Du net et du lien, chronique par Serge Guérin

L’internet, totem de la modernité et du jeunisme, est-il producteur de lien social pour les plus âgés ? La réponse n’est pas si évidente que certains le voudrait. Pour les uns, le net est le vecteur idéal de rencontre et d’échange ; pour d’autres, c’est le diable qui crée et soutient l’égoïsme et la perte du sens du collectif. En fait, la réalité est, comme bien souvent, plus nuancée et dépend largement du contexte et de la sociologie des individus.


Ainsi lorsque les personnes sont, pour des raisons physiques notamment, en situation de relégation sociale, le net peut aider à produire du lien social et élargir le champ de perception à travers, d’une part, les échanges de mails avec amis, connaissances et surtout famille, dont les petits-enfants ; et, d’autre part, le « surf » sur des sites d’information ou de centre d’intérêt.

De ce point de vue, le mail permet à chacun de densifier ses relations sociales tout en restant, s’il le souhaite, dans sa logique et dans sa pratique, en écrivant à son heure et sans s’immiscer dans le quotidien de l’autre.

Si j’ai envie de faire un signe à trois heures du matin je peux le faire et le destinataire le lira à sa convenance et y répondra à son rythme. Longtemps, les médias, en particulier la télévision, ont structuré le temps en imposant une emprise sur les agendas des téléspectateurs, entraînant une sorte d’idéologie de l’instant.

De ce point de vue, les nouvelles technologies (e-mail, pod-cast…) offrent la possibilité d’une nouvelle maîtrise, une réapparition de son agenda, d’autant plus forte si elle n’est plus dominée par la sphère professionnelle. Ces outils peuvent donc contribuer à sortir l’individu de la confrontation inégale avec des médias totalisants.

Le réseau internet, et plus largement les supports numériques, sont des outils pas plus magiques que le micro-ondes… Ils sont ce que nous en faisons, ce que nous pouvons en faire. Le capital culturel et les qualités personnelles propres à l’utilisateur qui transforment l’outil inerte en véhicule de socialisation et d’imaginaire. Si les nouvelles technologies offrent de nouvelles opportunités à la production de liens sociaux, reste que le déterminisme technologique est un leurre tout juste bon à densifier le discours commercial des vendeurs d’équipements. .../...
Du net et du lien, chronique par Serge Guérin

Les usages sont dépendants des identités et des intentionnalités des récepteurs. Ils permettent aux plus âgés comme à d’autres, d’être des contemporains et de renforcer leur insertion dans l’interdépendance entre les hommes et les générations, ce qui est la définition même de la société. Le net peut contribuer à rapprocher les individus ou, à l’inverse, contribuer à produire de l’autisme numérique, à reléguer les êtres dans un vide fait de trop plein sans grand sens, à les plonger dans un présent sans histoire, à les perdre dans un monde sans racines.

Le fondateur de la sociologie, Durkheim, avait mis en avant que l’autonomie croissante des individus n’est pas négation de la société, pourvu que la solidarité se poursuive et se renforce. Les nouvelles technologies de la communication peuvent tout autant être des passerelles entre les hommes et des ferments de solidarité, que des vecteurs de l’isolement et de l’apartheid social et générationnel.

La technique est au service de nos choix collectifs, de la société solidaire que nous avons à (re)construire. En ce sens, il est essentiel de permettre aux plus grand nombre et aux plus âgés d’être mis au contact de la culture de l’internet. Il s’agit que chacun puisse démystifier l’outil.

Le reste, c’est-à-dire le plus important, concerne les usages, les besoins, les modes d’utilisation. Cela s’apprend et s’inscrit dans une approche bien plus complexe qui est fortement liée au capital social (formation, réseau …), au parcours de vie et à la structuration intellectuelle de chacun

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier Vive les vieux !, Editions Michalon

Publié le 01/09/2008 à 09:29 | Lu 4136 fois