Marie-Francine : entretien avec Denis Podalydès (film)

Alors que le dernier film de Valérie Lemercier sort sur les écrans cette semaine, revenons sur le scénario de cette comédie avec Denis Podalydès qui, tenté par le « démon de midi », va faire exploser ce couple de quinquagénaires, avec toutes les conséquences que cela va entrainer. Propos recueillis par Grégory Alexandre.


C’est votre quatrième film avec ou aux côtés de Valérie Lemercier, avec laquelle vous formez toujours, au cinéma, un couple un peu atypique. Comment décririez-vous celui entre Emmanuel et Marie-Francine ?
Un couple qui a connu tous les bonheurs possibles, qui s’est aimé, a fondé une jolie famille. Un couple qui n’avait sans doute jusque-là traversé que de petites crises (Marie-Francine n’a sans doute jamais envisagé sa vie sans Emmanuel). Un couple qui aurait pu tout à fait avoir un avenir, si Emmanuel n’avait pas eu cette aventure. Mais il est de ces hommes à qui une liaison fait perdre la tête.
 
Comme il n’avait sans doute jamais pensé qu’il pouvait aimer une autre femme que la sienne, il se met à croire à une nouvelle vie, un nouvel amour, alors que son conformisme l’aurait plutôt voué à la fidélité, même frustrante. Quitter sa femme, le lui annoncer, est pour lui un cauchemar, une sorte de chute. Pour elle, c’est une catastrophe et un déclic.

 
Même s’il n’est pas très présent à l’écran, le rôle d’Emmanuel est primordial dans l’aventure intime vécue par Marie-Francine. Ce n’est pas frustrant d’avoir peu de scènes pour faire exister un tel personnage ?
Avec Valérie, aucune scène n’est anodine ou décorative. En quelques répliques, en une seule scène, un personnage vit. Son énergie comique et dramatique irrigue l’acteur qui en reçoit le cadeau. Alors non, aucune frustration, de la reconnaissance plutôt. Chacune des scènes avec Valérie me réjouissait. Il y a bien des premiers rôles dans les comédies ordinaires qui ont deux fois moins de sève que ceux qu’elle offre.
 
Emmanuel représente la routine, l’embourgeoisement, l’ennui du couple, son inaboutissement dans la durée. C’est quelque chose qui vous parle, qui vous émeut ?
Je pense qu’Emmanuel, avant de rencontrer sa maîtresse, n’avait jamais pris conscience de cet ennui. Ou plutôt, il estimait que c’était naturel, comme des millions de gens qui voient cela comme une chose normale, n’imaginent pas d’autre vie possible. La vie bourgeoise, c’est ça, ce sentiment que même fléchissante et frustrante, la vie de couple est ce qu’elle est, comme une sorte de destin fatal. Et ça, ça me touche, oui. Emmanuel n’est pas pour moi un personnage grotesque, bien qu’il soit assez médiocre. Cette médiocrité en tout cas m’intéresse.
 
C’est un « gentil salaud », il est assez pathétique. Comment Valérie vous l’a-t-elle présenté ? Quelle description vous en a-t-elle faite ? Y avait-il des adjectifs précis ?
C’était assez clair dans l’écriture. Il ne fallait pas le charger. Rien de cynique ni de maîtrisé dans son attitude. La situation le rend pathétique et presque minable, mais il ne l’est pas « par nature ». Le maître mot, c’est cela, la situation, ce qui advient dans les scènes et qui transforme les personnages, elle, en une femme nouvelle et libérée, lui, en un pitoyable mari dévergondé.
 
Éprouvez-vous une certaine compréhension, voire de la compassion, pour son errance sentimentale, ses démons de midi ?
Ce n’est pas de la compassion, c’est de la compréhension, oui. C’est nécessaire pour un personnage. Il ne faut jamais le juger de l’extérieur. Il ne faut pas faire de morale, ça n’aurait aucun intérêt.
 
Valérie est réputée pour la précision de sa mise en scène, pour sa rigueur et son sens du détail : être un acteur de théâtre vous a-t-il aidé à trouver le rythme et la musique qu’elle avait en tête ?
Je ne sais pas. C’est surtout le contact avec elle qui m’apprend et me dirige. Je la regarde faire, je l’écoute, je lis et répète les répliques, je veille à épouser ses moindres réflexions, inspirations, ses contradictions aussi. C’est une si grande artiste. Elle détient un secret de Comédie. J’essaye de m’en nourrir. Le théâtre nous oblige à ce type de travail détaillé qu’on fait avec elle, presque scientifique, et à l’oublier ensuite pour nous jeter à l’eau, retrouver l’enfance du jeu. Alors oui, sans doute, ça m’aide, mais je ne m’en rends pas compte et je n’y pense pas.
 
Emmanuel est-il sacrifié sur l’autel de la renaissance de Marie-Francine ? Ou bien lui voyez-vous un avenir ?
C’est à Valérie qu’il faut le demander...

Publié le 31/05/2017 à 01:00 | Lu 697 fois