Alzheimer : le professeur Dubois de l’UPMC fait le point sur la recherche

Il vous est arrivé d’oublier un rendez-vous ou le nom d'une personne ? Vous avez déjà laissé vos clefs sur la porte ? Vous avez un mot sur la langue ? Vous cherchez désespérément l’endroit où vous avez garé votre voiture ? Rassurez-vous, tous ces « trous de mémoire » ne font pas de vous une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. Comme en témoigne Bruno Dubois, professeur à la Faculté de médecine Pierre et Marie Curie (UPMC).


La maladie est-elle bien diagnostiquée en France ?

Bruno Dubois : non, seule la moitié des patients est aujourd’hui identifiée. Le nombre de malades est estimé en France à plus de 800.000 avec plus de 160.000 nouveaux cas par an.
 
La maladie est liée à l’âge : sa prévalence augmente de façon exponentielle avec le vieillissement. Mais elle n’est pas dûe à l’âge : un début précoce avant 65 ans n’est pas rare…
 
L’insuffisance dans le diagnostic peut s’expliquer par plusieurs facteurs liés au patient lui-même qui n’est pas conscient de son état (agnosie) ; à l’entourage qui confond souvent vieillissement normal et déclin pathologique de la population âgée ; au médecin qui fait difficilement la part entre une affection dégénérative et le retentissement cognitif de troubles sensoriels ou d’affections générales (polypathologie).
 
Quels sont les signes annonciateurs de la maladie ?

B.D. La maladie d’Alzheimer est une affection neurodégénérative progressive du cerveau responsable de troubles cognitifs et comportementaux.
 
Les troubles de mémoire en sont généralement le premier signe. Mais dans un monde de surinformation, il n’est pas surprenant de saturer notre mémoire et n’importe quel petit trouble de rappel va occasionner une grande inquiétude. Il ne faut pas confondre plainte attentionnelle et maladie de la mémoire.
 
Dans le cadre de la maladie d'Alzheimer, le patient oublie des événements de son passé récent pour ne jamais s'en souvenir (troubles de la mémoire épisodique). Il s’y associe d’autres troubles cognitifs. Par exemple, la personne ne sait plus utiliser un ustensile de cuisine alors qu’elle était un fin cordon-bleu. Son discours devient incohérent, son orthographe et son écriture sont affectées (troubles du langage). Elle égare ses effets personnels ou les range dans des endroits insolites (troubles des fonctions visio-spatiales et exécutives).
 
Le sujet oscille entre agressivité, irritabilité ou hyper-anxiété (troubles psycho-affectifs), il peut exprimer une conviction anormale (délires) et ne semble plus motivé pour entreprendre les actions de la vie quotidienne ou ses hobbies (apathie). Tous ces symptômes s’immiscent progressivement dans la vie courante et, entrainent une diminution de l’autonomie du sujet et vont créer un état de dépendance.
 
Où en est la recherche sur la maladie d’Alzheimer ?

B. D. D’une façon générale, on peut considérer que la recherche médico-scientifique s’opère à trois niveaux. La recherche clinique se fait à l’hôpital et est centrée sur le patient qui détient le « secret de sa maladie » et que nous essayons de percer par différentes approches possibles : l’examen, les tests cliniques mais aussi les prélèvements, sanguins ou de liquide encéphalo-rachidien, les biopsies (même post-mortem)… Les informations collectées aident la recherche fondamentale à produire des modèles de la maladie, qu’il s’agisse de modèles animaux, cellulaires, voire génétiques.
 
La recherche industrielle ou thérapeutique se fait, quant à elle, dans les laboratoires pharmaceutiques. Il manque, à mon sens, un chaînon dans ce triptyque idéal : ce sont les personnels intermédiaires comme les attachés de recherche clinique, les infirmières de recherche, les techniciens d’étude clinique que l’hôpital ne peut pas prendre en charge.
 
Que sait-on exactement de cette maladie ?

B. D. On ignore encore la cause, mais on connaît les lésions et les mécanismes. Une protéine amyloïde produite en excès est insuffisamment éliminée par le système de clairance (capacité d'un tissu, organe ou organisme à éliminer un fluide). En conséquence, cette protéine s’agrège dans le cerveau sous forme d’amas ou de plaques sans doute à l’origine de la dégénérescence des neurones.

Peut-on espérer trouver un traitement dans un avenir proche ? A quand un vaccin ?

B. D. En 1999, Dale Schenk, chercheur à Elan Pharmaceuticals, a travaillé à la mise au point d’un vaccin pour des souris transgéniques qui sur-exprimaient le peptide amyloïde. Les anticorps produits naturellement par les souris ont détruit les plaques amyloïdes et fait disparaître les lésions. Mais la technique transposée à l’Homme a déclenché une réaction immunitaire trop forte et une production d’anticorps trop agressifs. Dans 6% des cas, les sujets ont développé une encéphalite.
 
Nous sommes donc repartis vers des protéines beaucoup plus petites (6 à 7 acides aminés), moins toxiques et, nous espérons, suffisamment puissantes pour déclencher une réaction immunitaire efficace. Les études sont en cours, les premières données montrent que cette approche vaccinale agit déjà sur les lésions de la maladie. Cela n’est bien sûr pas suffisant et nous espérons que ces études en cours montreront un effet sur les symptômes eux-mêmes. Nous restons malgré tout sur la voie du vaccin : s’il n’éradique pas la maladie, il permettra une disparition partielle des lésions et aura une finalité diagnostique.

Qu’en est-il des biomarqueurs ?

B. D. Les biomarqueurs constituent une signature biologique de la maladie. Comme les lésions de la maladie apparaissent avant les symptômes, il est possible maintenant, grâce aux biomarqueurs, d’identifier des sujets porteurs de ces lésions. L’analyse par tomographie par émission de positons (TEP ou PET scan) et la ponction lombaire servent à repérer des sujets « cognitivement normaux » mais qui pourraient présenter les lésions de la maladie. Dans ces cas, le cerveau est capable de compenser l’effet des lésions (hyperactivité des neurones restants) jusqu’à l’apparition des symptômes.
 
Certains médicaments bloquent le processus lésionnel. Il reste à déterminer le moment le plus pertinent pour les administrer : quand les sujets sont déments ? Non… Quand ils sont au tout début de leur maladie ? Certainement. Voire même avant, en prévention secondaire. Nous sommes face à un paradoxe selon lequel nous pouvons espérer traiter une maladie dont on ne connaît pas encore la cause.

L’entourage familial et les proches sont essentiels…

B. D. Le caractère génétique de la maladie d’Alzheimer a été démontré, mais il ne concerne les patients que de façon exceptionnelle. Ces formes génétiques s’expriment toujours avant 55 ans. Cependant, une forme « jeune » n’est pas nécessairement d’origine génétique... Par ailleurs, la maladie d’Alzheimer est véritablement la maladie d’une famille, pas du patient seul. Il y a une morbidité importante chez les conjoints/aidants qui prennent eux aussi la maladie à bras le corps et qu’il faut prendre en compte. L’éducation des aidants est un objectif important pour une prise en charge optimale des patients.

Publié le 26/09/2013 à 09:10 | Lu 1225 fois