L’appareillage auditif en France : toujours un tabou ? (partie 3)

Suite à la présentation organisée la semaine dernière par l’Association France Presbyacousie de la grande enquête Euro Trak, rappelons que la presbyacousie, trouble de l’audition lié au vieillissement, est un véritable handicap à prendre en considération comme un étant un problème de santé publique : en effet, ces difficultés de l’audition -qui concernent 7.6 millions de Français- peuvent être à l’origine d’isolement et d’exclusion sociale. Profitons de la publication de cette grande enquête pour faire un point sur l’appareillage auditif, sur les solutions techniques et sur la perception des utilisateurs.


L’impact de la déficience auditive : handicap, isolement, exclusion

Quelques rappels - Les études en preuve :

- Le risque d’isolement. Il peut être souvent associé à la malentendance. Une enquête hollandaise menée en 2002 auprès de 3.000 personnes souffrant de pertes auditives attestait de l’appauvrissement des réseaux sociaux chez les personnes atteintes de déficiences auditives par rapport au reste de la population. Plus notable : cet isolement social ne se retrouvait pas dans des proportions équivalentes pour d’autres maladies chroniques comme le cancer, le diabète, les maladies rénales ou les maladies cardiaques… L’enquête menée en 2007 par l’association Hear-it confirme ces données : sept personnes malentendantes sur dix se sentiraient isolées et 39% éviteraient les rencontres nouvelles, préférant le repli au domicile.

- Les atteintes psychologiques et médicales. Les conséquences d’un tel repli peuvent être importantes. Le NCOA (National Council of Aging) a mené en 1999 une étude auprès de 2.000 personnes victimes de défaillances auditives, soulignant les risques renforcés d’anxiété et de dépression chez les personnes qui ne se traitent pas. Une récente étude à l’initiative du Grap (Groupe de recherche Alzheimer Presbyacousie), conduite entre 2004 et 2007, montre de son côté que le risque de développer une maladie dégénérative de type Alzheimer serait 2,48 fois plus élevé chez les sujets atteints de surdité qui ressentent une gêne sociale importante.

- L’exclusion sociale. Selon l’association Hear-It, une étude menée au Danemark montre qu’une personne sur cinq déficientes auditives abandonne ses recherches sur le marché du travail (étude réalisée par l’Institut Danois des recherches sociales, 2003). Le taux de chômage parmi les déficients auditifs était de 7.5% contre 4.8% pour le taux de chômage de l’ensemble de la population active danoise. Les trois-quarts (77%) des répondants trouvaient qu’ils avaient des difficultés à converser avec plusieurs collègues en même temps. Pratiquement la moitié (47%) d’entre eux dit souffrir d’une fatigue mentale contre 36% pour l’ensemble de la population et 51% se plaignaient de fatigue physique occasionnelle contre 31% pour le reste de la population.

En Norvège, une étude menée en 2004 sur 7.000 personnes confirmait que les personnes déficientes auditives ont plus de difficultés à trouver du travail. Environ 63% ont un emploi contre 71% pour l’ensemble de la population active.

En France, on ne dispose pas de chiffres comparables et sans doute cela reste-t-il à faire. Cependant, selon les enquêtes de France PresbyAcousie menées lors des campagnes d’Audiobus, parmi les visiteurs du bus, 25% des personnes en précarité étaient atteintes de déficience auditive. 21% d’entre elles disaient ne pas avoir pouvoir s’équiper d’une aide-auditive, contre 11% des autres visiteurs. La précarisation renforce l’impact de la malentendance et donc de l’exclusion.

L'appareillage : satisfaction à la clé

Les solutions techniques actuelles en appareillage auditif satisfont la grande majorité de leurs utilisateurs.

- Des solutions techniques améliorées

De trois types –contours d’oreille classiques qui représentent 89% du marché, miniaturisées « open » qui ne bouchent pas le conduit auditif, intra-auriculaires discrètes– les aides auditives ont évolué, et font preuve, pour les plus récentes, d’innovations techniques : la connexion sans fil au téléphone ou à la télévision, le respect de la directivité du son ou la détection de la source du son, les dispositifs anti-Larsen.

Ces améliorations expliquent certainement en partie, que les utilisateurs aient déclaré lors de l’enquête EuroTrak, que les appareils sont adéquats et fonctionnent bien dans la vie quotidienne et sont davantage satisfaits avec un nouvel appareil. Plus de neuf personnes sur dix, qui portent de nouveaux appareils auditifs -c'est-à-dire de moins de quatre ans d’âge-, se disent satisfaites de ces appareils. Toutefois, 68% des aides auditives actuellement en service ont été acquises par leurs utilisateurs en 2007 au plus tard, et ils ne peuvent donc bénéficier des récents progrès réalisés.

Appareillages : des technologies de mieux en mieux adaptées

- Toujours plus mini. Oubliées les grosses prothèses envahissantes, désormais, les modèles rivalisent de miniaturisation. Si les systèmes implantables invisibles à l’oeil nu (grâce à des microphones directement logés sous la peau) restent peu abordables, les aides classiques savent se faire oublier. Certaines ne font plus que le 1/5 de la taille des produits traditionnels.
- Toujours plus techno. Oubliés les sifflements qui agressent les tympans… des voisins. L’avènement des technologies numériques a révolutionné les offres grâce à des réglages bien plus précis, évitant pour le porteur l’effet « bruit de fond » qui pouvait saturer l’audition.
- Toujours plus design. Oubliés les gros contours d’oreilles en plastique gris. Qu’ils soient chromés, argentés ou plein de couleurs, les modèles jouent désormais la carte du design, de l’esthétisme et de la discrétion.

Interview du Pr Bruno Frachet, chef de service d’Oto-Rhino-Laryngologie, Hôpital Avicenne AP-HP, Bobigny

Le progrès attendu, le défi, c’est l’audition dans le bruit. L’électronique sait éliminer le bruit de fond continu, comme le bruit d’un moteur. Mais le bruit, c’est tout son que l’on ne désire pas entendre, Ce peut être aussi une conversation à laquelle on ne participe pas, d’où la difficulté à amplifier un son de même type, c'est-à-dire la conversation que l’on souhaite entendre. Le problème de l’effet Larsen est par contre désormais réglé sur les nouveaux appareils, comme ceux à embouts ouverts.

- Les bénéfices d’un usage constant

Plus on utilise son appareil auditif, plus on en est satisfait, c’est un autre enseignement de l’étude. Neuf personnes sur dix, utilisant leurs appareils auditifs plus de huit heures par jour, se disent satisfaites de leur appareil. Avec plus de huit heures d’utilisation quotidienne, les Français ont le score le plus élevé d’heure d’utilisation par jour, par rapport à l’Allemagne (7,7h) et au Royaume Uni (7,5h) : une donnée en corrélation avec un score de satisfaction net le plus élevé des trois pays. L’enquête Eurotrack 2009 montre également que la satisfaction passe aussi par le port d’un appareil datant de moins de deux ans. Il persiste cependant des situations dans lesquelles l’usage des appareils auditifs est moins satisfaisant : le téléphone, les environnements bruyants, et les conversations entre interlocuteurs nombreux.

- Une meilleure qualité de vie

Au total, 86% des utilisateurs sont satisfaits de leurs appareils auditifs. Ils affirment, dans la même proportion, que leur appareil a une influence positive sur leur vie, surtout sur la communication et dans les relations privées. L’enquête montre aussi que les plus grands bénéfices des appareils auditifs sont les suivants : être capable de converser avec une personne, de regarder la télévision en famille ou avec des amis, d’écouter de la musique et de participer à des réunions. Les appareils auditifs ont, à l’évidence, une influence positive sur la capacité de communiquer, sur la vie sociale, sur la participation aux activités de groupe et sur les relations privées. Ainsi pour les partenaires, la situation s’est améliorée dès qu’ils ont porté des appareils auditifs. Le bénéfice d’une meilleure audition n’est donc pas seulement individuel.

- Les défis encore à relever : l’information, un « malentendu » ?
Sur les cinq millions de personnes reconnaissant souffrir d’un déficit auditif, moins d’un tiers (31%) d’entre elles connaissent les conditions financières d’accès aux prothèses. Ce déficit d’information explique pour une grande part l’absence de recours à l’appareillage auditif, au détriment de la qualité de vie de la personne atteinte de déficit auditif. L’étude montre également les défis liés à la performance des produits proposés : la durée de vie des piles, la performance offerte par le produit comparativement à la dépense, la demande d’amélioration se faisant sur les bruits parasites (sifflements, échos et autres bruits parasites).

La valeur performance-prix est ainsi considérée comme prioritaire pour le client (33% des interrogés estiment qu’une amélioration est nécessaire), ainsi que l’utilisation en ambiance bruyante et la durée de vie de la pile (respectivement 27% et 26%). Une mention particulière est faite de l’effet Larsen (22% des interrogés). Les fabricants tiennent compte de ces remarques et les innovations technologiques les plus récentes ont permis d’améliorer très sensiblement les problèmes liés aux bruits parasites et au sifflement. De plus, les progrès continus dans le domaine des accumulateurs vont permettre d’améliorer les solutions d’aides auditives rechargeables.

Interview du Pr Bruno Frachet, Chef de Service ORL à l’Hôpital AP-HP Avicenne, Bobigny

Faut-il s’appareiller dès que l’on ressent une perte d’audition ?

Oui, dès que l’on ressent une gêne personnelle sociale dans différentes situations du quotidien. Il faut faire un essai d’appareillage après consultation. Les réticences sont nombreuses (stigmatisation, dysfonctionnement) mais on peut percevoir ainsi le bénéfice de l’appareillage. L’essentiel est de nouveau se sentir bien, de pouvoir de nouveau « faire ». Pour cela, il faut d’abord, tout simplement, essayer.

Perception de l’appareillage auditif en France : toujours un tabou ?

La première raison de l’absence de recours à l’appareillage auditif est d’abord le patient lui-même. C’est la particularité du déficit auditif : alors que l’on porte tout naturellement des lunettes pour la presbytie, la presbyacousie est souvent déniée, et les appareillages dévalorisés.

Ainsi, les raisons principales évoquées par les non-porteurs sont qu’« ils entendent suffisamment », et que les appareils sont –contrairement à l’opinion des porteurs– « inefficaces et inconfortables ». Cette perception ne correspond pas à la réalité : les trois-quarts (74%) des aides auditives actuellement en service ont fait l’objet d’un seul ou d’aucun retour pour réparation, ce qui montre que la performance technique des aides auditives est bonne. Le recours à l’appareillage est visiblement, dans l’étude, dépendant des catégories socio-professionnelles : le coût et la prise en charge étant des obstacles majeurs.

A la question : « Selon vous, auriez-vous une prise en charge partielle ou complète par la Sécurité Sociale, ou par une éventuelle assurance complémentaire ? », sur cent personnes non appareillées, 31 pensent qu’il n’y en a pas et 26 l’ignorent.

- Une forte déperdition des patients entre la consultation chez le médecin et la visite à l’audioprothésiste
A l’inverse, ce qui est déclaré comme avoir influencé positivement le recours à l’appareillage est l’aggravation de la surdité, et l’avis donné par l’otorhinolaryngologiste et l’audioprothésiste. L’étude constate une forte déperdition des patients entre la consultation chez le médecin et la visite chez l’audioprothésiste : même conseillées, les personnes malentendantes ne prennent pas la décision de s’appareiller.

Sur 100 personnes atteintes de déficit auditif :
• seules 72 consultent pour ce motif leur généraliste ou un oto-rhinolaryngologiste
. 40 reçoivent le conseil de se faire appareiller
• mais au final, ce ne sont que 30 qui exécuteront l’ordonnance et posséderont une aide auditive.
• C’est ainsi que 70 personnes malentendantes sur 100 restent pénalisées par la presbyacousie. Ceci est particulièrement vrai, l’étude le montre, pour les pertes légères d’audition, même si celles-ci peuvent avoir des répercussions importantes sur la qualité de vie.

Sur 100 malentendants, seulement 30 appareillés…
Les freins du passage à l’acte sont en fait multiples : insuffisamment informés sur les prises en charge (Sécurité Sociale, mais aussi mutuelle, voire prises en charge spécifiques au titre du handicap pour les surdités sévères), les malentendants craignent de porter des appareils insuffisamment efficaces et inesthétiques. Malgré l’arrivée d’une nouvelle génération d’aides auditives alliant efficacité et discrétion – comme les dispositifs intraauriculaires – le public craint encore la stigmatisation apportée par l’appareil auditif synonyme de grande vieillesse.

L’étude le montre : les personnes non encore appareillées préfèreraient (33% contre 22% pour un appareil de contour d’oreille), un appareil intra-auriculaire, et ceci en premier lieu pour leur invisibilité (pour 41% des interrogés de ce groupe, qui citent cette raison au premier plan).

Interview du Pr Bruno Frachet, chef de service d’Oto-Rhino-Laryngologie, Hôpital Avicenne AP-HP, Bobigny

Quelles sont à votre avis les mesures qui permettraient de convaincre les cinq millions de patients non appareillés, d’avoir recours à l’appareillage ?

Il y a un vrai problème de prise en charge financière. Les médicaments sont remboursés sur la base de leur efficacité, les aides auditives sont efficaces et pourtant très peu remboursées. Pourquoi cette différence ? Un premier succès obtenu est le remboursement de l’appareillage bilatéral, depuis 2003. Un dispositif actif, testable, efficace devrait être mieux pris en charge par la collectivité. Mieux remboursé ou dont le reste à charge devrait être plus léger. Le médicament peu efficace n’est pas ou mal remboursé… une prothèse vendue 1700 euros et remboursée 138 euros risque de faire croire à sa faible efficacité.

Quoiqu’il en soit, on anticipe tous les inconvénients de la prothèse auditive : le prix, la stigmatisation, les précautions à prendre pour la protéger de l’humidité, l’approvisionnement en piles… Mais avec l’installation progressive de la malentendance, il est difficile d’imaginer la restauration d’une audition satisfaisante. C’est bien ce rapport bénéfice / inconvénient qu’il faut démontrer au candidat. Rien ne vaut un essai d’appareillage auditif en bilatéral pour le convaincre. Il n’y a pas tant de dispositifs médicaux efficaces qu’on puisse essayer avant de les adopter…

La prise en charge financière en France

Le coût d’un équipement de deux appareils varie entre 1.400 et 4.400 € selon le type d’appareil et le distributeur.

- Vous avez plus de 20 ans : vous êtes pris en charge à 60% d’un montant forfaitaire unique de 199,71 € (seuls les moins de 20 ans bénéficient de prises en charge quasicomplètes). Les mutuelles prennent le relais et remboursent de 300 – 400 € par appareil.
- La CMU (couverture maladie universelle) permet la prise en charge intégrale d’un équipement de base. Les autres compléments de prise en charge relèvent du statut handicapé :
. MDPH (Maison Départementale de la Personne Handicapée)
. AGEFIPH (Reconnu travailleur handicapé)
. Possibilité de réduction d’impôt si vous êtes en activité
- L’allocation forfaitaire d’entretien annuelle qui couvre l’achat de piles ou accumulateurs, la fourniture de pièces détachées et les réparations, main d’oeuvre comprise. L’allocation s’élève à 65% de 36, 59 € soit un remboursement de 23, 80 €

NB : Il existe des accords de réseaux entre audioprothésistes et mutuelles avec des réductions importantes sur les prix pratiqués.

Publié le 29/11/2010 à 11:38 | Lu 3535 fois