Odéon : le Testament de Marie, un grand moment de théâtre

S’emparer de la vie de Jésus pour en faire une fiction littéraire ou, plus modestement, lui porter un nouveau regard contemporain a déjà été fait plusieurs fois, tant au cinéma qu’au théâtre. Mais s’occuper de sa mère, celle qu’on appelle communément Marie, n’avait encore jamais été tenté et c’est à cette première que nous assistons ici. Au théâtre de l’Odéon jusqu’au 3 juin 2017.





Le mérite en revient à Colm Tolbin, dans un beau texte écrit en 2011 et déjà porté sur la scène de Broadway quelques années plus tard. Il s’agit d’un long monologue où Marie raconte, à sa manière, certains évènements évoqués dans les Evangiles.
 
Le spectacle commence par un prologue, on vous conseille d’ailleurs d’arriver en avance pour pouvoir monter sur scène et y découvrir un bazar hétéroclite fait de clous, de marteaux et de fil barbelé. L’actrice arrive alors sur le plateau et s’installe, telle la Vierge que nous connaissons, dans une châsse illuminée qu’elle quittera bientôt d’un pas lent, accompagnée d’un vautour posé sur sa main.
 
Fin du prologue, et début du texte lui-même.
 
Après la mort de son fils, Marie s’est réfugiée dans une cabane non loin d’Ephèse, en Turquie, où elle tente d’oublier les scènes d’horreur auxquelles elle a assisté. Elle porte maintenant le jean et ne dédaigne pas de fumer de temps en temps une cigarette. Un jour, deux hommes arrivent et lui demandent de leur raconter ce qu’elle a vécu.
 
Et Marie raconte….
 
D’abord, elle précise que son fils -elle l’appellera toujours ainsi, sans lui donner son prénom- était entouré d’une bande de désaxés, comme elle les appelle, qui étaient incapables de regarder les filles et qui prononçaient d’étranges paroles. Puis, dans une chronologie parfois bousculée, nous l’entendons dérouler les scènes que nous connaissons tous, de la guérison du paralytique à la résurrection de Lazare et aux Noces de Cana où, nous dit-elle, Jésus ne reconnaît même plus sa mère.
 
Et vient la scène de la Crucifixion…
 
Pendant les 80 minutes que dure le spectacle on ne s’ennuie pas un seul instant. Cela tient bien sûr au texte, fait de mots simples, qui donne de Marie l’image d’une femme comme tout le monde, avec un fils dont elle n’approuve pas toujours la conduite et qui doit -le mari est absent- s’occuper de tout.
 
On rit d’ailleurs dans les premiers moments de la voir et l’entendre s’agiter et ronchonner, un linge ou une éponge à la main. On est captivé par ses histoires de miracles, que pourtant nous connaissons bien, mais ici racontées différemment, comme en direct. Puis les mots, toujours aussi simples mais peu convenus, nous étreignent quand elle en vient à l’essentiel, la scène finale.
 
Il faut également saluer la mise en scène de Deborah Warner, qui a réussi le tour de force de donner la vie à ce texte, utilisant, ça et là, des objets incongrus, tel ce point d’eau si présent ou une simple échelle qui figure la croix. Et puis, c’est bien sûr Dominique Blanc qui, par un jeu théâtral hors du commun, donne toute la  raison d’être à cette performance. Alliant élégamment grâce et fragilité, elle rayonne du début à la fin.
 
Après la pirouette finale, qui nous interpelle, on sort heureux de ce spectacle, conscients d’avoir vécu un grand moment théâtral et, comme l’espère Deborah Warner, « d’être réunis dans une humanité commune ».

Alex Kiev
 
En coproduction avec la Comédie Française
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon
75006 Paris

Article publié le 29/05/2017 à 01:00 | Lu 610 fois