L’aidant au cœur du soin : chronique de Serge Guérin

Depuis 2010, on célèbre le 6 octobre, la Journée Nationale des Aidant(e)s. Cette année, les festivités furent des plus discrètes. On peut trouver qu’une petite journée pour mettre en avant la réalité de l’engagement de quatre millions de personnes qui, chaque jour, chaque nuit soutiennent, accompagnent, écoutent un proche vieillissant ou malade chronique, ce n’est pas grand-chose...





Alors que la politique de santé doit être repensée et réorientée vers la prévention et l’accompagnement des personnes, les aidants informels, ou plutôt les aidantes, puisqu’il s’agit de femmes dans 60% des cas (cf. panel BVA/Fondation Novartis) forment une figure majeure de la société du soin (care en anglais).

Ces personnes assument une grande part du soutien et de l’attention auprès des plus fragiles : personnes vieillissantes, malades chroniques ou individus en situation de désavantage. Ces soutiens du « care » bénéficient d’une bien faible reconnaissance sociale alors qu’ils sont absolument nécessaires à l’économie générale du soin.

Dans une perspective sociétale, ces dernières années ont été marquées par deux changements majeurs dans le domaine de la santé : le lent passage d’une approche centrée sur le médical vers une vision plus globale du soin ; et l’intégration progressive –et encore très contestée- des proches dans la démarche thérapeutique.

Les médecins et les personnels soignants n’ont plus le monopole de « l’agir » même si les résistances sont encore vives. De plus en plus, les aidant(e)s, les familles, les proches sont parties intégrantes du monde de la santé et du soin. On prend la mesure, enfin, de l’importance de l’environnement social et humain dans la situation de santé de la personne.

Cette prise de conscience est d’autant plus notable que le monde de la santé connaît des transformations majeures : d’abord en raison de la contrainte financière et du déclin de la démographie médicale, mais aussi, du fait du bouleversement de la famille et des modes de vie des personnes. Ces changements structurels se déroulent sur fond de croissance du nombre de personnes âgées et de malades chroniques, d’augmentation de l’espérance de vie des malades chroniques et des personnes en situation de handicap.

Les aidant(e)s exercent une incroyable mission de service public à titre bénévole et sans grand secours de l’État. C’est un vrai et beau sujet politique : l’État qui recule partout laisse aux familles, à l’entourage, le « soin » de faire face à ces situations pénibles et délicates. A cet abandon, s’ajoute, souvent, un discours moralisateur sur le devoir d’agir auprès du proche malade ou vieillissant. Cette situation est-elle « normale » ? Comment doit-on articuler solidarité de proximité et solidarité collective ?

Dans ce cadre, l’accompagnement et le soutien aux aidant(e)s, relève possiblement de trois niveaux principaux d’intervention : les collectivités territoriales, l’entreprise et l’État. En ce qui concerne les collectivités territoriales qui sont en situation de proximité, l’enjeu est de développer des moyens et des structures solidaires de soutien de proximité (lieux de répit, accueil de jour et de nuit, politique de baluchonnage, mais aussi information et coordination, valorisation et formation…) pour accompagner ces personnes.

L’aidant au cœur du soin : chronique de Serge Guérin
De son côté, le monde des entreprises ne peut s’exonérer de la prise en compte des aidant(e)s. En effet, une grande partie des aidant(e)s, 46% exactement, exercent une activité professionnelle. Plus que d’assurer la conciliation vie d’aidant et vie professionnelle, il faut penser en termes de prise en compte par les entreprises des contraintes et des apports des aidant(e)s.

On ne sort pas indemne de cette expérience mais plus riches de connaissance, d’interrogations et d’attention aux autres ! Ce changement d’attitude implique donc, que les entreprises développent des politiques volontaristes : politique de sensibilisation de l’encadrement et de l’ensemble des salariés, formation et e-coaching, aménagements personnalisés d’horaires, passage à temps partiel, processus de VAE…

Lorsque les aidants doivent -parfois de façon transitoire, parfois à mi-temps- quitter leur emploi pour assumer l’accompagnement de leur proche, la prise en charge de leur cotisation sociale devrait pouvoir être prise par un fonds mutualisé. Il ne s’agit pas d’ajouter à la peine, la panne de revenus.

Plus largement, pour l’État, il s’agit à la fois d’agir sur le plan du symbole et d’œuvrer de manière opérationnelle. D’un côté, il importe de valoriser le rôle des aidants non pas comme des individus remarquables, ou des exemples d’une morale du sacrifice, mais comme le symbole d’une nouvelle manière d’inventer la solidarité dans un contexte totalement renouvelé, marqué par la réduction des moyens publics et la hausse des besoins du public. De l’autre côté, il importe de penser –et de financer- un ensemble de mesures fiscales et d’aides matérielles. Faut-il alors une forme de contrat qui implique des engagements de part et d’autres, dont celui, pour l’aidant de suivre une formation et d’accepter une forme de soutien ?

Il s’agit aussi de développer des moyens, et d’abord les filières d’aidant(e)s professionnels dans le domaine global du soin et, plus largement, du soutien aux personnes fragiles. Répondre aux attentes des aidant(e)s, c’est aussi prendre en compte les familles, les personnes malades et vieillissantes et la communauté de soin. C’est un premier pas qui doit nous engager à penser une société décente de l’accompagnement de proximité centrée sur la prévention. Face à la révolution du vieillissement, penser la question des aidants bénévoles ou familiaux est une nécessité.

Il est, en outre, passionnant de noter que la notion d’aidant -et leur implication et influence croissante- vient déconstruire le discours classique sur l’individualisme. La pression idéologique entendant réduire l’être humain à sa seule fonction de producteur et de consommateur, le discours normatif imposant la culture de la compétition et la recherche de l’intérêt personnel comme seul élément du lien social doivent rendre les armes devant la permanence des aidant(e)s. Les aidant(e)s, dont 18% soutiennent un proche avec lequel ils n’ont aucun lien institutionnel ou biologique, prouvent que le don reste un mode de relation à l’autre toujours vivant et actuel. L’idéologie de l’échange marchand n’a pas fait disparaître la réciprocité. Rendre plus visible et soutenir les aidant(e)s contribue à redonner sa chance à une société de l’interdépendance bienveillante et du « care »…

Serge Guérin
Professeur à L’ESG Management School
Dernier ouvrage La nouvelle société des seniors, Michalon, 2011

Article publié le 09/10/2012 à 09:40 | Lu 2259 fois