L'avenir : entretien avec la réalisatrice Mia Hansen-Love (film)

Le dernier film de Mia Hansen-Love, L’avenir, avec Isabelle Huppert et André Marcon, met en scène une femme senior qui vient d’être quittée par son mari, pour une autre... Ce professeur de philosophie parisien, dès lors confrontée à une vie et une liberté nouvelle, va réinventer sa vie. Le film est sorti le 6 avril dernier.





Plus que jamais dans L’Avenir, le destin de vos personnages n’est jamais figé, et vous filmez la vie comme une éternelle possibilité de recommencement.

J’ai un rapport ambivalent avec cette idée : comment croire à la liberté et au destin en même temps ? Cela crée une tension, entre la conviction qu’il faut accepter d’être emporté et celle d’un accomplissement possible dans ce mouvement que l’on ne maîtrise pas.
 
Vous êtes une jeune cinéaste mais vous vous affranchissez de cette question de l’âge en évoquant des périodes de la vie que vous n’avez pas physiquement traversées. L’Avenir est le portrait d’une femme de l’âge de votre mère. Quelle est l’importance de cette notion de génération dans votre cinéma ?

Je me suis toujours sentie en décalage avec mon âge, à un degré quasiment pathologique qui est un moteur pour mon écriture. Cela a nourri une mélancolie dont le cinéma m’affranchit. On écrit pour se libérer de ses démons tout en y revenant toujours. Quand je tourne, le sentiment de la distance au monde s’évanouit. Le rythme assez rapide avec lequel j’ai enchaîné écriture et tournage depuis dix ans vient d’une addiction à ce sentiment du présent retrouvé. Peu importe l’âge ou le sexe des personnages : quand je fais un film j’ai l’impression de coïncider complètement avec eux, et avec moi-même.
 
D’où vient Nathalie ? Comment s’est-elle construite dans votre imaginaire ?

Elle vient en partie du couple que formaient mes parents, de leur complicité intellectuelle, et de l’énergie de ma mère. Après, il y a la brutalité des ruptures et la difficulté pour beaucoup de femmes à partir d’un certain âge, d’échapper à une forme de solitude, chose que j’ai comme tout le monde eu l’occasion d’observer.
 
Mais j’ai écrit le film en pensant à Isabelle Huppert et Nathalie est donc devenue la rencontre entre ce qui est issu de mes souvenirs, observations, et elle, Isabelle. Le scénario de L’Avenir s’est écrit pour ainsi dire tout seul alors même que j’en redoutais le thème et ses effets sur moi. Le sujet m’effrayait par une certaine noirceur qui a trait à la condition féminine mais il s’est imposé. Quitte à y aller, j’ai voulu le faire sans peur, et sans autocensure. La peur, cela aurait été, par exemple : faire advenir une rencontre amoureuse pour rendre la fin plus optimiste. La censure, de faire de Nathalie autre chose qu’une prof de philo.

 
Plus j’ai avancé, plus j’ai pris conscience du lien entre l’enseignement de la philosophie telle que je l’ai vécue à travers mes parents et ce qu’est pour moi le cinéma. Ce qui m’a été transmis et que j’ai reproduit à ma manière,
c’est la quête de sens, un questionnement constant.

 
C’est aussi l’obsession de la clarté et le souci de l’intégrité. Dans le fond, pour moi, l’art ou la pensée sont deux chemins possibles vers une seule et même chose, qui est notre lien avec l’invisible. La force, le courage que nos interrogations, aussi angoissantes soient-elles, peuvent nous donner, sont au cœur du film.
 
Le cinéma est-il pour vous une manière d’explorer le processus intérieur d’une personne qui est toujours en devenir ?

Oui, c’est aussi la possibilité de faire ressentir l’existence, à travers une présence. Les films sont pour moi des portraits en mouvement et il n’y a que le cinéma qui puisse réaliser ça. C’est aussi bien fixer ce qui a trait au sensible, au charnel, au plus éphémère, que tenter d’ouvrir sur l’impalpable, sur l’infini.
 
Précisément, votre œuvre semble allier une peinture des mœurs à une écriture des âmes pour aller plus loin, film après film, dans la description d’une intériorité.

En tout cas, mes films sont tous dans cette quête et dialoguent les uns avec les autres. Il s’agit d’incarner un destin, essayer de lui donner du sens, sans que cela passe par des mots. Et sans que les histoires que je raconte finissent particulièrement bien, je cherche à la fois à exprimer une vérité, et à y trouver une forme de plénitude : c’est ça que j’attends du cinéma.
 

Entretien réalisé par Laure Adler. Paris, Janvier 2016


Article publié le 19/04/2016 à 12:13 | Lu 2886 fois