Sol : interview de la réalisatrice Jézabel Marqués (film)

Alors que le film de Jézabel Marqués, Sol avec Chantal Lauby sort sur les écrans français le 8 janvier prochain, la réalisatrice revient sur ce long-métrage qui évoque la transmission, les générations, la mort, la famille et la grand-parentalité et dont l’histoire lui a été inspirée de sa relation -conflictuelle- avec sa grand-mère.


Comment est née l’idée de Sol ?
C’est parti de la relation très conflictuelle que j’avais avec ma grand-mère. Je me suis retrouvée avec elle vers la fin de sa vie et c’était très tendu… jusqu’à ce que ça devienne touchant, et tendre. Je me suis rendu compte de tout le temps perdu, de qui était vraiment cette femme -de qui j’étais moi-même aussi quelque part, et de tout ce que j’avais hérité d’elle, ce qui était passé dans mes gènes et dans mon sang…
 
De toutes ces différences entre deux femmes de deux générations si différentes. Et je suis partie de là pour écrire un premier scénario il y a bien longtemps maintenant. Puis de fil en aiguille, la réalité s’est éloignée, j’ai voulu rendre ces deux personnages encore plus extrêmes, qu’elles ne soient plus de la même famille, en tout cas pas directement, que leur lien s’établisse au travers d’un homme et d’un enfant…
 
Et puis il y avait aussi cette chanson Fumando espero qui est le thème du film et que ma grand-mère chantait toujours… J’avais donc ce rythme de tango et ces personnages : Sol, cette femme forte et indépendante inspirée par ma grand-mère ; et Eva, personnage un peu psychorigide inspirée par moi-même. Sans oublier Jo évidemment, qui ressemble à mon fils et la fille de ma coauteure Faïza Guène. Sol est né de tout ça !
 
Est-ce qu’à l’écriture vous aviez déjà une comédienne en tête pour jouer Sol ? Etait-ce facile de substituer l’image de votre grand-mère à celle d’une actrice ?
Le personnage a beaucoup évolué avec le temps, il ne s’agissait donc plus du tout de ma grand-mère mais d’un personnage purement fictif, haut en couleurs et fantasque. Chantal s’est donc imposée comme une évidence.
 
D’abord parce que c’est une grande actrice ; ensuite parce qu’il n’y a pas beaucoup de comédiennes, toutes générations confondues, capables de vous emmener aussi loin dans la comédie. Lorsqu’elle apparaît à l’écran, elle suscite automatiquement de l’empathie, plus que ça, une complicité immédiate avec le spectateur.
 
Cela était primordial pour incarner un personnage aussi égocentré que Sol et pour donner envie de la suivre, malgré ses maladresses. Lorsque nous avons commencé à tourner, j’ai découvert l’immense potentiel dramatique de Chantal, bouleversante dans l’émotion et capable de nous faire passer du rire aux larmes en un instant.
 
Vous parlez de douceur, de tendresse, de finesse. Trois adjectifs qui peuvent qualifier ce film qui balance entre le rire et l’émotion…
Oui car Sol c’est aussi l’histoire de deux femmes qui n’ont pas fait leur deuil et qui vont devoir baisser les armes pour laisser cet homme -le fils de l’une et le mari de l’autre- partir enfin pour reposer en paix. On raconte les choses avec sa personnalité et même si je suis un peu brut de décoffrage, j’essaye de faire passer les émotions avec de la douceur.
 
Ce qui m’intéresse, ce sont les relations humaines et dans Sol je souhaitais raconter la naissance d’un lien entre une femme et son petit-fils, mais aussi d’un amour pour sa belle-fille. Au départ, Sol en veut à Eva d’avoir pris sa place auprès de son fils. Mais en se reconnaissant dans sa blessure, elle va voir la femme derrière la rivale et découvrir la mère de son petit-fils. C’était très délicat à doser.
 
J’avais évidemment peur de tomber dans le mélo ou le mièvre avec ce genre d’histoire, sans parler de la relation grand-mère/petit-fils et de l’omniprésence du défunt. J’espère avoir réussi à éviter cela. Finalement, on peut dire beaucoup de choses en restant pudique, et quand il y a des non-dits, que les choses passent par les regards, par la musique, par les silences, ça amène de la douceur… Et puis il y a le tango ! Ça dégage beaucoup de force, c’est très beau et très triste à la fois.
 
Dans Sol, comme dans Renée, vous abordez le sujet de la transmission. C’est important pour vous ?
Énormément Je suis très famille. Très attachée à ce que m’ont apporté mes parents et à ce que leurs propres parents leur avaient transmis. Je peux écouter des personnes âgées me raconter leur histoire pendant des heures. J’y vois quelque chose de sacré. On doit vivre nos propres expériences mais c’est important d’écouter. On a tous quelque chose à transmettre ou à recevoir des autres.
 
Le cinéma pour vous c’est transmettre ?
Forcément. Je n’ai pas la prétention de penser que j’ai tellement de choses à dire et à raconter, et qu’il faut absolument que les gens voient ce film et laisser une trace sur Terre ! Mais quand on fait un film, on travaille pendant des années, et il reste quelque chose de ce travail. C’est ça qui est beau.
 
Si en plus ce que l’on raconte est assez universel pour toucher quelques personnes qui se reconnaissent dans notre récit, c’est un vrai cadeau. Alors oui bien sûr, le cinéma c’est transmettre. Sinon quel intérêt de faire un film pour soi-même ?
 
Maintenant que le film est terminé, retrouvez-vous dans Sol votre grand-mère à qui vous vouliez rendre hommage ?
C’est carrément très loin d’elle ! Ma grand-mère était beaucoup plus altruiste malgré son côté « indépendante », et bien plus préoccupée par le qu’en-dira-ton ! Ce que je retrouve en revanche c’est cette force. Il y a un truc de femme de caractère, une présence, une aura…
 
Chantal c’est quelqu’un de très doux quand même, mais dans le film elle dégage une telle énergie ! Parfois j’aimerais être comme Sol, aussi inconsciente qu’elle et me dire « allez on s’en fou et on y va ! »

Publié le 06/01/2020 à 01:00 | Lu 1815 fois