Le « bien être » : un concept éculé qui se prend pour une science d’avenir ! Tribune libre de Christian Baumelle

Le « bien-être ». Un marché ! Avec des clients nomades en recherche perpétuelle d’un mieux être et d’une réalisation personnelle. Un débouché ! Pour les aigris du travail, en recherche d’un nouveau souffle. Tribune libre à Christiane Baumelle, psychosociologue retraitée, présidente de La TRAME et initiatrice de Cocon3S.


Que cherchent-ils sans cesse ? Quelle est leur quête ? Si ce n’est le bonheur ? Si ce n’est de se sentir exister pleinement jusqu’à leur dernier souffle ? Qu’est ce qui pousse tant de personnes à chercher toujours de nouveaux « soins » ou engagements, de nouvelles voies ou méthodes, de découverte, de compréhension de soi, de création de soi ? Car le bout du chemin est toujours plus loin ….

Quels sont les sens de cet engouement pour des approches de compréhension de soi, d’amélioration de la conscience de soi, via les énergies, le cosmos, les plantes, qui ont toutes des noms « exotiques », évocateurs pour les seuls initiés.

Que sont ces « compétences » nouvelles, à la portée de tous, qui veulent s’apparenter aux « soins », qui séduisent beaucoup de personnes en quête d’une reconnaissance « professionnelle » qu’elles n’ont jamais eue dans leurs autres rôles professionnels, et en quête –aussi- de revenus.

Parmi de nombreux seniors intéressés par les Cocon3S, qui ont comme point commun d‘être seuls, j’ai donc découvert une activité de recherche permanente de techniques, méthodes, théories, explications, personnes ressources, etc. afin de progresser dans un « mieux vivre » avec soi-même, avec sa tête, avec son corps, avec son ici et maintenant et avec son futur.

Ils trouvent des réponses, toujours partielles, qui laisseront la place à d’autres, après les avoir conquises comme étant les seules enfin attendues. Cette quête incessante, du bonheur bien sûr, cache, et en tous cas, a comme fonction, de cacher, le désarroi dans lequel les a laissés leur vie.

Ils manquent de mots pour exprimer leur vide intérieur, alors ils éloignent la solitude envahissante et l’angoisse qui l’accompagne, en s’intéressant de très près à un tas d’approches du « bien être ».

Ils se retrouvent dans des regroupements, stages, séminaires, etc. avec d’autres « adeptes » qui ont la même quête qu’eux, avec des chemins qui se croisent ; ils ont le sentiment de faire partie d’un mouvement, d’un groupe, d’une recherche et ils échangent adresses, informations, expériences, émotions, lectures, noms d’auteurs.

Ils ne se croient plus seuls et sont pris dans un mouvement mondial qu’ils choisissent comme leur nouveau projet de vie, mais ils sont simplement devenus un marché qui est entretenu et développé par des fournisseurs divers, et beaucoup d’opportunistes !

Le « bien être » est la nouvelle « science » mondiale qui fait écrire des tas de livres, dans toutes les langues, livres que je qualifierais d’insipides et de séducteurs, mais qui rapportent beaucoup au trio auteur-éditeur-formateur.

Le bien-être a ainsi créé de nouveaux « métiers » et cycles de formation, très peu réglementés, pas du tout contrôlés, qui laisse la voie libre à toutes sortes de pratiques, des plus honnêtes aux plus brumeuses. Le mythe du « soin » est toujours présent, sans qu’on ne parle jamais vraiment de « maladie ». Le potentiel de gens qui vont mal est immense.

Si ces pratiques ne font pas de mal, et peuvent même faire du bien à chacun -car s’occuper de soi est toujours salutaire-, elles ne font pas assez de bien à ceux qui auraient besoin de prise en charge réelle par des professionnels, médecins et psychologues. On doit le leur reprocher, car peu de responsables de ces regroupements ont le discernement ou l’honnêteté d’envoyer un participant malade se faire soigner.

Je remarque que beaucoup de ces personnes qui se disent « prestataires » sont mues par une envie de transformer leur vie, un projet de changement d’identité lié à l’acquisition de nouvelles « compétences », qu’elles soient du massage, du relationnel, du conseil, des plantes, des énergies, du travail corporel, etc. C’est bien pour elles, car être en projet, c’est vivre et faire quelque chose de sa vie. Quand à leurs clients, vont-ils mieux ?

Ces démarches nouvelles ne supportent pas la comparaison avec les références et techniques de la psychanalyse, de la psychologie, qui pourtant sont elles-mêmes en évolution et enrichissements permanents. On est sur des niveaux très différents et il ne s’agit pas de les opposer. Il s’agit simplement d’observer ces mouvements dans la société et de s’interroger sur leur sens. Pourquoi donc notre société a-t-elle été happée si facilement par ces nouvelles idées, croyances et pratiques ? Est-ce justement la baisse des croyances religieuses, autrefois imposées par les familles, qui aseptisaient efficacement les questions existentielles et maintenaient les culpabilités diverses.

Elles ne sont pas remplacées et laissent un vide et une liberté de choix vertigineuse et jouissive, qui fait la part belle aux gourous ou maîtres de tous poils.

Est-ce la rupture avec les générations précédentes qui se contentaient de « se réaliser » dans une vie programmée -enfance, mariage, enfants, vieillesse- à l’exception de quelques personnes célèbres parce que battantes, engagées, créatives… Nos hommes et femmes actuels, même seniors, veulent que leur vie soit intéressante, les remplissent et les valorisent jusqu’aux derniers jours.

Publié le 27/11/2009 à 05:01 | Lu 2561 fois