Santé : briser les obstacles entre prévention et précarité

La France a mal à sa prévention et la douleur est particulièrement aiguë pour les plus précaires de ses concitoyens. D’autant plus, comme le confirme un récent sondage, qu’ils ont tendance à rogner sur les postes alimentation, sport et santé, lorsque les fins de mois sont difficiles. Dans ces conditions, quels seraient les leviers pour démocratiser l’accès à la prévention ?


Une question complexe au coeur d’un colloque qui vient de se dérouler à Paris. L’occasion de faire remonter à la surface de nombreuses initiatives astucieuses mais aussi, les sempiternelles contraintes de financement.
 
« Il faut veiller à ne pas descendre de la marche car il est bien plus difficile de remonter… » Reprise par François soulage, Président du collectif alERTE, cette phrase a marqué les esprits des 200 participants au colloque organisé par l’Institut Pasteur de Lille et la Fondation Pileje, le 1er octobre à l’Assemblée nationale. Comme une triste illustration de la problématique du trio santé- précarité- prévention…
 
Précarité ou pauvreté ?

« Les inégalités de santé ont des origines multiples et elles conditionnent notamment l’accès à la prévention », a rappelé le Pr jean-Michel lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de lille. « Il faut mobiliser nos efforts pour trouver les leviers du changement et éviter que les concepts de précarité et de santé précaire soient inexorablement accolés ».
 
Certes, mais « encore faut-il savoir de quoi l’on parle », a expliqué François Soulage. L’ancien président du secours catholique a d’emblée tenu à s’arrêter sur le mot précarité, trop souvent confondu, selon lui avec celui de pauvreté. Celle-ci est déterminée par un seuil (de pauvreté donc) qui se situe en France à 993 euros par mois (60% du revenu médian) et par unité de consommation.
 
Pour un couple avec deux enfants, il est ainsi de 2.085 euros. Pour la grande pauvreté, le plafond est de 662 euros par mois (40% du revenu médian). Quant à la précarité, « elle est liée à une incertitude de conserver ou de retrouver une situation acceptable », poursuit-il. « C’est une instabilité. Nous ne savons pas de quoi demain sera fait. La tendance est donc de conserver sa modeste situation. Elle peut ne pas être durable. Mais avec la crise, les possibilités d’en sortir deviennent plus rares ». C’est pourquoi à ses yeux, « la question du reste à vivre est essentielle et se gère différemment selon l’endroit où l’on vit. L’enjeu est de ne pas la traiter globalement sur un mode statistique ».
 
Individualisme et responsabilisation

Rendus publics à l’occasion de ce colloque, les résultats d’un sondage IFOP/Fondation Pileje ne vont pas forcément rassurer François Soulage... « Nous avons demandé à un échantillon de Français ce qu’ils pensent de la prévention santé et son accès par rapport à la précarité » a précisé Damien Philippot, directeur adjoint du département Opinions et stratégies d’entreprises à l’IFOP. Résultat, ces derniers temps, 63% des sondés ont dû resserrer le budget alimentation, 48% celui relatif à la pratique d’une activité physique et 47% à la santé.
 
Par rapport au financement de la prévention, six Français sur dix jugent plutôt efficace le remboursement des activités physiques pour certains patients, lorsqu’elles sont prescrites par un médecin. Dans le même temps, 47% d’entre eux considèrent que leur prise en charge est une affaire purement individuelle si ces activités ne font pas l’objet d’une ordonnance. Pour Damien Philippot, « nous nous orientons-là vers une volonté individuelle de prise en charge des frais de santé et de prévention. C’est une forme de responsabilisation individuelle qui semble se dessiner pour une part non-négligeable des Français ».
 
Un constat qui fait réagir Jean-Michel Lecerf : « certes, mais n’allons pas jusqu’à pénaliser les patients qui ne font pas ce qu’il faut. Car ils ne peuvent pas toujours »…
 
Pas de financements…

La question est désormais de savoir si le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2016 laissera une place à la prévention ! Et traduira ainsi dans les faits, les volontés affichées dans le projet de loi de santé actuellement en débat parlementaire.
 
Peu d’espoirs sont permis… Député PS de Haute-Garonne et rapporteur du PLFSS, Gérard Bapt évoque d’une part la difficulté de « l’évaluation médico-économique de la prévention ». Et d’autre part, le peu de perspective de financement public… « Nous sommes surtout concentrés à rechercher des économies. Si ensuite il y a des interstices… » L’ancien ministre de la Santé, Claude Evin, appelle toutefois à « sortir de ce système de soins pour le déplacer vers l’évitement de la maladie. C’est un mouvement qui va demander du temps mais il faut le conduire ».
 
Et pourquoi pas avec le secteur privé ? De nombreuses initiatives existent déjà. Directeur santé d’aG2R la Mondiale, Philippe Quique a par exemple conduit des campagnes de prévention sur la carie du boulanger. Avec succès. A la tête du groupe Cerba European lab, Catherine Courboillet travaille « depuis trois ans avec un groupe de médecins sur la prise en charge du VIH ». Elle regrette toutefois qu’il soit « très compliqué de mettre en place des partenariats publics-privés ».
 
Quelle place pour le privé ?

Les laboratoires pharmaceutiques aussi conduisent des actions en ce sens. Au début des années 2000, Merck Sharp & Dohme (Msd) a distribué plusieurs millions de comprimés d’Ivermectine dans plus de trente pays africains pour venir à bout de la cécité des rivières. Novartis s’est engagé il y a quelques années en faveur de la Proximologie. « Problème : si intéressantes soient-elles, ces actions sont toujours considérées avec scepticisme car pilotées par des laboratoires », regrette le Dr François Pelen, ancien vice-président de Pfizer.
 
Au-delà de ces initiatives, ce colloque a permis de faire remonter à la surface de nombreuses initiatives conduites sur le territoire, à Paris, comme en Province. A l’image des Bons Verts sur la commune de la Madeleine (nord) pour faciliter l’achat de fruits et de légumes. Ou de Tous à Table, une association qui finance notamment des repas gastronomiques pour les plus précaires. Sans oublier des fondations d’entreprises comme celle de Décathlon qui oeuvre sur l’insertion par le sport.
 
Des propositions

« Beaucoup de ces actions mériteraient d’être mieux connues » résume Jean-Michel Lecerf. « Pourquoi pas à l’aide d’une plate-forme spécifique, un annuaire ? » C’est d’ailleurs l’une des propositions qui émerge de ce colloque. Elles seront bientôt mises en ligne sur le site www.education-preventionsante.fr. Et d’ajouter : « il convient surtout de rendre la prévention plus agréable et positive à travers les messages délivrés. Facilitons aussi les partenariats publics-privés ». Il appelle encore à cibler les actions sur les populations concernées et éviter ainsi le saupoudrage. Un exercice plus compliqué qu’il n’y paraît. « Nos sociétés ne seront humaines que si elles ne laissent pas de côté les plus démunis », conclut-il. Un appel à tendre la main pour éviter la fameuse descente de marche…
 
Source : Colloque « Démocratiser l’accès à la prévention », Paris, 1er octobre 2015 – Etude IFOP/Fondation PiLeJe réalisée auprès de 10002 personnes, échantillon représentatif de la population française de 18 ans et plus. Interviews réalisées par questionnaire en ligne, les 3 et 4 septembre 2015.

Publié le 23/11/2015 à 01:00 | Lu 1618 fois