Retraites à prestations définies : quand la France transpose une directive européenne

Nous l’avions écrit il y a un an (cf. Article AD du 9 juillet 2018 « L’épargne-retraite vue par le projet Pacte : on change tout ! ») : les régimes de retraite à prestations définies à droits conditionnels allaient vivre leurs dernières heures avec la loi PACTE. Par le cabinet August Debouzy.





Publiée le 23 mai 2019, cette loi est le véhicule juridique trouvé par la France pour transposer la directive 2014/50/UE du 16 avril 2014 relative aux prescriptions minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs dans l’Union européenne en améliorant l’acquisition et la préservation des droits à retraite. Une ordonnance n° 2019-697 du 3 juillet 2019, publiée au journal officiel le 4 juillet 2019, vient achever cette transposition.
 
Transposition qui, selon la directive, devait être effectuée avant le 21 mai 2018 par les Etats membres. Malgré ce retard, intéressons-nous au contenu de la transposition française qui devait nécessairement tenir compte des règles et dispositifs nationaux en vigueur.
 
La directive européenne invitait les Etats à plusieurs actions :
- supprimer tout système pour lequel un droit à retraite existant en raison d’une relation de travail est lié à la condition d’atteindre l’âge de la retraite ou à la satisfaction d’autres exigences ;
- autoriser des régimes prévoyant un délai d’attente avant d’y accéder et/ou une période d’acquisition avant d’accumuler des droits à retraite, sans que la période cumulée (délai d’attente et/ou période d’acquisition) ne puisse excéder 3 ans ;
- encadrer les régimes dans lesquels tous les droits à pension risquent d’être perdus si le salarié quitte l’entreprise avant la fin d’une période d’affiliation ou avant un âge minimal requis (21 ans) ;
- permettre – lorsque le salarié quitte l’entreprise avant d’avoir accumulé des droits à pension acquis – le remboursement des cotisations versées ;
- garantir que les droits acquis par un salarié sortant puissent être conservés au sein du régime qui a permis cette acquisition et préserver ces droits à pension devenus dormants ;
- s’efforcer d’améliorer la transférabilité des droits acquis ;
- développer un système d’information clair et régulier auprès des bénéficiaires sur les droits acquis et les conséquences en cas de cessation d’emploi.
 
Les entreprises françaises disposaient jusqu’ici de tout un arsenal de dispositifs à caractère collectif pour aider leurs salariés à se constituer des droits à retraite supplémentaire :
1. les régimes de retraite à cotisations définies et les Plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco) ;
2. les régimes de retraite à prestations définies par lesquels l’entreprise promet un montant déterminé de pension à percevoir au moment de leur retraite ; la très grande majorité de ces dispositifs conditionnait – du fait d’un traitement social considéré comme favorable à l’origine - le versement de la pension de retraite à l’achèvement de la carrière dans l’entreprise.
 
Les premiers seront complétés demain par les PER (Plans d’Epargne Retraite) d’entreprise, issus aussi de la loi Pacte. Une ordonnance venant préciser le régime juridique de ces dispositifs devrait être publiée très prochainement.
 
Les seconds se voient désormais interdits par la loi Pacte, transposant la directive UE de 2014 et complétée par une ordonnance 2019-697 du 3 juillet 2019 relative aux régimes professionnels de retraite supplémentaire.
 
Au-delà de cette transposition, les nouvelles règles sont aussi l’occasion d’encadrer ces régimes de retraite à prestations définies qui, bénéficiant souvent aux mandataires sociaux, suscitent de temps à autre dans l’opinion publique quelque émoi du fait des montants de la provision mathématique.

Que faut-il retenir de ces textes ? Comment la France a-t-elle transposé en droit interne la directive UE 2014/50/UE ?
 
1. Un cadre juridique enfin
Alors que les régimes de retraite à prestations définies n’existaient officiellement et quasiment que par les dispositions les régissant au plan de leur régime social (les régimes dits « article L. 137-11 du code de la sécurité sociale »), l’ordonnance se propose de poser les caractéristiques juridiques d’un contrat de retraite professionnelle supplémentaire figurant dans les réglementations propres aux opérateurs gérant ce type de régime (assureurs et fonds de retraite professionnelle supplémentaire).
 
Ces caractéristiques reprises dans l’article 1er de l’ordonnance sont le véritable fruit de la transposition de la directive européenne.
 
Ainsi tout contrat de retraite professionnelle supplémentaire souscrit par un employeur doit respecter les éléments suivants :
- prévoir des droits payables au bénéficiaire au plus tôt à la date de liquidation de sa pension dans un régime d’assurance vieillesse de base ou à l’âge minimum de départ en retraite (62 ans aujourd’hui) ;
- ne pas remettre en cause les droits du bénéficiaire du fait de son départ de l’entreprise  (pour un motif autre que la retraite). Il en résulte que ses droits sont acquis, ce qui constitue un changement radical avec les régimes de retraite à prestations définies existant à ce jour ;
- conditionner le cas échéant l’entrée dans le contrat à une durée minimale d’ancienneté et/ou le déclenchement de l’acquisition de droits (une fois à l’intérieur du régime) à une condition de durée minimale de cotisations. La somme de ces durées lorsqu’elles sont toutes les deux prévues par un même régime ne peut excéder 3 ans ;
- conditionner le cas échéant l’acquisition de droits à un âge minimal qui ne peut être supérieur à 21 ans ;
- prévoir – lorsque le bénéficiaire quitte l’entreprise avant d’avoir atteint la durée minimale d’acquisition de droits – le remboursement des cotisations à l’employeur et le cas échéant au bénéficiaire (qui peut donc se trouver à participer au financement de cette retraite – ce qui jusqu’ici n’était pas le cas puisque les droits des régimes actuels sont non individualisés et aléatoires) ;
- revaloriser annuellement les droits acquis du bénéficiaire sortant de la même manière que ceux des salariés encore dans l’entreprise ou selon le taux de revalorisation choisi pour les prestations de retraite servies ;
- l’assureur (et non l’employeur) doit remplir diverses obligations d’information : informer annuellement le bénéficiaire des conséquences d’une éventuelle cessation d’emploi sur les droits acquis et informer, sur demande, le bénéficiaire sortant ou les ayants droit d’un bénéficiaire décédé, du montant des droits acquis.
 
Nulle trace en revanche sur la possibilité, pour les bénéficiaires, de transférer individuellement leurs droits acquis vers un autre dispositif (alors que le premier projet d’ordonnance le prévoyait expressément).
 
2. Un traitement social et fiscal spécifique
Pour bénéficier d’un traitement social spécifique, prévu dans un nouvel article du code de la sécurité sociale, et outre les caractéristiques juridiques évoquées précédemment, il convient que le régime mis en place par l’employeur respecte diverses autres conditions.
 
Les régimes dits « L. 137-11-2  » sont nés…
Ces dispositifs peuvent être mis en place au bénéfice de :
- un ou plusieurs salariés ; cet élément est tout à fait nouveau et ne figurait pas dans les divers projets de l’ordonnance ayant circulé ; il soulève une question fiscale pour l’entreprise : comment articuler le caractère collectif du régime exigé pour la déductibilité fiscale alors qu’il est aujourd’hui affirmé que ce régime peut avoir un seul bénéficiaire ? Le recours à une catégorie composée d’un seul bénéficiaire serait-il suffisant ?
- mandataires sociaux visés expressément par l’ordonnance selon la forme juridique de leur société ; cette référence explicite est heureuse car les dirigeants ne relèvent pas du champ d’application de la directive UE de 2014.
 
La prestation de retraite doit prendre la forme d’une rente viagère qui peut être définie indépendamment des montants perçus des autres régimes de retraite du bénéficiaire (régimes additifs) ou sous déduction de ces mêmes montants (régimes différentiels).
 
Il est prévu une acquisition de droits à retraite supplémentaires, année après année, sans qu’il soit possible au moment du déclenchement de cette acquisition de recouvrer des droits passés, de manière rétroactive au travers d’une reprise d’ancienneté par exemple.
 
Ces droits supplémentaires sont exprimés en pourcentage de la rémunération du bénéficiaire soumise à cotisations de sécurité sociale pour l’année considérée alors que la rémunération de référence était jusqu’ici librement définie par l’entreprise dans le règlement de retraite formalisant son engagement.
 
Une première limite est posée puisque ce pourcentage ne peut dépasser 3% de la rémunération par an. Ce qui correspond à la règle posée pour dirigeants des sociétés anonymes cotées, bénéficiaires de régimes de retraite à prestations définies depuis la loi du 8 août 2015 dite « Loi Macron » et issue précédemment des recommandations AFEP-MEDEF.
 
Une autre limite est aussi introduite puisqu’il est prévu que les droits acquis et cumulés pour un même bénéficiaire, et tous employeurs confondus, sont plafonnés à 30 « points ». La mise en œuvre de ce plafond global ne se fera pas sans difficulté : qu’entend-on par « tous employeurs confondus » ? Qui sera habilité à vérifier ce plafond ? Quelle sera la sanction en cas de dépassement ?
 
Certes il est prévu que l’employeur notifie annuellement via la DSN l’identité des bénéficiaires et le montant des droits supplémentaires acquis par chacun mais rien ne dit que l’Urssaf soit équipée pour ce type de contrôle.
 
Par ailleurs, inspirée de la règlementation sur les retraites à prestations définies applicable depuis la loi TEPA du 21 août 2007 aux dirigeants de sociétés anonymes cotées, les régimes doivent subordonner l’acquisition de droits supplémentaires au respect de conditions liées à ses performances professionnelles.
 
La nouveauté réside dans le fait que cette condition est étendue tant aux mandataires sociaux des sociétés anonymes non cotées, des sociétés à responsabilité limitée et des sociétés par actions simplifiée lorsqu’ils sont bénéficiaires, mais aussi tous les salariés dont la rémunération perçue sur l’année considérée est supérieure à 8 PASS (324.192 euros pour 2019).

Il sera là aussi intéressant d’examiner la mise en œuvre pratique de cette règle : comment formaliser ces objectifs individuels ? L’Urssaf ira-t-elle vérifier et selon quels moyens la réalisation de ces performances ?
 
Enfin, l’institution d’un tel régime ne sera possible que si par ailleurs tous les salariés de l’entreprise bénéficient d’au moins l’un des dispositifs suivants : Perco ou régime de retraite supplémentaire à cotisations définies collectif et obligatoire, les futurs PER (de la loi Pacte) mis en place par l’entreprise à savoir les PER d’entreprise collectif et les PER obligatoires.
 
Dès lors que toutes ces conditions sont remplies, le financement patronal (c’est-à-dire les cotisations versées par l’employeur à l’organisme gestionnaire) sera :
- exempté de cotisations de sécurité sociale, de CSG-CRDS et de forfait social ;
- mais soumis à une contribution spécifique à la charge de l’employeur au taux de 29,7% (qui ne correspond ni plus ni moins qu’à l’addition de la CSG-CRDS et du forfait social) ;
- affranchi de l’impôt sur le revenu pour le bénéficiaire pendant la phase de constitution des  droits.
 
La rente perçue par le bénéficiaire retraité est également assujettie à la contribution spécifique de l’article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, soit la même que  celle appliquée aux rentes issues des régimes à droits conditionnels actuels.
 
3. Mais justement que deviennent les régimes de retraite à prestations définies à droits conditionnels visés par l’article L. 137-11 CSS ?
Le législateur face aux injonctions de la directive UE de 2014 pouvait :
- supprimer purement et simplement ces régimes ;
- rendre leur transformation en  régimes à droits acquis ou certains obligatoire ;
- les fermer et les laisser perdurer tels quels ou après certaines modifications, avec une incitation  à les transformer  en régimes à droits acquis.
 
C’est cette dernière alternative qui a été choisie. Elle risque néanmoins d’être assez complexe à mettre en œuvre en pratique.
 
Ainsi par le seul fait de la publication de l’ordonnance, le 4 juillet 2019, tous les régimes actuels sont fermés. Il va sans dire qu’à compter de cette même date, aucun nouveau régime de retraite à prestations définies à droits conditionnels ne peut être institué.
 
Cette fermeture se traduit en deux étapes :
- aucune personne ne peut être déclarée bénéficiaire potentiel des régimes existants à partir du 4 juillet 2019 ;
- aucun nouveau droit supplémentaire conditionnel à prestations ne peut être « acquis » au sein de ce régime au titre de périodes d’emploi postérieures au 1er janvier 2020.
 
Sur ce dernier point, l’ordonnance publiée précise que le fait de calculer, sur le salaire de fin de carrière, les droits constitués au titre des périodes d’emploi antérieures au 1er janvier 2020 dans les conditions prévues au régime n’est pas considéré comme un droit supplémentaire. Cette précision permet ainsi d’être plus en phase avec le mécanisme de ces retraites souvent calculées sur une rémunération des dernières années d’activité.
 
Un élément un peu perturbateur a été glissé dans cette version définitive de l’ordonnance : l’article 6 qui était consacré à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance elle-même est devenu une disposition qui interpelle. Il est ainsi prévu que pour les contrats de retraite professionnelle en cours d’exécution au 4 juillet 2019, l’article 1er s’applique aux droits afférents aux périodes d’emploi accomplies à compter du 1er janvier 2020.
 
A priori, les contrats de retraite professionnelle en cours visent les régimes de retraite à droits conditionnels de l’article L. 137-11 du code de la sécurité sociale ayant fait l’objet de la souscription d’un tel contrat. Ne seraient donc pas concernés les régimes encore gérés en interne par les entreprises (car antérieurs à 2010).
 
L’article 1er vise les caractéristiques juridiques des nouveaux régimes à droits certains. Par déduction, on pourrait conclure que les régimes actuels généreront encore des droits supplémentaires pour les périodes d’emploi postérieures au 1er janvier 2020 mais ces droits doivent être acquis selon les nouvelles normes.
 
Ce qui concrètement amène à l’avènement de régimes de retraite à prestations définies à droits mixtes :
- en partie conditionnels donc soumis à l’achèvement de la carrière dans l’entreprise,
- et en partie acquis…
 
Les employeurs et les organismes gestionnaires vont avoir fort à faire… L’ordonnance enfin permet à l’employeur de procéder – selon des conditions techniques, fiscales et sociales précises - à un transfert collectif des engagements existants dans les régimes à droits conditionnels vers un nouveau régime de retraite à prestations définies et à droits certains. Encore faudra-t-il trouver un intérêt à cette opération.
 
Il n’est pas interdit de croire que la Direction de la Sécurité sociale publiera une circulaire sur les nouveaux régimes ou sur la transformation des anciens régimes vers les nouveaux.
 
Enfin, ces transformations et créations de régimes ne manqueront pas d’avoir un impact sur les passifs sociaux des entreprises au titre des avantages post-emploi que sont les régimes de retraite à prestations définies.
 
Ces derniers représentent déjà, en tant que dispositifs à droits aléatoires, des sommes significatives dans la comptabilisation des engagements des entreprises. Le fait de créer ou de devenir des régimes à droits acquis devrait alourdir sensiblement ces valorisations.
 
Les questions sont nombreuses et complexes mais voilà la France à jour de sa transposition d’une directive européenne !

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Article publié le 12/07/2019 à 01:00 | Lu 1917 fois