Maison de retraite, le droit à l’innovation (1ère partie), chronique par Serge Guérin

Voici quelques semaines, j’ai eu l’honneur de plancher pour conclure le Congrès de la Fnadepa, le réseau des directeurs de maison de retraite. Le thème de l’intervention proposé par les organisateurs de ce congrès était : « Directeurs de maison de retraite, osez ! ». Je me permets d’en présenter ici une synthèse qui sera publiée en deux parties.


Il est toujours un peu facile de prendre la pose et d’appeler les acteurs de terrain à prendre des risques, à sortir des sentiers balisés et à aller contre les idées reçues. Surtout lorsque l’on reste sur l’Aventin du sociologue, de l’expert, de l’intello, bref de celui qui n’a pas à se salir les mains !

Osez le terme même est osé… Il me rappelle le titre d’une nouvelle collection d’ouvrages chez l’éditeur coquin, La Musardine, qui connaissent un certain succès… « Oser faire l’amour ailleurs que dans votre lit », est d’ailleurs la plus grosse vente de cette collection qui comprend des titres plus… osés.

J’interviens donc au cours de ce congrès, alors que nous venons d’entendre et découvrir des témoignages et des retours d’expériences qui montrent justement la diversité et la force de l’innovation. La preuve a été donnée le matin même, que l’on peut agir, que dans un secteur réputé conservateur et délicat (ndlr : celui des maisons de retraite), il est encore possible d’innover et de mener des politiques humaines efficaces et pour le bien de tous. Cerise sur le gâteau : de nombreux exemples montrent que cela ne nécessite pas toujours la mobilisation de moyens énormes. Moyens qui de toute façon, ne sont pas prêts à être débloqués…

On s’aperçoit d’ailleurs que souvent, l’innovation est affaire de volonté, de regard et d’échange. Nul besoin de construire de grandes théories, de dépenser des sommes folles auprès de gourous plus ou moins inspirés qui proposent de vieilles recettes soutenues par un jargon lourd et prétendument « scientifique ». Je ne crois pas aux méthodes magiques, aux boîtes à outils universels pas plus qu’aux solutions miraculeuses. Souvent, tout cela ne cache que l’absence de réflexion et de désir. .../...
Maison de retraite, le droit à l’innovation (1ère partie), chronique par Serge Guérin

Mais après tout qu’est-ce que l’innovation ? Souvent, la pédagogie et la facilité nous font commencer par ce que ce n’est pas : l’innovation ne passe pas par la médiation de la technique. La technique reste un outil, un support au service, ou non, de l’innovation. Certes, un outil ou une technique peut servir de support transitionnel pour permettre des changements, des remises en cause. Cela peut rassurer et fédérer. Mais le plus souvent, on se focalise sur la nouveauté technique pour cacher un déficit de réflexion, de courage et d’innovation.

Vous ne savez pas comment améliorer l’école ? Pas de problème, il suffit d’installer des ordinateurs dans les classes… Et bien sûr, le problème n’est pas là. Si l’on continue d’utiliser les mêmes recettes qui ont fait la preuve de leur inefficacité, mais cette fois-ci avec le joli vernis de la technologie « moderne »… Quel progrès ! Innover ce n’est pas changer pour changer, gesticuler en somme pour rien, pour du vent, pour de la communication… Taguieff parle de « bougisme ».

Qu’est-ce que l’innovation, sinon d’oser justement, de savoir se décentrer, sortir des chemins convenus sans pour autant tomber dans le ravin. J’aime la formule de Peguy : penser contre soi-même. La sociologie de l’innovation nous apprend que depuis toujours, le système fonctionne par la recherche de la nouveauté. Schumpeter parlait « de destruction créatrice ».

Il y un besoin de nouveautés, des auteurs comme Campbell l’ont montré, qui participe de la dynamique humaine. C’est le mythe de la nouvelle frontière de Kennedy. L’innovation répond aussi à ce que l’on appelle des effets mimétiques, pour reprendre la formule de Veblen, qui débouchent sur une forme de violence (voir René Girard), de la puissance de la volonté et du charisme de certains acteurs…

Innover, oser, c’est aussi exister, il ne faut jamais sous-estimer la puissance de la symbolique dans nos actes.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG, vient de publier Vive les vieux !, Éditions Michalon

Publié le 23/06/2008 à 10:25 | Lu 6442 fois