Une journée pour se souvenir : interview du Pr. Marie Sarrazin

Toutes les données accumulées sur la maladie d’Alzheimer ces dernières années ont dynamisé la recherche et les nouvelles pistes de traitement suscitent beaucoup d’espoir. Le professeur de neurologie Marie Sarrazin fait le point sur les dernières avancées.


Même si nous en avons tous entendu parler, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la maladie d’Alzheimer ? Que se passe-t-il dans le cerveau ?
C’est une maladie neurodégénérative, c’est-à-dire que certains neurones du cerveau meurent progressivement. Au début, la mort neuronale est limitée aux régions cérébrales impliquées dans la mémorisation, ce qui explique les difficultés des malades à enregistrer des informations nouvelles.
 
Puis progressivement, lorsque les lésions diffusent dans le cerveau, d’autres fonctions intellectuelles et cognitives sont atteintes, entrainant une perte de l’autonomie. En cause : deux protéines, le peptide amyloïde et la protéine Tau, qui s’accumulent dans le cerveau sous forme d’agrégats et qui sont toxiques pour les neurones.
 
Ces protéines se propagent de neurones en neurones, ces derniers meurent progressivement d’où l’apparition puis l’aggravation des symptômes. En France on estime qu’il y aurait entre 800.000 et 900.000 personnes malades d’Alzheimer.
 
Cette maladie a des répercussions sur toute la famille, on considère par conséquent qu’il y aurait entre 2 et 3 millions de personnes directement concernées. C’est une maladie grave qui chamboule toute la vie de l’entourage. C’est pourquoi la recherche est essentielle pour améliorer sa prise en charge.
 
Selon vous, quelles sont les dernières avancées marquantes en matière de recherche ?
Concernant la recherche appliquée chez l’homme, une avancée me paraît très importante : aujourd’hui nous pouvons voir les lésions biologiques directement dans le cerveau des patients, grâce aux nouveaux outils d’imagerie cérébrale. Les protéines amyloïdes et Tau, qui sont les marqueurs protéiques de la maladie, n’étaient auparavant visibles que sur des coupes de tissu du cerveau réalisées dans le cadre d’études post-mortem.
 
Maintenant, avec des marqueurs spécifiques utilisés en imagerie par TEP (Tomographie à émission de positons), les chercheurs peuvent étudier les protéines responsables de la maladie, les quantifier, regarder leur topographie, suivre leur évolution. Ça a révolutionné la recherche sur la pathologie et ça permet aussi de tester l’efficacité des médicaments.
 
Car si on administre à un patient un médicament qui va cibler une protéine responsable des lésions cérébrales, on peut désormais voir directement dans le cerveau si la quantité d’agrégats protéiques diminue, et si on freine leur progression.
 
Côté recherche fondamentale, à l’aide de modèles de souris qui reproduisent partiellement la maladie humaine, les chercheurs ont réussi à mieux comprendre comment la maladie progresse dans le cerveau. Ils ont en effet démontré que les protéines délétères se propagent de neurones en neurones.
 
Quels sont les enjeux actuels de la recherche ?
En 2019, il y a deux enjeux importants. Le premier, c’est l’amélioration de la qualité du diagnostic pour éviter les erreurs. Pourquoi ? Pour prendre rapidement en charge les personnes malades, et leur proposer les quelques traitements existants. Car même si ces médicaments agissent uniquement contre les symptômes, et pas contre l’origine de la maladie, ils ont le mérite d’exister.
 
Le second enjeu évidemment c’est de développer des thérapeutiques spécifiques qui pourraient freiner, voire stopper, l’évolution de la maladie. Et c’est en comprenant encore mieux comment les protéines délétères se propagent dans le cerveau qu’on arrivera à stopper cette progression. Il restera peut-être des petits signes cliniques chez le patient, mais peu invalidants, et il pourra vivre avec.
 
Vous suivez des malades atteints d’Alzheimer mais vous êtes aussi chercheuse. Quels travaux menez-vous ?
Les recherches que je mène allient les compétences de différentes équipes : celles de chercheurs en biologie, en immunologie, en imagerie et de neurologues. Les collaborations sont cruciales en recherche. L’objectif de nos travaux est de mieux comprendre les mécanismes biologiques responsables des symptômes de la maladie, et aussi pourquoi la maladie est hétérogène, pourquoi elle n’évolue pas de la même manière d’un patient à l’autre.
 
Une des pistes que nous suivons est celle de l’inflammation, un processus qui vise normalement à lutter contre les intrus de l’organisme. Dans la maladie d’Alzheimer, la présence d’agrégats protéiques est associée à une réaction inflammatoire dans le cerveau. En fait, chez les personnes malades, un processus biologique inflammatoire complexe s’enclenche pour lutter contre ces agrégats, qui sont considérés comme des intrus.
 
Avec mes collègues, nous tentons d’en déchiffrer la chronologie et les différentes facettes. Nos travaux récents montrent que cette réaction n’est pas similaire chez tous les malades et pourrait jouer un rôle protecteur chez certains. Nous envisageons de débuter un essai thérapeutique en ce sens l’an prochain.
 
Une autre partie importante de nos travaux vise à améliorer le diagnostic des maladies dites apparentées, c’est-à-dire les amnésies qui miment un Alzheimer mais qui ne sont pas des Alzheimer car d’autres protéines sont en cause, mais aussi les Alzheimer sans amnésie qui sont loin d’être rares.

Pourquoi peine-t-on à trouver des traitements pour soigner la maladie d’Alzheimer ?
Les traitements proposés ces 10 dernières années ont été décevants. Tous les essais cliniques ont été négatifs. En fait, les laboratoires pharmaceutiques ont tous suivi la même piste. Les médicaments testés ciblaient chaque fois la protéine amyloïde, une des deux protéines qui s’accumule dans le cerveau des patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
 
L’accumulation protéique régressait chez les patients mais on ne réussissait pas à freiner l’évolution de la maladie. On sait aujourd’hui que cette protéine est certes responsable de la maladie, mais elle n’est probablement pas décisive dans les symptômes.
 
Toutes ces données accumulées, même négatives, c’est une source d’informations importante, ça donne une dynamique à la recherche. Evidemment il y a eu des déceptions pour les patients mais les choses bougent et il faut garder de l’espoir sur les nouvelles pistes et les nouveaux traitements.
 
Quels sont donc les espoirs de traitements, les pistes thérapeutiques suivies aujourd’hui ?
Les traitements en cours de développement visent à agir sur l’autre protéine, la protéine Tau, dont on sait le rôle essentiel dans les symptômes cliniques. Et là, on a bien plus d’espoir. Maintenant, est-ce que les molécules actuellement développées vont être tout de suite efficaces ?
 
Ça reste difficile à dire pour l’instant. D’autres pistes sont à l’étude, comme la piste sur l’inflammation, sur laquelle je travaille également et dont je vous ai parlé précédemment. La moduler permettrait de ralentir la progression de la maladie.
 
Pourquoi le financement de la FRM est-il décisif ?
Le soutien financier de fondations comme la FRM est essentiel parce que les financements de la recherche académique, celle que nous menons dans nos laboratoires et qui est indépendante de l’industrie privée, sont insuffisants. Les financements des fondations peuvent par exemple permettre de payer des salaires de jeunes chercheurs dont le rôle est essentiel au quotidien.
 
Les nouvelles technologies que nous utilisons en recherche, comme l’imagerie cérébrale ou l’imagerie cellulaire, sont très coûteuses. Si on n’a pas le soutien des fondations telles que la FRM pour nos recherches, on ne peut pas mener une recherche de qualité.
 
Auriez-vous un message d’espoir pour les patients et les familles ?
Il y a des choses qui bougent et on peut avoir de l’espoir pour les années à venir même si ça ne changera pas tout de suite le quotidien des patients. Il y a un gros décalage entre les avancées de la recherche et les avancées concrètes, quotidiennes, pour les familles. Il n’y a pas de raison que ça n’aboutisse pas et qu’on ne trouve pas de traitement. Il y a de l’espoir.
 
Mais la recherche ce n’est pas une progression linéaire. Il y a une part d’imprévisible. Si une piste s’avère efficace, ça peut booster toute la recherche et relancer aussi toute la dynamique des soins aux malades.
 
Marie Sarazin est Professeur de neurologie à l’université Paris-Descartes. Elle est aussi responsable de l’Unité de neurologie de la mémoire et du langage, à l’hôpital Sainte Anne qui est intégré au Groupe
Hospitalier Universitaire Paris Psychiatrie & Neurosciences. En plus de son activité clinique, elle mène des recherches dans l’Unité Mixte de Recherche BioMaps au service hospitalier Frédéric Joliot/CEA/ Inserm à Orsay.

Publié le 23/08/2019 à 01:00 | Lu 1426 fois