Une étude se penche sur les rapports éventuels entre les troubles de l’audition et Alzheimer

Selon la récente étude baptisée AcouDem*, menée à l’initiative du Grap (Groupe de recherche Alzheimer Presbyacousie) entre août 2004 et février 2007, à partir de 75 ans, le risque de développer une maladie dégénérative de type Alzheimer serait 2.48 plus élevé chez les sujets atteints de surdité avec gêne sociale.


La mémoire se nourrit des informations que lui procurent tous les sens et en particulier l’audition. Si ce sens devient défaillant comme dans le cas de la presbyacousie, la mémoire n’a plus d’objets nouveaux à traiter. Or, les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer portent précisément sur ces souvenirs récents : le malade ne sait plus s’il a éteint le gaz, si l’infirmière ou le facteur est passé le matin même, ni si son fils ou sa fille lui a téléphoné une heure auparavant.

D’où la question que se sont posés les membres du GRAP (Groupe de recherche Alzheimer Presbyacousie) : quel rapport peut-il exister entre Presbyacousie et Démence ? Leur étude clinique baptisée AcouDem, a porté sur 319 personnes de plus de 75 ans vivant en institution depuis au moins un mois. La moyenne d’âge de ces patients était de 85 ans. Un peu moins de la moitié (42 %) souffraient d’une presbyacousie qui entraînait une gêne sociale et 61 % de troubles cognitifs. A noter que plus ces patients étaient âgés et plus la prévalence des troubles auditifs était élevée, parallèlement à celle des troubles cognitifs.

Cette étude poursuivait deux objectifs. D’une part, chercher si la surdité avec gêne sociale entraînait des démences plus graves, plus précoces, plus évolutives, plus fréquentes que lorsque l’audition était socialement bonne. Et d’autre part, déterminer si les troubles auditifs avaient des conséquences sur l’évolution des troubles démentiels qu’entraînent les maladies dégénératives du système nerveux, telles que la maladie d’Alzheimer. .../...


Les résultats de cette première étude semblent démontrer « de manière indiscutable », affirment ses auteurs, que les personnes malentendantes (avec une gêne sociale) de plus de 75 ans, ont 2,48 fois plus de risques d’être démentes que celles qui entendent correctement.

Selon eux, « il y a donc bien un lien entre presbyacousie et démence », comme le supposaient les membres du Grap. De là à savoir s’il s’agit de coïncidences ou de corrélations, ils poursuivent aujourd’hui les recherches... Les prochaines étapes consisteront à mener une étude cas-témoin, puis un essai contrôlé randomisé testant l’efficacité d’un appareillage auditif et d’une rééducation orthophonique.

Mais, toujours selon les auteurs de cette étude, « un fait est indiscutable : la démence est bien plus fréquente chez ceux qui entendent mal (52%d’états démentiels dans le groupe qui entend ; 72 % dans le groupe des « sourds »). En d’autres termes : mieux on entend, moins on a de risques de souffrir de troubles cognitifs, mais aussi plus généralement de troubles du comportement, de repli sur soi, de dépression… qui sont souvent la conséquence directe de la surdité de perception des personnes âgées. Il est donc primordial de pallier les déficiences auditives le plus tôt possible ».

La seule manière connue actuellement pour suppléer une perte auditive comme la presbyacousie, est le port de deux aides auditives. Mais attention, avertissent les responsables de cette enquête, « cette aide ne peut être pleinement efficace et satisfaisante que si elle est préventive ou mise en place très tôt, dès les premiers signes de gêne auditive et donc avant l’apparition des troubles, cognitifs en particulier ».

Et de préciser que le « patient doit aussi bénéficier systématiquement d’un accompagnement orthophonique, indispensable pour apprendre à utiliser ses aides auditives et à en tirer tout le profit qu’il peut en attendre ».

« Les aides auditives doivent être mises en place le plus tôt possible pour permettre au patient de s’habituer à une écoute nouvelle avec un système nerveux encore efficient, souligne Laurent Vergnon, ancien Chef du Service ORL de l’hôpital Simone Veil (Eaubonne-Montmorency) et fondateur du Grap. Dans ces conditions, on peut dire que la presque totalité des surdités serait compatible avec une vie sociale normale, tardivement. »

Conclusion de l’étude

Comme la lecture de ce dossier l’a montré, il existe une nette prévalence de la démence chez les personnes âgées qui souffrent d’une baisse d’audition avec gêne sociale. Ce fait, que l’étude « Acoudem » démontre, pose le problème de savoir si cette prévalence correspond à une coïncidence ou est liée à une corrélation.

Coïncidence signifie : simultanéité de faits, rencontre fortuite de circonstances. Les deux maladies n’auraient pas d’autre rapport entre elles que cette coïncidence. Mais alors si l’on supprimait l’un des deux faits, il serait intéressant de voir si l’autre s’améliore.

Corrélation signifie qu’il existe un lien, une relation entre les deux maladies. Relation qui fait que l’une ne peut pas être pensée sans l’autre. Or cette étude statistique, si elle montre sans contexte la prévalence, n’indique pas que l’évolution de l’une varie dans le même sens que l’évolution de l’autre. Elle permet seulement de le prédire, que c’est possible et invite à poursuivre le travail pour le démontrer. C’est l'entreprise actuelle du GRAP.

« Dans cette dernière hypothèse, qui va demander quelques années pour être démontrée, nous aurions alors aujourd’hui, le seul traitement palliatif existant pour réduire l’importance, la rapidité d’évolution, ou même, en étant optimiste, amener à une régression des troubles démentiels des patients… » affirment les auteurs de ce rapport.

De plus réduire ou faire disparaître les troubles du caractère et du comportement, la dépression et le mal-être qui sont la conséquence de la surdité serait déjà une belle victoire pour le patient. Cela vaut qu’on se mette au travail et pour chacun de nous, à tout le moins, qu’on y réfléchisse.

Quelques chiffres
• 12 % de la population serait malentendante.
En réalité, ce chiffre est approximatif, car il n’a jamais été recherché de façon sérieuse. C’est dire l’intérêt que porte la France à ce sujet !
• 90 % des malentendants souffrent de presbyacousie.
• Entre 5 et 10 millions de Français auraient besoin d’une aide auditive, mais seulement 750 000 personnes en sont équipées.
• Certains appareils ne seraient peu ou pas portés car ils ne donneraient pas satisfaction. C’est dire les progrès qu’il reste à faire !
• 16 % des plus de 65 ans souffrent de troubles cognitifs (en plus des 8% atteints de maladies dégénératives cérébrales).
• 750 à 2 000 euros, c’est le prix d’une aide auditive pour un patient souffrant de presbyacousie ; le remboursement de la sécurité sociale n’étant que d’une centaine d’euros.

* publiée en juin dernier dans La revue de gériatrie (Tome 32, N°6)

Publié le 01/02/2008 à 09:40 | Lu 12107 fois