Sexygénaires : entretien avec le comédien Thierry Lhermitte

À 60 ans passés, deux amis en proie à des difficultés financières vont tirer profit de leur image de senior dans le milieu de la mode et de la publicité. L’un est encore beau (Thierry Lhermitte), l’autre ne l’a jamais vraiment été (Patrick Timsit)… Dans les salles obscures depuis le 14 juin 2023.


Robin Sykes a-t-il eu du mal à vous convaincre d'entrer dans la peau d'un sexygénaire ?
Pas vraiment. J'étais enchanté par notre collaboration sur La finale. Roland était un beau personnage, avec ses contradictions, son humanité, tout ce qui correspond à la sensibilité de Robin. J'ai retrouvé dans l'écriture de Sexygénaires ce mélange de drôlerie, de mélancolie et de tendresse.
 
L'univers du mannequinat senior est plutôt incroyable, c'est un beau matériau de comédie. Quand il y a du fond et des bêtises, ça me convient parfaitement !
 
Avec Robin et Patrick Timsit, on a pas mal discuté et affiné le scénario pour être dans la vérité des sexagénaires. En une génération, leurs enjeux de vie, leurs doutes et leurs angoisses ont évolué. Ils n'ont plus la même image auprès des jeunes, de leur famille et de la société. C'est ce que montre très joliment le film.
 
La comédie qui traite avec légèreté de sujets plus profonds vous correspond-elle davantage aujourd'hui ?
J'aime tous les genres, du moment qu'ils soient bien traités. Ce que je préfère, ce sont les films qui reflètent la vie. Il est rare qu'elle soit uniforme, tout le temps gaie ou tout le temps abominable.
 
Il nous arrive de rire à des enterrements, de raconter des conneries aux moments les plus dramatiques : c'est ce mélange détonant qui m'attire au cinéma.
 
Robin a un talent pour cet entre-deux, même si en tant que réalisateur, il se méfie beaucoup du comique. Il n'aime pas l'accumulation de vannes, il a cette retenue dans l'humour qui donne un ton très particulier à ses films.
 
Il y a une jubilation évidente à former de nouveau un tandem avec Patrick Timsit ! 
Plus que des retrouvailles, c'est une histoire qui continue entre Patrick et moi. On a tourné pas mal de films ensemble depuis Un Indien dans la ville, L’Américain, Le Prince du Pacifique, Alors on danse... et on est ami de longue date.
 
La perspective de jouer en duo était vraiment sympa. Dans le film, Michel est le plus sérieux des deux, c'est le clown blanc. Denis, lui, est à mourir de rire rien que dans la manière de s'habiller. Il continue à mentir, à faire ses petites embrouilles, mais contrairement à Michel, il n'assume pas du tout le fait de devenir grand-père !
 
Je trouve très touchante cette amitié entre deux hommes aussi différents, qui traverse les années. Patrick et moi, on n'est pas très loin de ces deux personnages, dans le tempérament et dans l'énergie. Robin a bien cerné nos personnalités.
 
Avez-vous cherché avec Patrick Timsit à accentuer la drôlerie de certaines scènes ?
C'est dans notre nature à tous les deux ! Mais c'est Robin qui est le chef d'orchestre, nous sommes les instruments au service de son film. Avec Patrick, on a peaufiné notre partition depuis longtemps : on se connaît tellement que l'on retrouve facilement notre dynamique. C'est comme avec mes amis du Splendid : tout est spontané, plus besoin de se caler.
 
Qu'avez-vous découvert sur le milieu du mannequinat senior ?
Lors du casting, j'ai discuté avec des mannequins. En général, ils n'ont jamais posé auparavant, ils ont été castés dans la rue. L'un d'eux était même SDF : il a une super gueule, des tatouages partout et il est devenu une star.
 
La vieillesse des baby-boomers est devenue un énorme marché. Les grandes sociétés qui se partagent le gâteau ont même racheté toutes les pompes funèbres. Dans le film, Michel devient mannequin pour les activités et les produits de prestige alors que Denis reste cantonné au monte-escalier électrique.
 
Cette hiérarchie existe dans la réalité mais ces hommes et ces femmes ont de la bouteille, ils n'ont pas la grosse tête. Ce n'est plus le rêve d'une vie, contrairement aux jeunes qui se lancent dans ce métier où les élus sont rares.
 
Est-ce qu'on vous a déjà sollicité ?
Jamais. Ils prennent des inconnus pour faciliter l'identification. Hormis ceux et celles qui deviennent des stars, personne ne connaît le nom de ces mannequins. Comme j'ai fait pas mal de pubs et que je suis connu, il y a peu de chances qu'on me fasse des propositions !
 
Êtes-vous d'accord avec Robin Sykes qui vous dépeint comme un acteur instinctif ?
Il a raison. Je lis mon texte une à deux fois par jour, pendant deux mois, et je le laisse infuser. Est-ce que j'ai travaillé  ? Mon cerveau, mon inconscient, oui. Je ne suis pas du genre à jeter un vague coup d’oeil au scénario avant de débouler sur le plateau. Être instinctif sans avoir bossé, c'est jouer avec des clichés.
 
La première intuition que l'on a en découvrant un scénario est rarement la bonne. Je ne suis pas non plus de ceux qui se lancent dans une construction intellectuelle autour d'un personnage. Sur-analyser, c'est passer à côté de la vérité d'un rôle, prendre trop de distance. J'essaye, organiquement, que les motivations du personnage se dessinent scène après scène.

La vérité d’un personnage comme Michel éclate notamment dans la scène de ses retrouvailles avec
Sylvie...

C’est la première fois que Michel s’ouvre, s’autorise à lâcher prise alors qu’il est dans une merde noire avec son hôtel. J’en reviens aux fondamentaux : cette scène est très bien écrite ! Ce qu’on joue à ce moment-là, c’est un rayon de soleil. Avec Marie Bunel, on est dans la comédie romantique.
 
La magie que l’on peut ressentir en les voyant tous les deux s’illuminer, convoquer des sentiments du passé, c’est l’expression de la sensibilité de Robin. Michel et Sylvie ne se tombent pas dans les bras mais à travers leurs gestes, leur regard, les petites informations qu’ils échangent sur leur vie, on comprend qu’il y a des possibles.
 
C’est tellement chouette cette manière d’aborder les sentiments, sur la pointe des pieds, avec des sourires aussi. On a vraiment envie que ces deux-là finissent ensemble !
 
Est-ce que ce genre de scène vous donne des envies de pure comédie romantique ?
J’adorerais jouer ça mais on ne me l’a pas proposé. J’ai fait tellement de films différents que ça n’est peut-être pas venu à l’esprit des scénaristes...
 
Je n’oserais pas aller voir un réalisateur pour le lui demander. Et puis, c’est compliqué de trouver un beau projet : c’est un genre qui réclame de la pudeur, de l’humour, et encore de la pudeur, sinon ça peut vite sombrer dans le ridicule.
 
Les Anglo-saxons sont très forts là-dessus, 4 Mariages et 1 Enterrement, Love Actually... Ces films sont des merveilles.
 
Michel vit aussi une aventure avec Manon –interprétée par Zineb Triki-, la directrice de l’agence qui l’engage comme mannequin...
Et c’était à mon sens impossible qu’il s’engage dans une histoire durable avec elle. Michel est un provincial qui déteste les paillettes. Manon est une femme d’affaires, une battante qui est à l’aise dans ce milieu. Ils se plaisent mais ça ne peut pas marcher.
 
Là où Robin est très fort, c’est dans sa manière de clore leur histoire : c’est élégant, respectueux de l’un et de l’autre. On aimerait que toutes les ruptures se déroulent de cette manière.
 
La beauté de Michel est son atout pour devenir un mannequin senior très glamour. Avez-vous toujours été à l’aise avec votre image de séducteur ?
Beaucoup de réalisateurs se sont servis de mon physique mais j’ai très rarement joué des rôles de séducteur. La comédie notamment, m’a permis de tout jouer, de me déguiser. La séduction n’a jamais été la caractéristique principale de mes personnages, ou alors je m’en suis moqué comme dans Les Bronzés avec Popeye.
 
Dans Sexygénaires, Michel a ce quelque chose qui tape dans l’oeil de Manon. Jouer là-dessus ne m’a pas gêné dans la mesure où Robin l’inscrit dans un univers précis, celui du marketing de la beauté où votre tête permet de vendre du luxe.
 
Depuis le Splendid, vous êtes resté un acteur très populaire. Est-ce que ça s’entretient par le choix des films que vous tournez ?
C’est une attitude qui ne m’a jamais traversé l’esprit. La seule fois où j’ai décidé de faire un film en pensant que ça allait marcher, je me suis trompé !
 
On ne peut pas espérer faire carrière sur ce critère. C’est plaisant de voir que les gens ont grandi avec le Splendid et continuent à nous aimer, à revoir les films qu’on a fait ensemble et séparément. Cette bienveillance est très agréable.
 
Est-ce qu’à l’image de Michel qui veut sauver son hôtel coûte que coûte, vous êtes un acteur qui s’obstine pour vivre sa passion ?
Tout seul, pas vraiment. Je ne me suis jamais obligé à faire tel ou tel film. J’ai toujours gardé de la distance vis-à-vis de la « nécessité » de faire carrière.

Encore aujourd’hui, je fais de mon mieux. Quand j’étais en groupe, avec le Splendid, j’étais davantage moteur. En tant que producteur aussi : je ne lâchais rien, je m’investissais à tous les niveaux, projets, financement, casting, tournage.
 
Je voulais partager mon expérience avec le réalisateur afin qu’il travaille dans les meilleures conditions. Un acteur est quelqu’un qui communique des états, des émotions. Ce plaisir de transmission, je le retrouve dans d’autres domaines, principalement celui des chevaux.
 
Par exemple, je donne des stages d’éthologie* équine. Ce que j’ai appris sur le respect des chevaux et leur intégrité physique, je suis heureux de le transmettre. Ça fait du bien aux gens et c’est gratifiant.
 
Est-ce que cette réplique de Sylvie à Michel « J’en avais marre de perdre ma vie à la gagner » fait écho
en vous ?

J’y suis sensible et j’ai la chance de pouvoir la mettre en pratique. Entre les tournages et mes autres activités, j’ai pu passer une année en montagne et une autre sur un bateau. Néanmoins, je passe encore du temps à faire des choses dont je pourrais me passer, et pas spécialement pour l’argent.
 
Sexygénaires interroge sur la considération envers les seniors et leur place dans notre société. Est-ce important que le film soit en prise avec l’actualité ?
Forcément. Les seniors sont très nombreux, ça met en péril les caisses de retraite, ce qui oblige à modifier le système. Comment ? C’est l’affaire des spécialistes. Il y a une question cruciale à se poser : qu’est-ce que je veux pour moi quand je serai vieux ?
 
Chacun doit avoir les moyens de décider. La plupart des gens aimerait pouvoir rester chez eux, adapter leur domicile s’ils sont encore valides. Et si ça n’est plus possible, se retrouver dans un endroit vivable, pas trop loin de ceux qu’ils aiment. C’est à la société de s’organiser pour nous donner concrètement la possibilité de choisir.

Publié le 15/06/2023 à 01:00 | Lu 3386 fois





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