Aptitude médicale à la conduite : faut-il généraliser le suivi médical ? La position de l’ACMF

A cette question récurrente, après chaque accident mettant en cause un conducteur malade et/ou âgé, l’Automobile-Club Médical de France a décidé d’apporter une réponse. Cette thématique étant devenue, ces dernières années, une question de santé publique, même si le nombre de sujets malades ou vieillissants qui continuent de conduire est marginal par rapport à la population des usagers de la route, comme le rappelle le Dr Michèle Muhlmann-Weill, Présidente du CFMT.


Certaines pathologies peuvent agir sur l’état de vigilance ou entraîner des risques de perte de connaissance ; affecter la qualité de la prise d’information pour la conduite ; dégrader les capacités cognitivo-comportementales nécessaires ; empêcher une manœuvre efficace et rapide ou gêner le maniement des commandes du véhicule.

C’est une intuition naturelle d’imaginer que des visites médicales systématiques de l’ensemble des conducteurs, et notamment des plus âgés, seraient un facteur d’amélioration de la sécurité routière. Ce n’est pourtant pas le point de vue des responsables de l’ACMF, partagé par beaucoup de spécialistes. Il n’y a en effet aucun argument épidémiologique permettant de valider une telle option. Les retours d’expérience des pays étrangers, qui ont validé un tel système, n’emportent pas non plus la conviction de l’efficacité.

Privilégier les solutions préventives et curatives plutôt que coercitives

Alors, faut-il ne rien faire ? L’ACMF encourage, au contraire, la prise en compte du problème de la conduite, gage d’autonomie et de liberté pour chaque citoyen, par l’ensemble des médecins et professionnels de santé.

L’ACMF rejoint en cela la dynamique proposée par la brochure « Pour une conduite adaptée à sa santé, médecins : quel est votre rôle ? », diffusée récemment aux médecins et professionnels de santé par les services de l’état et le Conseil National de l’Ordre des Médecins, et à laquelle l’ACMF a largement participé.

Ce document prône l’idée d’une prise en charge préventive et curative des pathologies susceptibles d’interférer avec la capacité de conduire, voire de devenir une contre-indication, au vu de l’arrêté du 31 août 2010, fixant la « liste des affections médicales incompatibles avec la délivrance ou le maintien du permis de conduire ». Tout en précisant que des aménagements du permis peuvent souvent être proposés par les médecins agréés par les préfectures, afin de préserver la possibilité de conduire en dépit de certaines pathologies ou handicaps.

C’est donc à une démarche de promotion de la santé globale, passant par la capacité de se déplacer librement qu’appelle l’ACMF, plus qu’à une politique coercitive de visites médicales obligatoires. L'ACMF considère que l'instauration d'un contrôle systématique de l'aptitude médicale de tous les conducteurs serait une mesure contraignante, coûteuse et disproportionnée par rapport aux bénéfices hypothétiques qu'elle apporterait sur l'accidentalité. L’association privilégie un travail de fond, entamé depuis plusieurs années avec le Collège Français de Médecine du Trafic et les différents groupes de travail existants, sous l’égide de la Délégation Interministérielle à la Sécurité Routière et la Direction Générale de la Santé.

Interview du Dr Michèle Muhlmann-Weill, présidente du Collège Français de Médecine du Trafic (CFMT)

Aptitude médicale à la conduite : faut-il généraliser le suivi médical ? La position de l’ACMF
Quel est le rôle du médecin face à l’aptitude à la conduite ?

Comme l’a rappelé le Docteur Sophie Fégueux, Conseillère Technique Santé du Délégué Interministériel à la Sécurité Routière : « Les médecins traitants connaissent leurs patients et savent que certaines de leurs pathologies peuvent remettre en question leurs capacités à conduire, temporairement ou définitivement ».

Les groupes de travail mis en place, conjointement par la Délégation Interministérielle à la Sécurité Routière et la Direction Générale de la Santé, à l’occasion de la concertation pour la promotion des capacités de conduite se sont donnés comme objectif la façon dont peut être appréhendée, dans un certain nombre de situations physiologiques et pathologiques, l’aptitude à la conduite et l’organisation du système de son évaluation médicale.

En effet, il s’agit d’aider le patient à se prendre en charge et se soigner pour pouvoir continuer à conduire le plus longtemps possible ; car la mobilité est garante d’autonomie et interdire la conduite automobile peut devenir un facteur de désocialisation. Il s’agit donc pour le médecin traitant de trouver avec le patient, et éventuellement sa famille, un équilibre entre la préservation de la mobilité et de sa vie sociale et sa sécurité et celle des autres en attendant que la règlementation autorise la délivrance de permis limités à certaines heures ou sur un certain périmètre : le médecin ne peut que conseiller un arrêt temporaire de la conduite à l’occasion de certaines pathologies ou de certains traitements -dont le risque pour la conduite figure sur les pictogrammes présents sur les boîtes- ou l’encourager à consulter un médecin agréé qui transmettra ses conclusions au Préfet, seul habilité à interdire la conduite ou à délivrer un permis aménagé ou de durée limitée.

Il n’est pas question d’interdire de conduire de façon arbitraire devant une pathologie. Les décisions à prendre dans chaque catégorie de pathologies sont recensées dans l’arrêté du 31 août 2010 et viennent d’être rappelées à tous les médecins dans la plaquette « Pour une conduite adaptée à sa santé ».

De même, il n’est pas à l’ordre du jour d’instituer des visites médicales périodiques pour tous les conducteurs : celles-ci ne concernent que les conducteurs professionnels qui doivent se présenter chez un médecin agréé.

Le rôle du médecin traitant -lié par le secret professionnel- est de délivrer au patient des informations sur sa pathologie et ses traitements, par rapport à la conduite automobile et de pratiquer une médecine de dépistage et de prévention pour que son patient puisse avoir, le plus longtemps possible, les capacités nécessaires à la mobilité dans l’espace public : la responsabilité de la conduite, s’il ne suit pas les conseils, appartient au seul patient.

Pourquoi le sujet de l'aptitude à la conduite revient sur le devant de la scène ?

L’insécurité routière est un problème de santé publique qui s’est développé grâce à une meilleure connaissance de l’épidémiologie de la traumatologie routière, initiée par Bernard Laumon avec le Registre du Rhône.

Toutes les catégories de population sont étudiées, ainsi que des facteurs variés comme l’influence de l’alcool, des stupéfiants, mais aussi des conditions de vie ou la pollution automobile. Certains usagers sont plus particulièrement exposés au risque d’accident ou plus vulnérables en cas d’accident. La modification des comportements dangereux, si elle repose toujours sur la peur du gendarme, doit s’appuyer également sur l’acceptation que les usagers de la route ne correspondent pas au modèle unique du conducteur idéalisé, tel qu’il a longtemps été pris en compte, mais de la grande diversité des usagers, en âge, en santé, en aptitudes, en caractères… La conduite automobile est une activité complexe qui nécessite des capacités physiques, physiologiques et psychologiques optimales. Mais être en bonne santé ne préserve pas des accidents et entre maladie et accident, la relation n’est pas linéaire.

Il faut distinguer l’aptitude du sujet sain qui peut, de façon transitoire, présenter un état de fatigue, être sous l’influence de médicaments ou d’une prise d’alcool : tout conducteur devrait savoir s’auto évaluer avant de prendre le volant.

Le nombre de sujets malades ou vieillissants qui continuent de conduire est marginal par rapport à la population des usagers de la route. Un examen médical peut permettre de dépister ou de prévenir des pathologies susceptibles d’altérer les capacités médicales de conduite.

Certaines pathologies peuvent :

-Retentir sur l’état de vigilance ou entraîner des risques de perte de connaissance ;
-Affecter la qualité de la prise d’information pour la conduite ;
-Dégrader les capacités cognitivo-comportementales nécessaires à la rapidité et à la précision des mouvements complexes qu’implique la conduite d’un véhicule ;
-Empêcher une manœuvre efficace et rapide ou gêner le maniement des commandes du véhicule.

L’arrêté du 31 août 2010 rappelle la liste des affections médicales incompatibles avec l’obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée limitée. Si cette liste était connue, comme cela devrait l’être de l’ensemble des médecins et des usagers, il n’y aurait pas l’agitation médiatique qui survient chaque fois qu’une personne âgée ou handicapée est impliquée dans un accident. Les propos, tenus ou écrits à cette occasion, témoignent de l’absence de connaissance en accidentologie des différents intervenants et d’une volonté de chercher l’erreur chez l’autre, plus mauvais conducteur que soi-même.

Le vrai problème de l’insécurité routière est, en effet, la conduite sous imprégnation alcoolique et les comportements de prise de risque avec l’absence de respect des limitations de vitesse, deux premiers facteurs d’accidents graves touchant une population jeune ! Cet emballement pour mettre en cause la santé des conducteurs ne repose que sur des études épidémiologiques partielles et ne tient pas compte du fait que la dépendance, par perte d’autonomie consécutive à la conduite, nécessite la mise en place de modalités coûteuses de compensation sociale car, comme l’a confirmé la loi du 11 février 2005, la mobilité est un droit.

Ce congrès va être l’occasion de rappeler qu’un accident est toujours multifactoriel, certains facteurs étiologiques ayant des effets aggravant le sur risque d’accident, d’autres les diminuent. La responsabilité des accidents doit être partagée entre l’usager, les aménageurs de la route et les constructeurs.

Publié le 28/11/2012 à 08:08 | Lu 3187 fois