La mémoire : à quoi ça sert ? Avec le laboratoire Pileje

La mémoire est une activité biologique et psychique qui permet d’enregistrer, de conserver et de restituer des informations. Elle fait partie des différentes capacités mentales qui permettent l’acquisition et le maintien des connaissances et qui constituent la cognition : le langage, le raisonnement, l’attention, l’intelligence… Un peu complexe mais instructif et passionnant.



Classée en différentes catégories, la mémoire est un processus neurologique complexe au cours duquel de nombreuses régions du cerveau sont sollicitées. La mémoire a alors trois grands rôles : l’encodage (fixation de l’information et encodage sous la dépendance de la noradrénaline) ; le stockage (de l’information sous la dépendance de l’acétylcholine) et la restitution (des informations sous la dépendance de la dopamine).
 
A. La mémoire et sa fonction polymorphe

La mémoire est composée de différents systèmes et est divisée en deux grandes catégories, suivant le modèle d’Atkinson et Shiffrin formulé en 1968, à savoir la mémoire à court terme ou mémoire de travail et la mémoire à long terme.
 
La mémoire à court terme

La mémoire à court terme est essentielle à l’ensemble des activités cognitives. D’une capacité limitée, elle permet la réalisation de tâches nécessitant le maintien en mémoire d’informations disponibles pour un traitement immédiat. Elle a besoin de toute l’attention immédiate du sujet et est sollicitée en permanence, notamment pour suivre une conversation ou retenir un numéro de téléphone, le temps de le noter.
 
Dans la plupart des cas, les mécanismes neurobiologiques associés à la mémoire de travail ne permettent pas le stockage à long terme des informations qui sont stockées temporairement. Néanmoins, il existe des interactions entre le système de mémoire de travail et celui de la mémoire à long terme.
 
La mémoire à long terme

La mémoire à long terme permet la rétention d’informations pendant des jours, des semaines, voire toute une vie. Elle implique le transfert des informations initialement acquises vers une forme de stockage plus durable, stable et définitive.
 
Deux classifications ont été proposées pour distinguer différents types de mémoires à long terme :

- En 1972, Tulving a défini 3 classes : la mémoire sémantique, la mémoire épisodique et la mémoire procédurale.

- En 1992, Squire a suggéré que la mémoire à long terme était composée de la mémoire déclarative, composée des mémoires épisodiques et sémantiques, et de la mémoire procédurale ou non déclarative. C’est cette dernière classification qui est aujourd’hui retenue.
 
La mémoire déclarative

La mémoire déclarative se décompose en mémoire épisodique et sémantique. L’ensemble concerne le stockage de données qui peuvent émerger de la conscience et qui sont exprimées le plus souvent par le langage. La mémoire épisodique est la mémoire de tous les événements vécus de la vie quotidienne. Elle permet de se rappeler de moments passés et d’anticiper ce qui pourrait se passer le lendemain.

Les traits communs aux différents événements vécus s’amalgament les uns aux autres pour devenir des connaissances générales. Une fois les événements fixés, la mémoire est de moins en moins épisodique et devient sémantique. Cette dernière permet l’acquisition de connaissances générales et est considérée comme étant la mémoire du savoir et de la connaissance.
 
La mémoire procédurale ou non déclarative

Il s’agit de la mémoire des automatismes concernant l’apprentissage d’une habilité motrice ou d’un comportement et qui n’est pas accessible à la conscience. Elle permet de conduire, de marcher, de faire du vélo, sans avoir à réapprendre à chaque fois. Elle résulte alors de la répétition très fréquente d’une tâche. Son but est de faciliter tous les gestes de la vie quotidienne dont la prise de conscience est inutile. Cette mémoire inconsciente est appelée également « mémoire implicite » par opposition à la mémoire déclarative, appelée « mémoire explicite ». Globalement, les souvenirs de la mémoire déclarative se forment souvent facilement, alors que les souvenirs de la mémoire procédurale se forment après un long temps d’apprentissage et de nombreuses répétitions. En conclusion, la mémoire déclarative correspond au souvenir dans le langage commun, alors que la mémoire procédurale est plus proche de « l’habitude ».
 
B. Les différents systèmes de mémorisation

Il n’existe pas un seul et unique centre de la mémoire, mais plusieurs qui sont ainsi mis en jeu via des réseaux neuronaux distincts fonctionnant en étroite collaboration. Grâce aux progrès de l’imagerie médicale, les structures cérébrales impliquées dans chaque type de mémoire ont pu être caractérisées, à savoir le lobe temporal médian, le striatum, le néocortex, l’amygdale et le cervelet. Des structures comme l’hippocampe, l’amygdale et le néocortex jouent un rôle prépondérant dans les processus de mémorisation.
 
L’hippocampe est une structure cérébrale essentielle à la mémoire, localisée à la base du cerveau, au niveau de la partie médiane du lobe temporal. Cette structure sous-corticale du système limbique est située à la croisée des structures néocorticales et diencéphaliques. Cette position lui confère une responsabilité stratégique dans l’intégration des signaux extérieurs. Le rôle essentiel de l’hippocampe dans l’apprentissage et la mémorisation a été découvert par hasard en 1953 suite à une intervention chirurgicale.
 
Un patient souffrant d’épilepsie résistante aux traitements a subi une ablation des aires cérébrales où résidaient les foyers épileptiques. Après sa guérison, et bien que ce patient ait conservé des souvenirs antérieurs, il était incapable de se créer de nouveaux souvenirs. Or, l’aire cérébrale retirée du cerveau de ce patient correspondait à l’hippocampe. À partir de cette observation, d’autres expériences ont été réalisées chez les rongeurs. Suite à l’ablation de l’hippocampe, les animaux devenaient incapables de réaliser des tests d’apprentissage ou de retrouver une plateforme dans la piscine de Morris (test de mémoire spatiale).
 
Des études menées ces dernières années ont montré que l’hippocampe était le siège de nombreux phénomènes de plasticité comme la neurogenèse, des changements morphologiques des synapses ou des phénomènes intervenant dans l’apprentissage et la mémorisation. Les souvenirs, qui seront retenus à plus long terme, sont transférés à d’autres régions du cerveau comme le cortex, ce qui explique qu’après l’ablation de l’hippocampe chez un patient, les souvenirs anciens soient conservés.
 
L’amygdale est un noyau situé dans la région antéro-interne du lobe temporal, en avant de l’hippocampe et sous le cortex péri-amygdalien. Elle fait partie du système limbique et est impliquée dans la reconnaissance, l’évaluation des émotions et des stimuli sensoriels, dans l’apprentissage et dans les réponses comportementales et végétatives associées en particulier à la peur et à l’anxiété.
 
Les souvenirs encodés via l’hippocampe ne sont pas stockés directement dans leur intégralité. Une étape de consolidation est nécessaire afin que ces informations mnésiques soient conservées de manière durable. Une charge émotionnelle, accompagnant ces souvenirs, induit une libération d’adrénaline et de glucocorticoïdes par les glandes surrénales. Il en résulte ainsi une activation des projections de l’amygdale sur les structures clé de la mémoire permettant d’expliquer le rôle modulateur de l’amygdale sur les souvenirs émotionnels.
 
L’amygdale intervient dans deux systèmes :

• Le système non déclaratif, spécialisé dans le traitement des émotions principalement négatives. L’amygdale joue un rôle essentiel dans le mécanisme de mémorisation principalement lorsque celui-ci est associé à un événement désagréable.

• Le système déclaratif, concernant la mémoire épisodique. Lorsque les souvenirs sont marqués par l’émotion, l’amygdale entre en jeu pour renforcer la rétention mnésique. En effet, les émotions peuvent accroître l’éveil et faciliter la mémoire émotionnelle épisodique.
 
Le néocortex correspond à la partie la plus élaborée, la plus récente et la plus étendue de l’écorce cérébrale qui recouvre les faces latérales du cerveau. Cette structure cérébrale constitue la matière grise comprenant les corps cellulaires des neurones et des fibres non myélinisées. Il est impliqué dans les fonctions cognitives dites supérieures comme les perceptions sensorielles, la conscience, le raisonnement spatial ou la mémoire. Cette région est la partie de « stockage » des souvenirs à long terme.
 
C. Comment stocker durablement les informations ?

La modification à long terme de l’efficacité relatif à une synapse, zone de contact et d’échange entre deux neurones, est considérée comme l’un des mécanismes cellulaires impliqué dans la mémoire. Suite à l’intégration des stimuli extérieurs responsables des souvenirs, une étape de mémorisation est essentielle pour stocker de manière durable les informations dans le cerveau. Elle est constituée de deux mécanismes opposés mais complémentaires entraînant des modifications structurelles des synapses : la potentialisation à long terme (PLT) et la dépression à long terme (DLT) :
 
• La potentialisation à long terme (PLT)

Depuis les années 1970, la potentialisation à long terme est reconnue comme l’un des principaux mécanismes cellulaires de la mémorisation. Il correspond à une augmentation d’amplitude de la réponse post-synaptique à la suite d’une intense activation présynaptique. Celle-ci est généralement courte, moins d’une seconde, mais de fréquence élevée. Ce processus permet le renforcement durable des synapses entre deux neurones qui sont activés simultanément.
 
• La dépression à long terme (DLT)

La consolidation des souvenirs implique également une étape « d’oubli » de l’information qui permet de sélectionner les données à retenir et à stocker. Ce phénomène impliquerait un mécanisme opposé mais complémentaire à la potentialisation à long terme, la dépression à long terme, définie par une diminution de l’efficacité synaptique. Ce mécanisme, conduisant à la mise sous silence de la synapse, est impliqué dans la motivation, la récompense, les émotions, et influence l’apprentissage.
 
• Modifications synaptiques

Au cours de la mémorisation, les souvenirs consolidés sont transférés de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme. Ce phénomène de mémorisation est également défini par des modifications synaptiques telles qu’une augmentation du nombre de vésicules et de leur contenu en neurotransmetteurs et une amélioration de la libération de ces molécules, associée à un plus grand nombre de terminaisons présynaptiques.
 
D. La consolidation de la mémoire

Nos souvenirs ne sont pas acquis dans leur forme définitive. En effet, une mémoire récemment acquise est sensible aux interférences et à l’oubli. Elle doit subir un processus de consolidation de la mémoire qui lui confère ainsi stabilité et persistance dans le temps. La stabilisation et la conversation des souvenirs est le résultat d’une interaction temporaire entre l’hippocampe et différentes régions corticales, structures cérébrales permettant le stockage des souvenirs. Au cours de ce dialogue, l’hippocampe serait capable de réactiver les différents modules néocorticaux qui ont participé à l’encodage de l’information. La récurrence de ces réactivations assurerait ainsi le stockage d’une trace mnésique stable et durable au niveau néocortical.
Publié le 07/05/2015 à 01:00 | Lu 3283 fois


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