’aller plus loin) : c’est la dimension créatrice ».
Parallèlement, les personnes exerçant des professions mobilisant moins les facultés intellectuelles ne semblent pas bénéficier au niveau cognitif du maintien dans l’emploi, au contraire. En effet, si pendant longtemps seule était considérée l’usure physique due au travail, désormais est identifiée une usure psychique. Ce préjudice serait lié en particulier à des contraintes non cognitives : un environnement professionnel inadapté et très sollicitant mettrait en difficulté le salarié vieillissant.
L’étude VISAT (Vieillissement, Santé, Travail) souligne par exemple les effets négatifs de l’exposition à un stress prolongé et à des horaires atypiques sur les capacités mnésiques, à l’instar du travail de nuit qui désynchronise les rythmes biologiques et qui est particulièrement mal supporté par les travailleurs âgés. Des études ont ainsi montré que le fait d’exercer un travail posté perturbait les fonctions cognitives avec des atteintes dont l’ampleur dépendait de la durée d’exposition, et qui étaient potentiellement réversibles.
Par ailleurs, le sentiment de ne pas s’épanouir dans son travail, de ne pas être capable de remplir ses fonctions, de consentir des efforts stériles, conduirait souvent à une baisse de la motivation, de la confiance en soi et in fine des compétences cognitives.
Proposition n° 2 : Reconnaître les altérations cognitives dans les risques de santé au travail. Il semble nécessaire d’intégrer « la dimension santé cognitive » dans les débats actuels sur la pénibilité et l’âge de départ à la retraite en tenant compte des effets différenciés du maintien dans l’emploi sur la cognition (préservation vs usure) en fonction du contenu du travail et des conditions de son exercice.
Seniors, travail et formation : créer des environnements capacitants
En France, le taux d’activité des seniors, avec 38,2%, continue d’être inférieur à la moyenne européenne (45,6 %)16. Le maintien de cette classe d’âge dans l’emploi se trouve confronté à plusieurs obstacles, parmi lesquels les discriminations dont elle est victime. En effet, bien souvent, les employeurs ont de nombreux préjugés sur leurs employés les plus âgés : manque de flexibilité, de capacités créatrices, d’initiative, d’autonomie, diminution de la vitesse d’exécution ou encore trop grand perfectionnisme. Cette défiance des entreprises à l’égard de « l’offre des facultés cognitives » et de la performance des plus de 50 ans est un facteur puissant de leur éviction.
L’hypothèse d’une diminution de la productivité avec l’âge, ou tout du moins celle d’un décrochage entre le salaire et la productivité, sont souvent invoquées pour expliquer la faible employabilité des seniors. Les études à l’appui de ces théories reposent sur une évaluation de la productivité individuelle par les supérieurs, par des tests psychométriques, ou enfin à partir d’enquêtes de « production à la pièce ». Elles concluent dans leur majorité à une relation en U inversé, c’est-à-dire où la productivité croît jusqu’à un certain âge, se stabilise, puis décline à partir de la cinquantaine. Cependant, l’estimation de la contribution de groupes de salariés définis par classe d’âge aux performances économiques de l’entreprise conduit à des résultats plus nuancés avec une croissance du profil de productivité jusque vers 40 ans, puis un maintien au-delà.
La divergence de ces données reflète l’accroissement avec l’âge de la variabilité interindividuelle en matière de performances cognitives. Certains seniors vont ainsi valoriser l’expérience et les connaissances accumulées en développant leurs capacités de réorganisations adaptatives. Ces travailleurs savent tenir compte des faiblesses qui les atteignent au fil des ans et les compensent dans la pratique, soit individuellement, soit dans l’organisation collective de leur travail. Il est désormais admis que les performances sont largement fonction des conditions de travail, certaines situations engendrant davantage de difficultés pour les plus âgés (horaires décalés, postures pénibles, etc.).
De telles données pourraient être propres à rassurer les employeurs. Cependant, même si des progrès étaient accomplis en matière de lutte anti-discriminatoire à l’égard des salariés âgés, encore faudrait-il que ces derniers veuillent continuer à travailler.
Selon l’étude VISAT, les situations de travail intellectuellement stimulantes sont celles où l’on sort le moins précocement de l’emploi. Ainsi, les personnes âgées de 52 ans qui déclarent apprendre de nouvelles choses grâce à leur travail, sont trois fois plus nombreuses que les autres à s’estimer aptes à rester en emploi jusqu’à la retraite. Par ailleurs, lorsque les personnes s’en jugent incapables, elles présentent un risque près de deux fois et demie supérieur de se trouver en arrêt maladie ou au chômage cinq ans plus tard, et une probabilité 30% plus élevée d’être à la retraite ou en préretraite au bout de la même période.
Comme le rappelle Anne-Françoise Molinié, « le jugement sur sa capacité à occuper son emploi jusqu’à la retraite renvoie à des possibilités d’influencer son environnement, d’avoir des perspectives, une reconnaissance de son état de santé et de l’appréciation portée sur les marges de manœuvre que l’on peut créer, individuellement et collectivement, dans la situation de travail présente ».
Proposition n° 3 : Promouvoir une gestion active des âges au travail. À l’heure où maintenir les seniors en emploi fait l’objet d’une politique nationale concertée, développer des environnements de travail « capacitants », c’est-à-dire qui permettent aux plus âgés de valoriser leurs savoir-faire, est tout à la fois nécessaire et possible.
Cette évolution implique d’engager des efforts en matière d’organisation du travail, d’optimisation de l’expérience professionnelle (choix de postes et de temps de travail adaptés) et de formation tout au long de la vie des salariés vieillissants (des formations plus régulières et qui, s’appuyant sur le vécu professionnel, restaurent la confiance).
C’est à ce prix que seront réalisés des progrès dans la voie d’un vieillissement réussi à la fois au travail et par le travail. La nouvelle loi qui incite les entreprises à développer des plans d’action seniors en fixant parmi les domaines d’intervention « l’amélioration des conditions de travail et de prévention des situations de pénibilité » et « le développement des compétences et des qualifications » pourrait y contribuer.
Proposition n° 4 : Multiplier les expérimentations en entreprise de bonnes pratiques en intégrant la dimension « préservation cognitive » aux critères d’évaluation. Il s’agirait d’évaluer les impacts de stratégies agissant tant sur les contraintes non cognitives (par exemple, mise en place de plages de récupération pour les personnes travaillant la nuit) que sur les contraintes cognitives (par exemple, environnements de travail calmes et où la pression temporelle est moins forte).
En outre, des formations de prévention en santé cognitive pourraient être proposées à tous les salariés afin de favoriser le maintien de la flexibilité mentale dans l’âge. Des formations à visée plus curative seraient, en complément, spécifiquement développées pour les seniors en fonction de leurs besoins et capacités.
Proposition n° 1 : Entrer dans une spirale vertueuse de la prévention en santé cognitive et de la lutte contre les inégalités sociales en santé. Une telle entreprise débute par l’accès à une éducation de qualité pour le plus grand nombre et se termine par la lutte contre l’isolement et le confinement à domicile.
Progresser dans la voie d’un vieillissement réussi à la fois au travail et grâce au travail
L’arrivée à la cinquantaine des « baby-boomers », conjuguée à une entrée sur le marché du travail de plus en plus tardive, ont conduit à un vieillissement progressif de la population active. L’étude des conséquences de ce phénomène sous l’angle du vieillissement cognitif invite à considérer deux aspects complémentaires.
D’une part, l’impact de l’activité professionnelle sur le déclin des capacités intellectuelles ; d’autre part, les effets des évolutions cognitives en matière de performances et d’intégration professionnelles. Des questions particulièrement intéressantes en ces temps où les taux d’emploi des seniors sont bas et où parallèlement l’âge du départ à la retraite est mis en débat.
Le travail : facteur de préservation ou d’usure cognitives ?
La vie professionnelle en tant que source potentielle de tâches cognitives, d’interactions sociales mais aussi de pénibilité, peut être facteur de préservation comme d’usures cognitives. L’enquête européenne SHARE (Survey on Health Ageing and Retirement in Europe), axée sur les questions sanitaires et socioéconomiques liées au vieillissement, inclut des tests cognitifs et des questionnaires relatifs aux activités sociales (professionnelles, loisirs, bénévolat, etc.). Ses résultats révèlent que garder une activité professionnelle permet de différer le vieillissement cognitif d’environ 1,3 année. Par ailleurs, l’analyse par pays montre que les personnes âgées voient leurs capacités intellectuelles mieux préservées dans les pays où la retraite est fixée à 65 ans par rapport à ceux où elle est plus précoce.
Cependant, il convient de nuancer ce premier résultat global : l’effet de la fin de la vie active sur le déclin cognitif dépend à la fois du contenu du travail et de ses conditions d’exercice. Des données suggèrent ainsi que l’impact positif de rester en emploi n’est présent que pour les métiers complexes nécessitant de la flexibilité cognitive. Deux propriétés des environnements de travail sont identifiées comme favorables à une préservation cognitive dans l’âge : « la première est l’effort cognitif, c’est-à-dire la sollicitation élevée des capacités intellectuelles : c’est la dimension intensive. La deuxième est le sentiment que ces efforts sont récompensés par des bénéfices à la fois cognitifs (création de nouvelles ressources) et motivationnels (expérience gratifiante donnant envie d’aller plus loin) : c’est la dimension créatrice ».
Parallèlement, les personnes exerçant des professions mobilisant moins les facultés intellectuelles ne semblent pas bénéficier au niveau cognitif du maintien dans l’emploi, au contraire. En effet, si pendant longtemps seule était considérée l’usure physique due au travail, désormais est identifiée une usure psychique. Ce préjudice serait lié en particulier à des contraintes non cognitives : un environnement professionnel inadapté et très sollicitant mettrait en difficulté le salarié vieillissant.
L’étude VISAT (Vieillissement, Santé, Travail) souligne par exemple les effets négatifs de l’exposition à un stress prolongé et à des horaires atypiques sur les capacités mnésiques, à l’instar du travail de nuit qui désynchronise les rythmes biologiques et qui est particulièrement mal supporté par les travailleurs âgés. Des études ont ainsi montré que le fait d’exercer un travail posté perturbait les fonctions cognitives avec des atteintes dont l’ampleur dépendait de la durée d’exposition, et qui étaient potentiellement réversibles.
Par ailleurs, le sentiment de ne pas s’épanouir dans son travail, de ne pas être capable de remplir ses fonctions, de consentir des efforts stériles, conduirait souvent à une baisse de la motivation, de la confiance en soi et in fine des compétences cognitives.
Proposition n° 2 : Reconnaître les altérations cognitives dans les risques de santé au travail. Il semble nécessaire d’intégrer « la dimension santé cognitive » dans les débats actuels sur la pénibilité et l’âge de départ à la retraite en tenant compte des effets différenciés du maintien dans l’emploi sur la cognition (préservation vs usure) en fonction du contenu du travail et des conditions de son exercice.
Seniors, travail et formation : créer des environnements capacitants
En France, le taux d’activité des seniors, avec 38,2%, continue d’être inférieur à la moyenne européenne (45,6 %)16. Le maintien de cette classe d’âge dans l’emploi se trouve confronté à plusieurs obstacles, parmi lesquels les discriminations dont elle est victime. En effet, bien souvent, les employeurs ont de nombreux préjugés sur leurs employés les plus âgés : manque de flexibilité, de capacités créatrices, d’initiative, d’autonomie, diminution de la vitesse d’exécution ou encore trop grand perfectionnisme. Cette défiance des entreprises à l’égard de « l’offre des facultés cognitives » et de la performance des plus de 50 ans est un facteur puissant de leur éviction.
L’hypothèse d’une diminution de la productivité avec l’âge, ou tout du moins celle d’un décrochage entre le salaire et la productivité, sont souvent invoquées pour expliquer la faible employabilité des seniors. Les études à l’appui de ces théories reposent sur une évaluation de la productivité individuelle par les supérieurs, par des tests psychométriques, ou enfin à partir d’enquêtes de « production à la pièce ». Elles concluent dans leur majorité à une relation en U inversé, c’est-à-dire où la productivité croît jusqu’à un certain âge, se stabilise, puis décline à partir de la cinquantaine. Cependant, l’estimation de la contribution de groupes de salariés définis par classe d’âge aux performances économiques de l’entreprise conduit à des résultats plus nuancés avec une croissance du profil de productivité jusque vers 40 ans, puis un maintien au-delà.
La divergence de ces données reflète l’accroissement avec l’âge de la variabilité interindividuelle en matière de performances cognitives. Certains seniors vont ainsi valoriser l’expérience et les connaissances accumulées en développant leurs capacités de réorganisations adaptatives. Ces travailleurs savent tenir compte des faiblesses qui les atteignent au fil des ans et les compensent dans la pratique, soit individuellement, soit dans l’organisation collective de leur travail. Il est désormais admis que les performances sont largement fonction des conditions de travail, certaines situations engendrant davantage de difficultés pour les plus âgés (horaires décalés, postures pénibles, etc.).
De telles données pourraient être propres à rassurer les employeurs. Cependant, même si des progrès étaient accomplis en matière de lutte anti-discriminatoire à l’égard des salariés âgés, encore faudrait-il que ces derniers veuillent continuer à travailler.
Selon l’étude VISAT, les situations de travail intellectuellement stimulantes sont celles où l’on sort le moins précocement de l’emploi. Ainsi, les personnes âgées de 52 ans qui déclarent apprendre de nouvelles choses grâce à leur travail, sont trois fois plus nombreuses que les autres à s’estimer aptes à rester en emploi jusqu’à la retraite. Par ailleurs, lorsque les personnes s’en jugent incapables, elles présentent un risque près de deux fois et demie supérieur de se trouver en arrêt maladie ou au chômage cinq ans plus tard, et une probabilité 30% plus élevée d’être à la retraite ou en préretraite au bout de la même période.
Comme le rappelle Anne-Françoise Molinié, « le jugement sur sa capacité à occuper son emploi jusqu’à la retraite renvoie à des possibilités d’influencer son environnement, d’avoir des perspectives, une reconnaissance de son état de santé et de l’appréciation portée sur les marges de manœuvre que l’on peut créer, individuellement et collectivement, dans la situation de travail présente ».
Proposition n° 3 : Promouvoir une gestion active des âges au travail. À l’heure où maintenir les seniors en emploi fait l’objet d’une politique nationale concertée, développer des environnements de travail « capacitants », c’est-à-dire qui permettent aux plus âgés de valoriser leurs savoir-faire, est tout à la fois nécessaire et possible.
Cette évolution implique d’engager des efforts en matière d’organisation du travail, d’optimisation de l’expérience professionnelle (choix de postes et de temps de travail adaptés) et de formation tout au long de la vie des salariés vieillissants (des formations plus régulières et qui, s’appuyant sur le vécu professionnel, restaurent la confiance).
C’est à ce prix que seront réalisés des progrès dans la voie d’un vieillissement réussi à la fois au travail et par le travail. La nouvelle loi qui incite les entreprises à développer des plans d’action seniors en fixant parmi les domaines d’intervention « l’amélioration des conditions de travail et de prévention des situations de pénibilité » et « le développement des compétences et des qualifications » pourrait y contribuer.
Proposition n° 4 : Multiplier les expérimentations en entreprise de bonnes pratiques en intégrant la dimension « préservation cognitive » aux critères d’évaluation. Il s’agirait d’évaluer les impacts de stratégies agissant tant sur les contraintes non cognitives (par exemple, mise en place de plages de récupération pour les personnes travaillant la nuit) que sur les contraintes cognitives (par exemple, environnements de travail calmes et où la pression temporelle est moins forte).
En outre, des formations de prévention en santé cognitive pourraient être proposées à tous les salariés afin de favoriser le maintien de la flexibilité mentale dans l’âge. Des formations à visée plus curative seraient, en complément, spécifiquement développées pour les seniors en fonction de leurs besoins et capacités.