Nouveaux défis de l’hémophilie : s’adapter aux besoins de chaque patient

Entre 1921 et 1960, l’espérance de vie des patients hémophile n’atteignait pas les trente ans… Entre 1961 et 1980, grâce aux progrès de la médecine, cette dernière dépassait les 60 ans… Face à cette augmentation de la durée de vie des hémophiles, revenons aujourd’hui sur cette maladie relativement méconnue et sur les traitements qui cherchent désormais à s’adapter aux besoins de chaque patient.


A l’occasion de la Journée Mondiale de l’Hémophilie, qui s’est tenue le 17 avril dernier, le laboratoire Novo Nordisk, très impliqué dans cette pathologie, a présenté à Paris son engagement qui vise à améliorer les perspectives et la vie de tous les patients hémophiles au niveau international et national.

Avant tout, rappelons que l’hémophilie est une maladie hémorragique héréditaire due à l’absence ou au déficit d’un facteur de la coagulation. Plus précisément, il s’agit d’ un trouble de la coagulation congénital transmis par la mère qui affecte les hommes. En France, environ 5.000 personnes sont atteintes d’hémophilie et on estime à environ 400 000 le nombre d’hommes dans le monde atteints d’hémophilie A ou B.

Les patients atteints d'hémophilie A ont une production absente, diminuée ou défectueuse de la protéine de coagulation sanguine appelée Facteur VIII (FVIII). Ceux qui sont atteints d'hémophilie B présentent des problèmes semblables avec le facteur IX (FIX).

L’hémophilie est qualifiée de « sévère » lorsque l’activité du facteur de coagulation affecté (FVIII ou FIX) est inférieure à 1% de la normale. Une hémophilie sévère est souvent associée à des hémorragies spontanées (c'est-à-dire des hémorragies qui ne sont pas provoquées par un traumatisme), notamment des hémorragies articulaires.

L’hémophilie est qualifiée de « mineure » lorsque l’activité du facteur de coagulation concerné est supérieure à 5%, mais tout en étant inférieure à la normale, et qualifiée de « modérée » lorsque l’activité du facteur de coagulation se situe entre 1% et 5% de la normale. Environ 50% des patients hémophiles ont une hémophilie sévère, et doivent recevoir un traitement substitutif par voie intraveineuse.

Des hémorragies multiples aux conséquences graves
L'hémophilie sévère devient habituellement symptomatique durant les premières années de la vie ; notamment lorsqu'un enfant commence à se déplacer seul. Les hémorragies constituent le signe principal de l’hémophilie. Elles peuvent atteindre chaque organe, en particulier les muscles (hématomes) et les articulations (hémarthroses).

Les hémorragies surviennent souvent dans les articulations, en particulier celles des genoux et des chevilles. Le saignement dans ces articulations peut provoquer une douleur intense et entrainer à terme une invalidité et des dommages permanents si la maladie n’est pas correctement traitée. D’autres saignements légers, modérés voire même mettant en danger la vie ou un membre du patient peuvent aussi survenir dans les muscles, les tissus mous, le tube digestif ou même le cerveau.

De plus, les traumatismes, les chirurgies majeures, les extractions dentaires et autres interventions chirurgicales mineures nécessitent une prise en charge particulière des saignements associés. Leur gravité dépend beaucoup de leur localisation, et de l’importance du déficit en facteur de coagulation.

Les hématomes musculaires, habituellement dus à un traumatisme, ont souvent un retentissement fonctionnel important et les hémarthroses peuvent aboutir à une destruction des articulations et à la pose de prothèses. Les épisodes hémorragiques doivent donc être traités dès leur survenue, pour en limiter les répercussions sur la qualité de vie des patients.

Les traitements précoces améliorent la qualité de vie

Les patients ayant une hémophilie A ou B bénéficient aujourd’hui de médicaments performants qui consistent en l’administration du facteur de coagulation déficitaire. Ces substituts peuvent être des dérivés du sang humain (produits d’origine plasmatique, purifiés) ou des produits synthétiques (à partir de préparations obtenues par génie génétique) et issus de biotechnologies (produits dits « recombinants » à haut niveau de sécurité).

Le traitement peut être administré :

- en cas d’accident hémorragique traumatique ou spontané (« à la demande »), le plus tôt possible pour traiter l’hémorragie et prévenir les séquelles.
- en préventif, par des injections régulières et systématiques de facteurs de coagulation (deux ou trois fois par semaine). Ce traitement est le traitement standard aujourd’hui chez l’hémophile sans inhibiteur et permet d’améliorer l’état ostéo-articulaire.

Les traitements actuels ont permis d’améliorer la qualité de vie des hémophiles qui peuvent s’auto-administrer, après apprentissage (stages d’éducation thérapeutique) les injections à domicile. La plupart des adultes et des enfants mènent une vie active normale (avec toutefois, certaines précautions pour éviter les hémorragies).

Une complication majeure : la survenue d’inhibiteurs entraîne une résistance au traitement

Depuis que le risque infectieux par l’injection de produits plasmatiques est devenu quasi nul, l’une des conséquences les plus graves du traitement de l’hémophilie est la survenue « d’inhibiteurs », anticorps anti-facteur VIII ou anti-facteur IX qui neutralisent les facteurs de coagulation et rendent le traitement inefficace. On peut donc affirmer que la principale complication du traitement de l’hémophilie est donc la survenue d’inhibiteurs.

De fait, entre 4 et 20% des hémophiles A peuvent développer des inhibiteurs antifacteur VIII. Le risque de survenue d’inhibiteurs du facteur IX est plus faible dans l’hémophilie B. Ces anticorps se développent généralement, au cours de l’enfance, peu après les premières injections. Les inhibiteurs affectent les hémophiles à des degrés divers en fonction de leur taux de présence dans l’organisme. Ils peuvent aussi varier en intensité chez une même personne.

Toutefois, des stratégies thérapeutiques existent pour essayer de déjouer l’action de ces inhibiteurs. La tentative d’induction de tolérance immune qui consiste à administrer dès la survenue de l’inhibiteur, de fortes doses de facteur VIII ou de facteur IX est le traitement de première intention en vue d’éliminer cet inhibiteur. Tant que l’inhibiteur est présent, il faut recourir dans la grande majorité des cas à des médicaments qui court-circuitent l’effet de l’inhibiteur notamment le facteur VII activé recombinant. Les recherches se poursuivent : molécules à demi-vie plus longue afin de pouvoir espacer les injections, molécules plus actives... Plusieurs études cliniques sont en cours actuellement.

Les progrès dans la prise en charge des patients avec inhibiteurs

Interview du Pr Claude Négrier de Hôpital Edouard Herriot, Lyon. Directeur de l’Unité de recherche hémophilie et maladies hémorragiques

L’un des défis du traitement de l’hémophilie aujourd’hui, est la prise en charge personnalisée des patients avec inhibiteurs. D’importants progrès ont été réalisés dans les dernières décennies et différents traitements sont mis à la disposition du corps médical. Les recherches se poursuivent afin d’améliorer l’efficacité des médicaments.

« L’incidence de survenue des inhibiteurs est de 20-30% dans les déficits en facteur VIII sévères. Ces inhibiteurs vont se développer le plus souvent dans les 50 premiers jours de traitement de remplacement avec le facteur de coagulation manquant (en moyenne au bout de 10 à 15 jours de traitement). Ainsi, ils apparaissent généralement chez les jeunes enfants de la naissance à l’âge de 4 ans. Leur apparition est moins fréquente, en cas d’hémophilie B : 4-5% des formes sévères. Il s’agit donc d’une complication majeure du traitement qui n’est pas rare » souligne le Pr Claude Négrier. « Ce qui rend encore plus difficile le traitement c’est qu’il existe plusieurs sortes d’inhibiteurs qui évoluent au cours du temps chez le patient. »

Existe-t-il des facteurs prédisposants ?

On a identifié aujourd’hui un certain nombre de facteurs prédisposants à l’apparition des inhibiteurs, notamment d’origine génétique : le type de mutation génétique à l’origine de la maladie, les antécédents familiaux d’inhibiteurs, l’ethnie (par exemple, les noirs Américains hémophiles sont deux à trois fois plus nombreux à posséder des inhibiteurs que les Américains hémophiles d’origine caucasienne)… Il existe également des facteurs environnementaux sur lesquels (contrairement aux précédents) on pourrait agir.

« En effet, il a été observé que lorsque l’on injectait une forte quantité de facteur VIII dans un contexte inflammatoire, hémorragique (« peak moment ») lors d’un hématome intracérébral ou une hémorragie grave peu après la naissance par exemple…cela favorisait l’apparition d’inhibiteurs. Des équipes allemandes suggèrent donc d’administrer très tôt dans la vie du facteur VIII pour prévenir les hémorragies et éviter de le faire au « peak moment » déclare le Pr Claude Négrier. Par ailleurs, certains auteurs pensent que les facteurs recombinants entraîneraient un risque supérieur de formation d’inhibiteurs que les produits d’origine plasmatique.

Quelles sont les possibilités thérapeutiques actuelles ?

« Jusqu’à une époque relativement récente, on constatait une augmentation de la morbi-mortalité chez les patients hémophiles avec inhibiteurs. Aujourd’hui, les dernières données épidémiologiques suggèrent que la mortalité n’est pas différente de celle observée chez les patients hémophiles sévères sans inhibiteurs » explique encore le Pr Claude Négrier.

Actuellement, il existe en effet plusieurs stratégies. Lorsque le taux d’inhibiteurs est faible (< 5 unités Bethesda), il est alors possible de renforcer la tolérance du système immunitaire en injectant de fortes doses du facteur VIII (ou XI). Lorsque le taux d’inhibiteurs est supérieur à 5 unités Bethesda, on utilise des produits court-circuitants (dits « bypassing ») qui agissent à une autre étape de lab cascade de la coagulation que celle utilisée par le facteur à l’origine des inhibiteurs. Il en existe deux : le facteur VII activé recombinant et le Factor Eight Inhibitors Bypassing Agent.

« Avec ces traitements, on arrive à une efficacité dans 70-80% des cas. C’est déjà bien, mais on cherche à améliorer encore cette efficacité. Pour cela, les chercheurs visent à prolonger la durée d’action des molécules en augmentant leur durée de vie pour diminuer le nombre des injections quotidiennes (souvent supérieur à 3). L’autre voie pour rendre les molécules plus actives serait de modifier leur structure. Plusieurs études cliniques sont en cours. Enfin, deux autres pistes sont également explorées avec des médicaments antifibrinolytiques destinés à freiner la destruction du caillot et des extraits purifiés d’algues qui inhiberaient l’un des systèmes anticoagulant de l’organisme. »

Publié le 23/04/2010 à 12:47 | Lu 3526 fois