Raconter l'histoire de sa vie : récit autobiographique ou roman ?

Sylvie Labansat, biographe personnel, revient en détail sur les différentes manières d’appréhender et de préparer le récit de votre vie… Souhaitez-vous faire éditer ce livre pour vous-même ou pour transmettre aux générations futures ? Bien souvent, la motivation n’est pas claire d’emblée, elle conditionne pourtant l’écriture. Explications.


Deux sœurs se disputaient gentiment sur la forme du futur livre familial.

- Il faut s’en tenir strictement aux faits et ne rien rajouter ! disait l’une.

Et l’autre de rétorquer :

- Mais non, ça ne donnera rien si on se contente d’énumérer des anecdotes. Il faut habiller les souvenirs, sinon ça ne fera pas un livre !
 
Depuis 2009, je suis régulièrement confrontée à cette interrogation : dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ou l’enrichir d’informations extérieures, inscrire ses souvenirs dans un cadre historique, sociologique, géographique… susceptible de renseigner les futures générations sur une époque passée ?
 
Oui mais de QUELLE vérité parle-t-on : la vôtre, la sienne, la mienne… ? Nous savons tous que la perception de la réalité varie en fonction des narrateurs, de leur vécu et de leur registre émotionnel. Selon notre place dans la fratrie, nous n’avons pas eu les mêmes parents. Il n’est pas rare qu’à la lecture de son livre par un tiers, un narrateur s’entende dire : « C’est ta façon de voir les choses, pas la mienne ».
 
De plus, notre cerveau n’enregistre pas les informations avec la rigueur d’un disque dur. L’hippocampe, acteur principal de notre mémoire à court terme, stocke temporairement nos souvenirs. Lesquels sont, dans un deuxième temps, transférés à une autre région du cerveau qui va constituer la mémoire à long terme. Or la mémoire humaine est dynamique. Les scientifiques s’accordent pour dire que le renouvellement des neurones tout au long de la vie fait perdre ou se transformer les souvenirs qui y sont conservés. Ainsi, en accélérant le renouvellement des cellules neuronales, les antidépresseurs ont pour effet indésirable d’accélérer l’oubli.
 
Par ailleurs, un souvenir « convoqué » plusieurs fois sera revisité différemment à chaque convocation. Nos réminiscences sont les enfants du hasard, comme dit joliment Daniel Pennac. Dès lors, quelle importance attacher à la « vérité » de ses souvenirs. Ne pourrait-on pas plutôt évoquer « ma perception d’une certaine réalité » ?
 
Venons-en maintenant à l’objet de cet article. Récemment, une dame m’a confié son journal « pour en faire un livre ». S’agissait-il de l’imprimer sous sa forme présente ou d’en retravailler le contenu pour en tirer un livre ? That was the question. Il fallut revenir à l’objectif initial du projet : écrivait-elle pour elle-même ou pour transmettre aux générations futures ? Bien souvent, la motivation n’est pas claire d’emblée, elle conditionne pourtant l’écriture.
 
Dans le premier cas, la démarche est plus narcissique, dans le deuxième, elle est plus altruiste puisqu’il s’agit de témoigner d’un parcours de vie d’où l’intérêt est de le situer dans un contexte et une période donnés. Ah nous y voilà enfin…
 
À partir de l’objectif du livre, le genre littéraire va se préciser : vais-je opter pour une autobiographie dans laquelle je suis à la fois l’auteur, le narrateur et le personnage principal (principe des trois identités) ou vais-je, au contraire, me distancier un peu et proposer un récit mettant en scène – même s’il est écrit à la première personne du singulier – un personnage fictif dont la vie s’inspire (mais s’inspire seulement) de la mienne ?
 
Contrairement à l’autobiographie, le roman de vie mélange la fiction et le réel, qu’il recompose à l’envi et l’auteur ne s’engage pas à rendre compte véritablement de ce qu’il a vécu. Une formule intermédiaire consiste à rajouter des éléments de liaison pour faire vivre le récit dans lequel narrateur et personnage principale ne font qu’un.
 
On le voit, le choix du genre littéraire est un parti pris délibéré qui s’argumente en fonction de la destination de l’ouvrage.
 
Sylvie Labansat, biographe
alorsracontenous@free.fr
http://alorsracontenous.free.fr
 

Publié le 09/09/2015 à 01:00 | Lu 3288 fois