Alcool : sous-estimation des trous de mémoire dus à sa consommation

Boire pour oublier ? On ne croit pas si bien dire ! Une équipe de l’Inserm à Caen vient de montrer dans une étude qui sera publiée en juillet dans la revue « Alcoholism : Clinical and Experimental Research », que les autres patients alcooliques présentaient également des troubles plus ou moins graves des différentes composantes de la mémoire.





Alcool : sous-estimation des trous de mémoire dus à sa consommation
On considérait jusqu'à présent que l'alcoolisation chronique ne présentait d'effet toxique sur la mémoire que dans le cadre d'un syndrome amnésique sévère, dit syndrome de Korsakoff, rappelle le communiqué de l’Inserm. Ce syndrome, particulièrement handicapant, ne touche heureusement qu'une faible proportion de patients alcooliques et survient principalement en cas d'association avec une importante carence en une vitamine, la thiamine.

Les travaux dirigés par Anne-Lise Pitel, psychologue et doctorante au sein de l'unité Inserm de Francis Eustache, visaient à détailler précisément les déficits de la mémoire de ces patients atteints du syndrome de Korsakoff. Dans ce contexte, divers tests ont été menés chez un groupe de patients alcooliques Korsakoff, un groupe de patients alcooliques non Korsakoff et un groupe témoin non alcoolique.

Les chercheurs ont par exemple proposé à chaque sujet des trois groupes l'apprentissage de six mots présentés à six endroits et six moments différents. A la fin de la journée, les sujets devaient se souvenir du maximum de mots possible ainsi que des moments et lieux où ils avaient été présentés. Ces épreuves neuropsychologiques avaient notamment pour but d'évaluer les capacités des sujets à enregistrer puis récupérer les informations et leur contexte spatial et temporel d`encodage.

Contre toute attente, les résultats ont montré que les patients alcooliques, qu'ils présentent un syndrome de Korsakoff ou non, ont des troubles similaires de la mémoire, à différents degrés.

Il s'agit à la fois de perturbations de la mémoire épisodique (celle qui permet de se remémorer des événements, de se projeter dans l'avenir) et de la mémoire de travail (qui permet, par exemple, de se souvenir d'un numéro de téléphone juste après l'avoir regardé). Une première dans l'étude des troubles de la mémoire chez les patients alcooliques.

La seule différence observée chez les patients Korsakoff est un déficit plus sévère de la mémoire épisodique. Toutefois, chez les patients alcooliques non-Korsakoff, les déficits les plus sévères de la mémoire épisodique correspondent à ceux des patients Korsakoff aux troubles les moins sévères. Cette étude montre donc que même les patients alcooliques non atteints par le syndrome de Korsakoff présentent des troubles plus ou moins sévères des différentes composantes de la mémoire.

« A la lumière de ces résultats, il apparaît essentiel de réexaminer la théorie de la continuité des effets de l'alcool sur la cognition, proposée au début des années 70, puis abandonnée » explique Anne-Lise Pitel. « Nos travaux suggèrent aujourd'hui qu'il existe bien une progression régulière des atteintes mnésiques des patients alcooliques, mais indépendante des modalités de consommation d'alcool (quantité, durée, âge de début...). Le degré d'atteinte est probablement lié à une susceptibilité individuelle, peut-être génétiquement déterminée, aux effets de l'alcool sur le cerveau ».

Sachant qu'en France deux millions de personnes sont alcoolo-dépendantes, et qu'actuellement lors des sevrages on ne prend pas nécessairement en compte les troubles cognitifs des patients s'ils ne sont pas touchés par le syndrome de Korsakoff, les chercheurs estiment indispensable la mise en place d'une évaluation neuropsychologique systématique des patients alcooliques. Le dépistage de ces troubles permettrait, selon eux, d'améliorer les prises en charge, et d'éviter l'évolution vers l'amnésie ; d'autant qu'il existe des traitements préventifs contre le syndrome.

Article publié le 27/05/2008 à 07:21 | Lu 32975 fois