Seniors et habitat : convergence des politiques publiques du vieillissement et des politiques locales de l'habitat (Etude)

Cette étude s’inscrit dans la continuité des travaux de l’Agence nationale de l’information sur le logement (ANIL), tant au titre de l’analyse des politiques locales de l’habitat qu’au titre de réflexions consacrées à la mobilisation de l’actif résidentiel des personnes âgées pour financer les dépenses dues au grand âge. Voici les principales conclusions, ainsi que les vecteurs d’amélioration, proposés par Béatrice Herbert, qui a rédigé ce rapport.





Si la convergence des politiques publiques du vieillissement et des politiques locales de l’habitat est déjà une réalité en termes de débat, de réflexion, de programmes et d’expériences éclatés, elle est aussi, et surtout, une perspective en devenir, à la lumière de la recherche menée à l’échelle de cinq départements appartenant à trois régions fort différentes en termes de vieillissement de la population (Ile-de-France, Bretagne, Limousin).

Que l’on se place du côté des politiques publiques du vieillissement ou des politiques locales de l’habitat, les nombreux textes et rapports disponibles font état, au plan national, d’une volonté de convergence autour d’un principe commun de « libre choix de vieillir à domicile » ou « maintien à domicile », dont les implications sont multiples et plus complexes qu’il n’y paraît.

En effet, rester à domicile n’est pas seulement synonyme d’adaptation, préventive ou curative des logements, mais aussi, parfois, de partage de son domicile avec une personne plus jeune, situation plus connue sous le terme de « cohabitation intergénérationnelle », ainsi que de possibilité d’accueil provisoire ou d’accueil de jour, ces deux formules demeurant très confidentielles.

On peut aussi associer à la question du maintien à domicile celle du maintien dans son domicile, tant la question du droit au maintien dans les lieux des personnes âgées logées dans le parc locatif social suscite des réactions passionnées, les uns défendant la nécessité de libérer des grands logements pour y loger des familles, les autres insistant sur le traumatisme occasionné par le déménagement.

Dans le même temps, il semble que la question de la mobilité des locataires du parc privé âgés, parfois obligés de déménager faute précisément de droit au maintien systématique dans les lieux, passe totalement inaperçue, tout comme la difficulté d’adaptation de leurs logements. Et quand le maintien à domicile devient, pour différentes raisons, impossible et que le déménagement s’impose, c’est autour de la question du passage du logement à l’établissement médico-social ou à une formule d’hébergement « intermédiaire entre le logement et l’établissement » que s’articulent ou devraient s’articuler les politiques de l’habitat et du vieillissement.

Autour de ce principe commun de « libre choix de vieillir à domicile », et alors que c’est autour de la question de l’autonomie que de nombreux acteurs ont cherché à coordonner les efforts sur leur territoire, les difficultés de convergence, bien réelles, observées, sont liées à de multiples facteurs, dont par exemple, la dispersion des intervenants, l’hétérogénéité des échelles territoriales, l’insuffisance des outils de connaissance et de programmation, les « cultures administratives » différentes, voire les querelles concernant le leadership sectoriel : entre le médical, le social et le logement, la méconnaissance réciproque des acteurs et de leurs compétences paralyse les initiatives, tout comme « l’insécurité juridique », attachée aux formules intermédiaires entre le logement et l’établissement, et le déficit d’évaluation approfondie des actions menées.

En dépit de ces difficultés, la nécessité de politiques publiques locales plus transversales tend à s’imposer, sous le triple effet de la pression du vieillissement, de la question du mode de financement de la dépendance, mais aussi de la crise des finances publiques qui impose des choix rationnels, sans omettre pour autant d’associer les personnes âgées à l’élaboration des politiques qui les concernent.

Quoique ponctuelles, des améliorations sensibles existent d’ores et déjà, tout comme existent le cadre et les vecteurs possibles d’amélioration. Si la volonté de coordination du secteur médico-social et du secteur de l’habitat est bien réelle, l’hétérogénéité des pratiques d’un département à l’autre demeure grande. Le rapprochement du traitement des personnes âgées et des personnes handicapées, tel qu’envisagé dans le cadre de la mise en place du cinquième risque de la protection sociale, dédié à la prise en charge de la perte d’autonomie, pourrait offrir un cadre de réflexion et d’action renforcé.
Seniors et habitat : convergence des politiques publiques du vieillissement et des politiques locales de l'habitat (Etude)

Les difficultés d’articulation des politiques de l’habitat et du vieillissement

Publics scindés
Alors que pour les politiques sociales, les personnes âgées sont considérées, via la question de la dépendance, comme des destinataires d’aides et de prestations, pour les politiques de logement, elles sont d’abord envisagées sous l’aspect de leur impact sur l’offre et la demande de logements. Catégorie-objet, résultat du classement expert des spécialistes médico-sociaux dans le premier cas, les personnes âgées sont considérées, dans le second cas, comme des acteurs majeurs du marché du logement ; c’est seulement sous l’angle de la perte d’autonomie, hypothétique ou survenue, qu’elles deviennent une population spécifique, au même titre, par exemple que les jeunes ou les travailleurs saisonniers. Sur 14,5 millions de personnes de plus de 60 ans, soit 22,6 % de la population française, un peu plus d’un million d’entre elles perçoivent l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), dont près de 700 000 à domicile.

Un deuxième clivage marque les politiques sociales : selon sa place sur l’échelle des GIR de la grille AGGIR, graduée de un à six, la personne concernée relève des politiques de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) ou des services des conseils généraux et en leur sein des services de l’APA. Cette volonté de distribution des compétences censée minimiser les difficultés d’articulation suppose malgré tout une coordination, en particulier autour du GIR pivot que constitue le GIR 4. Sans doute, certains efforts de dialogue se font-ils jour, mais d’une manière qui reste expérimentale, très isolée et éventuellement très dépendante de la nature des relations politiques ou personnelles qui sont tissées entre les Conseils généraux et les organismes de sécurité sociale. Enfin, la séparation handicap/dépendance clive au plan institutionnel, au plan des aides, et au plan des acteurs impliqués, les publics des adultes handicapés et des personnes âgées dépendantes.

(…)

Déficit de connaissances du profil et des conditions de vie des personnes âgées et incertitudes pour l’avenir
Dans les faits, alors que la définition même de la notion de « personne âgée » varie d’une institution ou d’une source statistique à l’autre, les carences de connaissance du profil des dites personnes âgées, de leurs conditions de logement, degré d’autonomie, mobilité et plus encore souhaits résidentiels sont patents au plan local, plus encore qu’au plan national. En outre, les incertitudes propres, au plan national, à l’évolution du nombre de personnes dépendantes, selon le scenario retenu d’espérance de vie à 60 ans sans dépendance, rendent difficiles les projections locales. L’une des carences particulièrement dommageables touche la question du vieillissement à domicile ou de l’entrée en institution étudiée en considérant le statut d’occupation croisé avec le niveau de ressources des ménages.

Bien que les locataires ne représentent que 28 % des ménages de plus de 65 ans habitant une résidence principale, ces 1,6 million de ménages, répartis sensiblement à parité entre secteur privé et secteur HLM, dont plus de 500 000 ont plus de 80 ans font face à des besoins et difficultés particulières, tant en termes de relations avec le bailleur que de dépense de logement et parcours résidentiel possible. Une deuxième carence tient à l’absence de croisement entre niveau de dépendance avérée et conditions de logement, au-delà, pour les bénéficiaires de l’APA, du distinguo domicile/établissement. Ce déficit de connaissances est très net dans les documents de planification propres à l’habitat (PDH, PLH), mais aussi les documents de planification gérontologique (schéma gérontologique), le recours aux enquêtes locales, tant qualitatives que quantitatives demeurant rare.

Méconnaissance et insécurité juridique des formules intermédiaires entre le logement et l’établissement
Le développement de « formules intermédiaires entre logement et établissement », encouragé par les différents plans, est un objectif connu et fréquemment évoqué, tant du côté de l’habitat que du côté du médico-social, voire un objectif inscrit dans les schémas gérontologiques. Ces formules spontanément évoquées relèvent soit du secteur médico-social, tel l’accueil familial, l’hébergement en foyer logement, en petite unité de vie, soit de formules de logements banalisés accompagnés de services à la carte, cette catégorie comprenant aussi bien la « nébuleuse HLM », que les résidences services privées. Dans bien des cas toutefois, et tout particulièrement du côté des acteurs de l’habitat, des confusions existent et dans chacun des cinq départements enquêtés, seules quelques expériences, que l’on peut qualifier de « prototypes », ont vu le jour. L’instabilité juridique des formules (risque de requalification en établissement médico-social) est l’un des principaux obstacles évoqué, sans compter la véritable méfiance qui s’exprime quant à la pérennité des formules ou à l’existence d’une demande en l’absence d’éléments suffisants de connaissance et d’analyse des besoins. Néanmoins, les acteurs du logement portent un réel intérêt à la question, ne serait-ce que par le biais de la mobilisation de financements dédiés aux logements ordinaires.

Déficit d’évaluation
Le déficit d’évaluation, et a fortiori d’évaluation partagée, entre secteur du logement et secteur médico-social touche bien sûr les expérimentations, mais aussi des actions connues, comme par exemple l’adaptation des logements. Les formules intermédiaires entre le logement et l’établissement suscitent, fort logiquement, curiosité et questions précises, s’agissant notamment des conditions économiques de réalisation du projet, de l’analyse préalable des besoins, mais aussi de la satisfaction des résidents et de l’évolution du peuplement de la structure. Plus surprenant, alors que l’adaptation des logements est une action banale, il est difficile de disposer d’une évaluation critique, pourtant indispensable, tant les pratiques, dispositifs et financements peuvent être différents d’un département à l’autre. Nombre de collectivités s’interrogent également sur les difficultés d’accès à l’information afférente au logement, dispensée par diverses structures et organismes, ainsi que sur la rapidité des réponses apportées, a fortiori dans des cas d’urgence, tels que les sorties d’hôpital.

Désaccord sur des principes régulateurs communs et déficit d’association des personnes âgées à l’élaboration des politiques qui leur sont destinées
On peut légitimement se demander si les difficultés d’articulation constatées entre secteur du logement et secteur médico-social ne relèvent pas d’abord d’absences de principes régulateurs communs, ou d’absence d’adhésion à ces principes. La cohabitation intergénérationnelle, par exemple, est qualifiée de bonne idée difficile à mettre en oeuvre, un euphémisme tant le dispositif peine à se développer, faute d’un modèle économique viable et des différences d’attente entre jeunes et aînés. L’accueil de jour ou accueil temporaire en établissement fait lui aussi l’objet de critiques, liées au modèle économique mais aussi à des questions plus éthiques. L’accueil familial lui-même, pourtant présenté comme une bonne solution pose un problème d’agrément des familles d’accueil, peu nombreuses à répondre aux critères des conseils généraux ; en outre la possibilité d’un accueil hors du toit familial est décriée par de nombreux acteurs. Quant aux formules intermédiaires entre logement et établissements, elles suscitent, au nom du principe de précaution, une certaine méfiance liée notamment au déficit de contrôle et de maîtrise de l’évolution du peuplement. Même le droit au maintien dans les lieux des locataires du parc social est diversement appréhendé, les acteurs du logement souhaitant favoriser la libération de grands logements au profit d’autres candidats, là où les acteurs médico-sociaux ne s’intéressent qu’aux personnes âgées.

Pour conclure cette synthèse volontairement critique, on peut souligner que les personnes âgées semblent insuffisamment associées à l’élaboration des politiques qui leur sont destinées ; présentes à travers le filtre du diagnostic médical de la dépendance, elles sont considérées comme une « classe-objet » alors que leur population n’est pas homogène, loin s’en faut. Il en résulte, par exemple, de très importantes différences d’appréciation concernant leur degré d’autonomie, entre le personnel soignant et les personnes âgées elles-mêmes, comme en témoigne l’enquête EHPA 2007. En dépit de ces différents obstacles, les potentialités de renforcement des articulations entre secteur médico-social et secteur du logement sont nombreuses, alors que les besoins de « transversalité » des politiques publiques devient plus prégnant et que les personnes âgées et leurs familles souhaitent être mieux informées, mieux représentées et mieux consultées.

Les vecteurs d’amélioration

Assurer la formation et l’information des acteurs du logement et du secteur médico-social, mais aussi débattre de principes communs constitue pour tous le préalable indispensable à une meilleure convergence des politiques publiques, tout comme l’amélioration de la connaissance et la valorisation de l’information potentiellement disponible.

L’élaboration de politiques partagées suppose un socle de connaissances commun, dédié à l’habitat pour les acteurs du secteur médico-social et aux « personnes âgées » pour les acteurs de l’habitat. Les premiers ont besoin de connaître, par exemple, le rôle des collectivités locales dans le domaine du logement, ce que sont un PDH ou PLH, la nature des financements dédiés à l’adaptation, dans le parc privé mais aussi social, mais aussi qui sont les nombreux partenaires de la politique de l’habitat. Les seconds ont besoin de comprendre les logiques du secteur médico-social, notamment le classement des personnes selon le degré d’autonomie, les modes d’agréments, d’autorisation ou de financement des logements ou établissements destinés aux personnes âgées, les lieux d’information et leurs missions, les objectifs et le contenu du schéma gérontologique en matière de logement et d‘hébergement.

Plus important encore, devraient donner lieu à débats la notion d’âge elle-même, la spécificité ou légitimité des demandes des personnes âgées par exemple en matière d’attribution de logement social, et plus généralement les principes régulateurs communs évoqués ci-avant, Améliorer la connaissance au plan local suppose de mieux mobiliser les sources disponibles, le cas échéant au titre d’une exploitation spécifique, qu’il s’agisse du recensement de la population de l’INSEE, de l’enquête triennale d’occupation du parc social ou du fichier commun de la demande en logement social, mais aussi d’enrichir des sources statistiques existantes, par exemple en précisant le statut d’occupation des bénéficiaires de l’APA, voire de collecter une information inexistante, à l’image des mobilités entre domicile et établissements, dans le cadre d’enquêtes locales ad hoc, quantitatives ou qualitatives, menées aussi bien auprès des personnes âgées que de leurs familles.

Le développement de l’évaluation et l’amélioration de la prise en compte de la dimension économique des projets constitue un deuxième vecteur de convergence des politiques publiques. Nombre d’actions demeurent trop peu connues et a fortiori peu évaluées, tout particulièrement dans leur dimension économique, tant en matière d’adaptation que de développement d’une offre nouvelle.

Article publié le 28/04/2010 à 07:01 | Lu 5895 fois