Peer Gynt au Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher de Bussang : épopée norvégienne dans la verdure vosgienne

C’est un théâtre tout en bois, avec un fond de scène amovible qui s’ouvre sur la colline boisée située derrière le bâtiment. Le lieu a été créé en 1895 par l’écrivain et poète Maurice Pottecher, natif de Bussang. Initialement en plein air, une architecture en bois fut ensuite construite, permettant des représentations de durée plus importante. D’abord gérée par le maître lui-même, l’acteur Pierre-Richard Wilm en prit la direction dans les années 1950.





Chaque année, et spécialement l’été, en juillet et août, y sont données plusieurs représentations d’une ou deux œuvres théâtrales, l’une l’après-midi, avec un entracte champêtre d’une demi-heure permettant à chacun, public et acteurs, de se reposer un peu, et l’autre en soirée, de durée plus courte.
 
Sur le plateau des professionnels, mais aussi des amateurs, habitants de Bussang (Vosges) ou de la région. Le public, de provenance très diverse, se partage les 900 places aménagées sur des bancs en bois assurant une parfaite visibilité mais de confort un peu rude, pour lesquels il est prudent d’amener un coussin.
 
Pendant de nombreuses années, ce sont les pièces du fondateur lui-même qui y étaient données. De nos jours, le répertoire est plus éclectique, allant de Shakespeare à des créations contemporaines, en passant par Brecht ou Feydeau. Il privilégie les fresques et les épopées, s’étalant à la fois dans l’espace et le temps, particularité qui constitue, avec la participation d’acteurs non professionnels, ce que certains appellent « l’esprit Bussang ».
 
« Peer Gynt », du norvégien Henrik Ibsen, y fut montée une première fois en 1996 dans une production de Philippe Berling.
 
C’est sans doute une des pièces les plus populaires de l’auteur, populaire au sens le plus vrai du terme, et qui convient parfaitement au propos théâtral de Bussang.
 
Il s’agit de l’odyssée d’un jeune norvégien, menteur et un peu lâche qui, pour des raisons plus ou moins claires, quitte l’amour de Solweig et se lance dans un tour du monde où il devient successivement promis puis vite éconduit de la princesse des Trolls, homme d’affaire en Amérique, prophète en Égypte, roi des Fous dans un asile et naufragé au milieu de la mer.
 
Et, lassé des voyages, il revient au pays de longues années après, espérant être enfin parvenu à son but : être soi-même.
 
C’est Anne-Laure Liégeois qui signe la mise en scène de cette année, assistée d’Aurélie Thomas et de Sanae Assif.
 
Le programme nous dit bien qu’il s’agit d’une adaptation libre. Libre dans le texte, dans une traduction modernisée. Libre aussi dans sa conception du personnage de Peer Gynt, joué ici par deux acteurs différents et, ce qui n’est pas rien, fils et père à l’état civil, Ulysse et Olivier Dutilloy.
 
Le premier, Ulysse Dutilloy, est un jeune garçon de vingt ans, membre de la troupe des comédiennes et comédiens amateurs de Bussang. Il campe un Peer innocent et fougueux, certes menteur mais très attachant, même dans sa déraison.
 
L’autre, muri par les années et par ses périples autour du monde, est plus lucide, un rien désabusé mais jamais cynique, et tout aussi attachant lui aussi. Merveilleux Olivier Dutilloy, qui nous fait un beau cadeau d’humanité dans le sublime dernier acte, lorsqu’il cherche désespérément un témoignage de son passé que lui demande l’homme à la cuillère, ou lorsque, assis au-devant de la scène, il épluche patiemment un oignon, à la recherche du cœur de l’homme.
 
Les deux Peer Gynt figurent parfaitement la course du monde, et cette inversion du fils qui devient son père, troublante, est sans conteste le point fort de cette mise en scène.
 
Laure Wolf joue le rôle de la mère, une mère qui essaie tant bien que mal de ramener son rejeton dans le droit chemin, et qui meurt avant d’y être parvenue.
 
Les autres acteurs, amateurs mais de talent, contribuent à l’homogénéité de cette production. La mise en plateau, comme il est de coutume à Bussang, est virevoltante, avec des toiles immenses qui apparaissent et disparaissent, des accessoires qui tombent du ciel et y remontent aussi vite.
 
Sans oublier la musique d’Edward Grieg, que le compositeur créa à l’époque spécialement pour l’occasion, où chacun reconnait des airs entendus en concert, et qu’on retrouve ici merveilleusement intégrés à l’action.
 
Le prochain spectacle est une adaptation théâtrale du roman de Nicolas Mathieu, « Leurs enfants après eux », Prix Goncourt 2018, mise en scène par Simon Delétang. Ne manquez pas, si vos pas vous amènent dans la région, de venir faire cette halte bucolique au cœur du massif vosgien.
 
Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher
40 rue du Théâtre
88540 Bussang
Billetterie 03 29 61 50 48
 
- « Leurs enfants après eux », d’après Nicolas Mathieu, du 12 aout au 4 septembre, du jeudi au dimanche à 15h

Article publié le 19/08/2021 à 09:38 | Lu 2946 fois