Monsieur le Président, il va falloir financer la grande fragilité, chronique par Serge Guérin

Monsieur le Président, voilà plus de dix ans qu’il aurait fallu créer une assurance « fragilité ». Vous avez évoqué avec raison la question lors de la campagne présidentielle. Plus on tergiverse et plus l’effort sera difficile... Le Japon a instauré le cinquième risque dès 1997. Il y a plusieurs solutions possibles mais un seul impératif : ne pas laisser les gens faire face seuls aux dépenses liées à la survenue des handicaps de la vieillesse.


Souvenons-nous que le système actuel date de 1945. À l’époque, la Sécurité Sociale, qui fonde largement le contrat social entre les membres de la collectivité « France », devait couvrir les quatre risques considérés comme majeurs : maladie, accident du travail, vieillesse (au sens de retraite) et famille. Le secteur du handicap restant à la charge des familles. Il faudra attendre 1975, pour qu’une première allocation soit créée au profit des personnes handicapées.

Cette prestation va croître rapidement en raison, justement, de l’augmentation des personnes très âgées en perte de capacité. Du coup, en 1997, une prestation spécifique va être créée concernant seulement les personnes âgées : ce sera la PSD (Prestation spécifique dépendance), moins avantageuse que l’allocation destinée aux personnes handicapées. Avec ce système, on a aussi renforcé la frontière artificielle entre deux catégories de personnes ayant des handicaps. Un handicapé peut d’ailleurs se retrouver dans une situation très différente selon qu’il a moins ou plus de 60 ans…

En 2002, une nouvelle allocation, l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie), remplace la PSD. Un seul chiffre suffit à montrer l’étendue des enjeux : la PSD concernait 135.000 personnes, l’APA touche plus d’un million de bénéficiaires ! Et la progression se poursuit avec une hausse de 6,8 % en 2007. Les prestations de l’APA représentent actuellement 4,5 milliards d’euros par an financées à 70 % par les Conseils généraux. .../...
Monsieur le Président, il va falloir financer la grande fragilité, chronique par Serge Guérin

Le système souffre de deux carences essentielles. D’une part, l’APA est limitée à des aides et à des maxima. L’allocation est insuffisante pour répondre aux besoins des plus fragilisés et ne prend pas en compte la globalité de la personne. D’autre part, on assiste à l’empilement sans fin des responsabilités dans les financements et à la multiplication des niveaux d’intervention : Etat, Région, Départements, Communes… Il en résulte des inégalités géographiques en fonction des politiques locales et des moyens dont disposent les collectivités. Par exemple, le financement de l’APA représente en moyenne 14% du potentiel fiscal des départements. Mais, pour certains, l’APA représente jusqu’à 20 % du potentiel fiscal et pour d’autres, seulement 2 %…

Par ailleurs, il règne un certain arbitraire dans le financement des secteurs, selon que les interventions se font à domicile ou en secteur hospitalier, qu’il s’agisse de long ou de courts séjours… Plus grave encore, peut-être : la dilution des responsabilités et la multiplication des prestataires entraînent une gabegie de moyens, des pertes de temps et des décisions contradictoires… Pour la plus grande peine des personnes concernées et des familles.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier Vive les vieux !, Editions Michalon

Publié le 28/04/2008 à 10:07 | Lu 6174 fois