Vie intime des ainés : l'éclairage de Francis Carrier

Parler de sexualité permet aussi de casser le rapport de domination aidant-aidé, sachant/non-sachant. Parler de sexualité, c’est considérer l’autre comme son alter ego, c’est un levier d’évolution des relations qu’on peut avoir au sein des structures médico-sociales, au sein des structures d’aide à domicile ou dans l’accompagnement bénévole. Par Francis Carrier, fondateur de GreyPride.


Quels sont, pour vous, les résultats les plus marquants de notre étude* ?
Ce qui me marque le plus, c’est la corrélation pauvreté-solitude-femmes-absence de sexualité qui apparaît à de nombreuses reprises. Le tabou de la sexualité est genré.
 
Quand un homme âgé exprime du désir, même s’il n’est pas approprié, on dit de lui que c’est un vieux libidineux tandis que pour une femme, on dira d’elle que c’est une vieille folle.
 
Et cet aspect est intégré très tôt, une femme de plus de 50  ans fait l’apprentissage de son invisibilité en matière de sexualité car le tabou vient bien en amont de la vieillesse, il se construit tout au long de la vie.
 
Pour moi, contrairement, à ce qu’on veut nous faire croire, nous ne sommes pas dans une période de libération sexuelle mais dans une époque de contraintes sexuelles avec des images très précises de la sexualité que l’on peut avoir, réservée aux jeunes et aux beaux.
 
Ce qui me marque aussi, c’est le décalage ambigu entre l’optimisme affiché par les répondants de l’étude sur leur désirabilité et leur évocation d’un fort tabou dans la société qui fait qu’ils ne parlent à personne du sujet.
 
La société a un regard sur les vieux qui porte un message de dévalorisation qui les pousse à construire des stratégies d’évitement et à abandonner des pans de soi-même. Enfin, ce qui me dérange un peu dans cette étude, c’est qu’elle est très hétéronormée, l’orientation sexuelle des personnes n’est jamais
évoquée alors que les minorités sont fortement impactées par la solitude, l’isolement, la précarité.
 
Est-ce que les évolutions sociétales vont permettre aux personnes LGBT d’être moins exposées à
l’isolement ?

Les gens de mon âge ans font partie de la nouvelle génération qui a lutté pour ses droits et une visibilité alors que les anciennes générations étaient dans une stratégie d’effacement, d’évitement pour mettre en place leur protection.
 
L’isolement peut être vécu comme un outil de protection pour les minorités. On évite de se confronter à un regard qui nous diminue, qui nous rejette, qui nous met au ban de la société, qui nous considère comme différent alors qu’on ne se sent pas différent. Ce sont les autres qui nous voient vieux et différents, ce n’est pas nous-même !
 
Mais on reste confronté au tabou de la sexualité dans tout ce qui est vieillesse et institutions. Vieux = objet = soin. Aujourd’hui, on se préoccupe des besoins primaires, manger, dormir, accompagner, occuper. On nie l’histoire et les besoins existentiels des individus qui peuvent s’enfermer dans le silence.
 
On n’est plus sujet, on n’est plus dans la diversité, dans le choix ni dans l’intégrité. Très peu de vieilles et vieux LGBT qui vivent en établissement vont raconter leur histoire de vie, dire qu’ils ont vécu avec une femme ou un homme, que leur compagne ou compagnon est décédé.
 
Cette négation de leur histoire personnelle se fait auprès des résidents, du personnel comme des familles qui ont une perception très normative de ce que peuvent faire ou non leurs proches. Je pense aussi aux personnes séropositives âgées qui rentrent en établissement.
 
Les salariés n’ont aucune formation, on assiste à des phénomènes de rejet, d’isolement, voire même de refus d’accepter une personne séropositive dans un EHPAD de peur que cela nuise à la réputation de l’établissement. Il y a une nécessité de parler de la sexualité des personnes âgées comme il y a une nécessité de sortir de cette logique de seule satisfaction des besoins primaires.
 
On ne peut plus considérer une personne âgée en établissement juste comme un objet de soin. On l’ampute d’elle-même, on met en place un abandon du désir de vivre, on réduit les établissements à une salle d’attente pour vieux.
 
En quoi consiste le label GreyPride Bienvenue que vous venez de lancer ?
C’est plus une révolution culturelle qu’un label, c’est une démarche de transformation de l’accompagnement des personnes âgées et de celles du Grand Age.
 
Au départ, c’était motivé par l’invisibilité des vieux LGBT mais j’ai très vite compris que le tabou était sur la représentation de la sexualité et des besoins affectifs des vieux quelle que soit leur orientation sexuelle.
 
L’objectif est de dire qu’on ne peut pas se satisfaire, quand on parle de bientraitance, de répondre uniquement aux besoins primaires. Parler de sexualité permet aussi de casser le rapport de domination aidant/aidé, sachant/nonsachant.
 
Parler de sexualité, c’est considérer l’autre comme son alter ego, c’est un levier d’évolution des relations qu’on peut avoir au sein des structures médico-sociales, au sein des structures d’aide à domicile ou dans l’accompagnement bénévole.
 
GreyPride Bienvenue se traduit par une formation initiale, la nomination de référents au sein des établissements, une charte, des outils d’animation auprès des salariés comme des résidents et des familles et des fiches de situation pour répondre aux problématiques rencontrées, instaurer un dialogue au sein des équipes salariées et faire grandir une conscience collective à travers des échanges, pour prôner le respect et lever les peurs individuelles.
 
Mon ambition est que ces formations soient vulgarisées et fassent partie du socle de formation initiale de tous ceux qui interviennent auprès de personnes âgées.
 
*« Rapport Vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées - Petits Frères des Pauvres - Septembre 2022 ». Réalisé à partir de l’étude CSA Research Avec le soutien financier de la Fondation des Petits Frères des Pauvres et de la CNAV (Caisse nationale d’Assurance Vieillesse).

Publié le 12/10/2022 à 02:00 | Lu 2076 fois