Sleeping Beauty : quand de vieux messieurs dorment avec de belles et jeunes endormies (film)

Festival de Cannes 2011 : les festivaliers ont découvert hier le premier long-métrage de Julia Leigh : Sleeping Beauty, un film qui met en scène une jeune femme (Emily Browing), étudiante sans argent, qui accepte de coucher nue –sous somnifère- avec des vieux messieurs qui viennent partager sa nuit. « Un film intrigant qui suscite le malaise » souligne l’AFP dans un récent article. Julia Leigh nous présente le film…





Un conte de fées : un sentier de fruits rouges, un manteau à capuche, une étrange maison de campagne, une chambre du sommeil, une sorcière qui endort les jeunes filles. Qu’arrivera-t-il à la « Sleeping Beauty », la Belle au bois dormant, si et quand elle se réveille ?

J’aime le « cinéma de l’étonnement ». Je voulais faire un film où le public puisse se dire : « Est-ce que j’ai vraiment vu ça ? Est-ce que j’ai vraiment entendu ça ? Est-ce que ça existe vraiment ? » J’ai voulu faire un film où les spectateurs, les yeux grands ouverts, retiendraient leur respiration. Provoquer une réaction de surprise intense, plutôt qu’un choc. Le cinéma comme « wunderkammer », un cabinet des merveilles.

Je connaissais le conte. Je savais que le roi Salomon faisait venir de jeunes vierges de tout le royaume pour dormir à ses côtés. J’étais consciente de l’existence des “sleeping girls” sur internet. J’avais également lu deux nouvelles, celle de Yasunari Kawabata et celle de Gabriel Garcia Marquez, qui relatait chacune l’histoire d’un homme, au seuil de sa vie, qui payait pour passer une nuit avec une jeune fille endormie de force.

Le film est une réponse à cet ensemble de choses. Sans aucune raison apparente, je me suis demandée ce que ça faisait d’être embauchée pour jouer les « Sleeping Beauty ».

Après la publication de mon premier roman, « The Hunter » je faisais un cauchemar récurrent où des inconnus venaient me filmer pendant que je dormais. Il y avait une perfection diabolique dans ce rêve. La dormeuse rêve qu'elle est endormie, dans son propre lit, la frontière entre le sommeil et le rêve est abolie. Et je me demande : « Que me font-ils pendant que je dors ? »

J'ai écrit la première version du scénario très rapidement, en une dizaine de jours, quelques mois après la mort d'un ami. Ce n’était pas le premier de notre groupe à mourir. Nous savions tous que ça risquait d’arriver assez vite. Mais quand il s’est suicidé, ça a été un choc, même si c’était un choc inéluctable, de la même façon qu’une overdose peut être une surprise. Sa présence habite l’écran de manière imperceptible. Dans le film, il ne meurt pas seul.

Sleeping Beauty : quand de vieux messieurs dorment avec de belles et jeunes endormies (film)
Le film résulte de mes interrogations sur l’âge et l'expérience. Clara, la femme qui dirige le service, et les hommes plus âgés qui visitent la Chambre, font ressortir l’insolente jeunesse de Lucy.

Lorsque j’avais une vingtaine d’années, je ne voulais pas mourir, mais ça ne m’aurait pas dérangée que ça arrive. Certains soirs, je me mettais à imaginer qu’une guillotine invisible était suspendue au-dessus de mon lit, prête à tomber en pleine nuit. J'étais affûtée face à la mort. Prête à l’affronter. Je n’avais peur de rien.

Il y a des jours où j’ai envie de sortir dans la rue et de tout casser. Je me retiens, comme toujours, mais je suis heureuse d'avoir encore cette impulsion. Le personnage principal passe son temps à la contenir. Elle est possédée par une passivité radicale, une sorte de culot tranquille, et sa provocation perverse à l’égard du monde s’exprime par un « Je vous tends l’autre joue, allez-y, chiche ».Mais jusqu'où est-elle prête à aller, en se mettant ainsi à l'épreuve ? Quelle est la prochaine étape ? Elle n'est pas attirée par la mort, mais elle ne se sent pas non plus totalement déterminée à rester en vie.

C’est dangereux d’analyser ce qui se cache derrière ce que je fais. C’est comme si je me crevais les yeux, ou si j’assaillais le spectateur pour lui crever les siens. Mon espoir est que le film permette au public d'utiliser son imagination.

J'ai travaillé toute seule sur le scénario jusqu'à ce que j’arrive à un stade où j’estimais qu’il était plus ou moins abouti. Le scénario est court, il fait soixante sept pages. En 2008, il a fait partie de la « Black List » (établie chaque année par les décideurs d’Hollywood, et qui recense les meilleurs scénarios encore en développement), et j'ai été désignée par Filmmaker Magazine comme l’un des vingt cinq espoirs du cinéma indépendant.

Malgré tout, la grande majorité des producteurs ont refusé le projet. La plupart ne voulait rien avoir affaire avec « ça ». Ceux qui ont été intrigués exigeaient une réécriture. En fin de compte, j'ai trouvé un producteur courageux et tenace qui a pris le scénario pour ce qu'il était, et m’a promis que ce serait le film que nous ferions. Les quelques révisions que nous avons faites en cours de route n’étaient que pour l’améliorer.

“Sleeping Beauty” est mon premier film. Pour expliquer comment je le voyais, j'ai écrit une longue note d’intention dans laquelle j'ai décrit avec précision tout ce qui apparaîtrait à l’écran, scène par scène. Ça n'a pas été difficile parce que je voyais le film dans ma tête en l’écrivant. L’histoire repose sur le fait d’être observé. Le spectateur est impliqué, complice. J'ai trouvé des images destinées à refléter le ton du film. J'ai sélectionné des extraits de différents long-métrages. J'ai regardé les films que j'admirais sans le son, en me demandant constamment : “Où est placée la caméra ?”. J'ai lu des livres sur le jeu d’acteur, j’ai participé à un atelier. J'ai regardé des making-of. Je suis allée à des masterclass. J'ai assisté au tournage d'un ami. J'ai travaillé avec un storyboarder. Geoffrey Simpson, mon chef opérateur, et moi avons préparé le découpage avec le plus grand soin. J'ai prêté énormément d’attention aux transitions. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour être prête. Je n’ai rien laissé au hasard.

Dans un sens, mon univers littéraire est mon univers cinématographique : c’est une seule et même chose. Mon univers, c’est ma sensibilité. Un romancier comme un réalisateur travaille sur le temps qui passe, sur des personnages. Tous deux créent leur monde avec le désir d’explorer certains thèmes. La solitude de l'écrivain n'est pas si différente de celle que peut éprouver un réalisateur. En tant que réalisatrice, j’étais la seule à avoir le film entièrement dans la tête. Les fondations sont les mêmes. Mais l'ensemble du processus est complètement différent.

La décoratrice Annie Beauchamp a été une des premières collaboratrices clés à nous rejoindre. Tourner dans notre ville natale à toutes les deux a facilité les repérages. J'ai été impressionnée par la débrouillardise et l'ingéniosité de l’équipe déco. J'ai travaillé en étroite collaboration avec Nick Meyers, mon monteur. J’ai été atteinte par les principaux symptômes du montage : à force de regarder les mêmes images en boucle, j'ai commencé à adopter les manières de mes personnages ; je me mettais à prononcer des répliques du film dans ma vie quotidienne, je devenais obsédée par le moindre détail à l’écran… et ma cuisine n’a jamais été aussi sale.

Article publié le 13/05/2011 à 11:40 | Lu 4137 fois