Vie intime des ainés : l'éclairage de Vincent Caradec, sociologue

La vie des gens, alors qu’on sait bien que le décès du conjoint est l’évènement le plus dramatique pour les personnes âgées, intéresse peu les politiques publiques qui sont centrées sur les réformes des retraites et sur les problématiques de dépendance et d’autonomie, sur le maintien à domicile, les Ehpad et le tournant domiciliaire.


Que pensez-vous des résultats de cette étude* ?
Il faut d’abord rappeler qu’il y a une forte hétérogénéité des générations du point de vue de leur histoire conjugale, avec de grands changements entre celles qui sont nées à la fin des années 1930 et celles nées au début des années 1960.
 
Dans les générations les plus anciennes, le modèle qui prévaut est celui d’un couple qui dure jusqu’au décès de l’un des conjoints alors que dans les générations les plus jeunes, les divorces et les remises en couple sont bien plus fréquents.
 
Un point intéressant de l’enquête est la manière dont les répondants décrivent la relation conjugale au long cours, en mettant en avant des termes qui caractérisent les relations amicales : la complicité, la bonne entente, les confidences.
 
Pour autant, même si elle n’est pas placée au premier plan, la sexualité reste une composante importante de la vie conjugale : trois-quarts des couples ont des relations intimes et 40% des conjoints qui n’en ont pas expriment leur insatisfaction.
 
Sur ce plan de la sexualité, les choses ont bien changé. Au début des années 1970, l’enquête Simon avait montré que la moitié des femmes de plus de 50 ans vivant en couple n’avaient plus de relations sexuelles. À partir des années 1970, il y a eu un changement dans les pratiques et les représentations.
 
Votre étude témoigne aussi de cette évolution. Parallèlement, il faut évoquer le nombre important de personnes qui vivent seules depuis longtemps (plus de 10 ans), à peu près 20% de l’échantillon de l’étude et c’est un chiffre qui mérite d’être mis en exergue.
 
Bien évidemment, comme dans d’autres études sur le sujet, on a des réponses très genrées sur le souhait de vivre à deux, qui renvoient à la fois aux chances objectivement inégales de se remettre en couple et au fait que beaucoup de femmes ne le souhaitent pas par souci d’indépendance et pour ne pas avoir à prendre en charge à nouveau les tâches du quotidien comme l’entretien du linge, le ménage et la cuisine.
 
Y-a-t-il des résultats plus surprenants que d’autres ?
J’ai été surpris par les résultats sur le pouvoir de séduction et la désirabilité du corps vieux, avec peu de différence entre les réponses des femmes et des hommes alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que les femmes âgées considèrent qu’elles ont un moindre pouvoir de séduction et qu’elles déclarent une
moindre désirabilité du corps vieux.
 
On s’éloigne ici des représentations usuelles et de ce qu’on appelle le double standard du vieillissement, à savoir une plus forte dépréciation du corps féminin âgé avec cette idée que les femmes vieillissent et que les hommes mûrissent.
 
Parallèlement, on peut noter l’importance de celles et ceux qui jugent qu’un corps vieillissant peut rester désirable. Les expériences des personnes qui vieillissent sont ainsi en décalage avec les représentations négatives et âgistes d corps vieux en général et du corps féminin en particulier.
 
Un autre résultat à souligner, c’est le nombre de personnes qui redoutent le jugement de leurs enfants s’ils étaient amenés à fréquenter une autre personne, 35% en global et 20% de ceux qui vivent seuls.
 
Ce chiffre interroge sur les relations d’interdépendance et de dépendance vis-à-vis des enfants et sur l’autonomie limitée, dans le sens premier du terme, d’une partie de la population âgée.
 
Je l’avais déjà constaté dans l’enquête que j’avais menée sur les couples qui se formaient à l’âge de la retraite : le jugement des enfants comptait, cela conduisait souvent ces couples à ne pas se marier,  à garder chacun leur maison pour que les enfants ne se sentent pas ou ne risquent pas de se sentir lésés, tout en exprimant, pour certains de ces conjoints âgés, leur volonté d’organiser leur vie comme ils l’entendaient, sans avoir à rendre de comptes à leurs enfants.
 
Comment vit-on la fin du couple après des années de vie ensemble ?
Il y a une grande diversité de réactions parmi les veuves et veufs. Le veuvage n’est pas forcément la fin du couple. Le partenaire décédé peut rester très présent. Dans les souvenirs, mais aussi dans le quotidien, par la force de l’imaginaire.
 
Aller au cimetière mais aussi continuer à discuter, lui demander des conseils, imaginer ce que l’autre
aurait dit. Et même dans les cas de recomposition conjugale, les anciens conjoints restent présents dans la relation.
 
Trouver un nouveau partenaire permet de vivre le mieux possible les années qu’il reste à vivre, mais aussi d’avoir quelqu’un avec qui on peut échanger sur sa vie passée. Parler de son ancien conjoint n’est pas du tout tabou. Pour ceux dont le conjoint était toute leur vie, pour ceux qui n’avaient pas de centres d’intérêt, d’activités et d’engagements à côté, c’est l’effondrement.
 
Chez les veuves, il y a une forte tendance à ne pas vouloir se remettre en couple et à se tourner vers  une sociabilité féminine, je pense par exemple à ces « amies de voyage » avec qui on part en séjour  organisé alors que tous les autres voyageurs sont en couple.

*« Rapport Vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées - Petits Frères des Pauvres - Septembre 2022 ». Réalisé à partir de l’étude CSA Research Avec le soutien financier de la Fondation des Petits Frères des Pauvres et de la CNAV (Caisse nationale d’Assurance Vieillesse).

Publié le 18/10/2022 à 01:00 | Lu 1922 fois





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