Les femmes de l’ombre : un film de Jean-Paul Salomé sur les femmes dans la résistance

Les femmes de l’ombre, le nouveau film de Jean-Paul Salomé, propose une autre vision de la résistance : au travers le portrait de cinq femmes d’origine et de milieux différents, le réalisateur montre que ces femmes étaient « décidées et autonomes » et avaient « l’esprit suffisamment indépendant pour larguer les amarres… ».


Les femmes de l’ombre : un film de Jean-Paul Salomé sur les femmes dans la résistance
Engagée dans la résistance française, Louise s’enfuit à Londres après l’assassinat de son mari. Elle est recrutée par le SOE, un service secret de renseignement et de sabotage piloté par Churchill.

Dans l’urgence, on lui confie sa première mission, l’exfiltration d’un agent britannique tombé aux mains des Allemands alors qu’il préparait le débarquement sur les plages normandes.

L’homme n’a pas encore parlé mais le temps presse. Louise doit d’abord constituer un commando de femmes spécialement choisies pour les besoins de l’opération.

Pour le recrutement, tous les moyens sont bons : mensonges, chantage, remises de peine.

Elle engage Suzy, danseuse de cabaret qui excelle dans l’art de séduire les hommes ; puis Gaëlle, chimiste, spécialiste en explosifs ; enfin, Jeanne, prostituée, capable d’assassiner de sang froid. Parachutées en Normandie, elles sont rejointes par Maria, juive italienne, opérateur radio et dernière pièce du dispositif. La mission commence bien mais se complique très vite.

Contraintes de retourner à Paris, le SOE leur fixe un nouvel objectif, presque suicidaire : éliminer l’une des pièces maîtresses du contre-espionnage nazi, le colonel Heindrich. L’homme en sait déjà trop sur les préparatifs du débarquement. Cinq femmes, loin d’être des héroïnes, mais qui pourtant, vont le devenir.

Les femmes de l’ombre : un film de Jean-Paul Salomé sur les femmes dans la résistance

Note d’intention du réalisateur

D’abord il y a eu cet article que j’ai lu, un matin, à Londres, dans le Times, alors que je travaillais sur la post-production d’Arsène Lupin.

C’était une pleine page consacrée à Lise Villameur, résistante française ayant opéré pour les réseaux du SOE, services secrets créés par Winston Churchill, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle venait de s’éteindre à l’âge de 98 ans. Elle avait été une véritable héroïne et l’Angleterre lui rendait hommage.

Intrigué par l’histoire de cette femme, j’ai entamé des recherches, aidé par l’historien Olivier Wieviorka et j’ai découvert que d’autres femmes avaient travaillé pour le SOE. Elles appartenaient à la « French Section » constituée d’une cinquantaine d’agents français, formés en Angleterre, avant d’opérer en France pour le compte des Alliés.

Avec ce réseau, le cliché cinématographique de la femme résistante, à vélo, qui passait des grenades dans son panier de provisions faisait place à une image de résistante, bien plus impressionnante, celle de femmes ayant mené exactement le même type d’actions que les hommes.

Ainsi est née l’envie de réaliser Les femmes de l’ombre comme un polar dans lequel des personnages féminins se révéleraient véritablement dans l’action. J’ai écrit le scénario avec Laurent Vachaud et mon immersion dans cette période de l’histoire m’a dévoilé deux valeurs importantes : le patriotisme et l’héroïsme.

On oublie parfois que les gens qui se sont battus contre les occupants, durant la Seconde Guerre Mondiale, étaient les enfants ou les petits-enfants de ceux qui, 25 ans plus tôt, avaient défendu leur pays, patrie des Droits de l’Homme, mais aussi leurs libertés. C’était un idéal très fort et la mémoire était encore tellement vive, qu’il n’était pas question de se laisser faire !

Je veux dire aussi que parmi ces gens qui ont résisté, il y a eu beaucoup de jeunes qui n’ont pas hésité à mettre leur vie en péril alors qu’ils avaient la vie devant eux et ça, c’est d’une grande intensité dramatique !

Toutes ces notions peuvent paraître surréalistes, aujourd’hui, aux gens de ma génération ou à celle de mes enfants. Pour la majorité d’entre nous, l’acte patriotique par excellence, c’est voter ou payer ses impôts ! Il aura fallu que j’effectue ce travail d’écriture pour mieux comprendre ce que me racontait mon grand-père.

Pour finir, je veux faire un film de femmes, car leur mystère m’inspire définitivement dans mon travail de réalisateur. J’ai envie de rendre hommage à ces femmes qui ont fait preuve d’un courage exceptionnel et qui, à ma connaissance, ont reçu moins d’honneurs après guerre que les hommes.

Un point historique avec Olivier Wieviorka, historien, spécialiste de la seconde guerre mondiale

Le contexte historique du film
Le film se déroule au printemps 1944, à la veille du débarquement. La décision du débarquement a été prise lors de la Conférence de Téhéran (28 novembre – 1er décembre 1943) et sa mise en place technique a commencé en janvier 1944, ce qui a laissé très peu de temps aux Alliés pour se préparer. Du côté allemand, l’idée que les Alliés vont débarquer en Europe du Nord Ouest ne fait aucun doute.

Hitler, lui-même, pressent l’imminence du débarquement dès novembre 1943 et demande qu’on intensifie les travaux de fortification sur les côtes du Pas-de-Calais et de la Normandie, présageant que la France serait le théâtre des futures opérations.

La résistance en 1944
En 1944, il existe deux grandes structures : le BCRA et le SOE. Le BCRA (Bureau Central de Renseignement et d’Action) est une structure française dirigée par le capitaine André Dewavrin, futur colonel Passy, qui installe et dirige un certain nombre de réseaux en France, qui vont travailler pour le compte du Général de Gaulle. A l’époque, de Gaulle n’a rien à vendre aux Alliés : ni marine, ni hommes, ni aviation, il décide alors de leur fournir des renseignements.

De Gaulle et Passy vont s’employer à contrôler l’ensemble de la filière de renseignements, d’évasions des prisonniers, d’espionnage et de sabotage. Cependant, le gouvernement britannique refuse que les renseignements français soient sous le seul contrôle du Général de Gaulle. Les Britanniques créent donc leur propre structure : le SOE (Special Operations Executive).

Cet organisme, très présent dans le film, était destiné à mettre le feu à l’Europe (sic Churchill), notamment à envoyer des saboteurs pour des missions très spéciales. Au sein du SOE, deux sections géraient la France, l’une collaborant avec le BCRA – celle qui apparaît dans le film - l’autre pas.

Les femmes de la résistance moins reconnues que les hommes
En 1944, pour l’opinion publique, mais aussi pour la loi, un résistant était un soldat par défaut, quelqu’un qui combattait comme un soldat, bien que n’ayant pas d’uniforme et n’appartenant à aucune unité régulièrement constituée.

La résistance s’apparentait donc à un phénomène militaire au sein duquel les femmes n’avaient pas leur place parce que c’était un univers masculin. Pourtant, le SOE et le BCRA ont compté sur la participation des femmes. Elles étaient minoritaires dans les services spéciaux et dans les branches action, mais certaines ont toutefois réellement accompli des missions de sabotage et de renseignement sur le terrain.

Néanmoins, la guerre finie, le général de Gaulle n’a accordé que peu d’importance aux femmes : parmi plus d’un millier de Croix de la Libération décernées seulement six femmes ont été distinguées (parmi elles Berty Albrecht). C’est cette vision un peu machiste de la résistance qui a exclu les femmes. Jean-Paul Salomé, avec son film, a souhaité leur redonner leur place.

Qui étaient ces femmes de la résistance
La plupart des résistantes étaient des femmes de milieux aisés, déjà émancipées avant la guerre. Elles avaient un travail qu’elles avaient choisi ; il n’était pas considéré comme obscène d’être assistante sociale, institutrice ou encore infirmière. Par exemple, Jane Sivadon, grande résistante, dirigeait une école d’infirmières et Lucie Aubrac était enseignante. Le fait que ces femmes aient suivi des études signifiait qu’elles s’étaient élevées contre leurs parents car le milieu étudiant pouvait être mixte et il n’était donc pas bien vu de le fréquenter.

Enfin, elles participaient souvent à des mouvements de jeunesse, engagement également considéré comme dangereux puisqu’il impliquait que l’éducation ne soit plus exclusivement donnée par le milieu familial.

En résumé, les résistantes étaient des femmes décidées et autonomes, à l’esprit suffisamment indépendant pour larguer les amarres et partir en Grande-Bretagne. Mais cet esprit frondeur a également existé dans des milieux plus modestes, comme le milieu communiste. Certaines femmes dans la résistance intérieure ont oeuvré au Front populaire ou encore à l’Union des Femmes Françaises mais elles ne sont pas allées jusqu’en Grande-Bretagne. D’un point de vue culturel, il était plus complexe, pour ces femmes de milieux populaires, d’imaginer partir dans un pays dont elles ne connaissaient pas la langue.

Les femmes de l’ombre : un film de Jean-Paul Salomé sur les femmes dans la résistance

Entretien avec le réalisateur Jean-Paul Salomé

Les femmes de l’ombre : un film de Jean-Paul Salomé sur les femmes dans la résistance
Au départ, il y a l’histoire vraie d’une femme, mais vous avez choisi de raconter l’aventure d’un groupe de femmes, pourquoi ?
Tracer le portrait d’une femme avec des seconds rôles autour ne m’intéressait pas parce qu’au-delà de traiter l’héroïsme au féminin, je voulais décrire l’entraide qui a existé, chez les femmes, dans ce contexte violent. Un groupe de personnages permet de montrer plusieurs facettes de la guerre, différentes réactions, à une même situation. C’est pour ces raisons qu’avec Laurent Vachaud, le co-scénariste du film, nous avons constitué un groupe.

Mais il y avait un risque à cela, car nous sommes dans un film d’action où l’intrigue doit progresser en permanence. Je me suis souvent demandé si le rythme de l’action permettrait de créer de vrais rapports entre tous ces personnages féminins. Je crois qu’on a réussi grâce au travail des comédiennes et à leurs fortes personnalités. Elles ont su faire exister leur personnage dans le groupe.

De nombreux films ont déjà traité de la Seconde Guerre Mondiale, quelle était votre envie personnelle ?
Mon idée était d’avoir une structure de polar, sous l’Occupation, avec des femmes. Je voulais que les caractères se révèlent dans l’action. Par ailleurs, ce genre m’a permis de montrer des personnages plus ambigus, chez les nazis comme chez les résistants. Rien n’est jamais noir ou blanc, dans la vie. On n’était pas résistant à chaque instant de la journée, ni nazi et tortionnaire du matin au soir. Il y avait toujours des moments où ces gens vivaient autrement.

Aujourd’hui enfin, le cinéma peut montrer des personnages plus nuancés car le temps a passé. Mais ce sont des périodes historiques où l’ambiguïté atteignait des sommets !

Et puis, j’avais vraiment envie de rendre hommage aux femmes de la résistance, car celles qui ont eu la chance de survivre n’ont pas eu des vies simples, après la libération. Nombre d’entre elles ont eu du mal à retrouver une place, car aux yeux des hommes, elles sont passées pour de drôles de femmes. Elles avaient une certaine indépendance, n’avaient pas froid aux yeux, et on se demandait jusqu’où elles étaient allées. Leur héroïsme ne les a pas aidées dans leur vie de femme.

Quel a été votre rapport à la véracité historique ?
Nous avons travaillé pendant l’écriture du scénario et la préparation du film, sous le regard aiguisé de l’historien Olivier Wieviorka. C’était important car je considère que nous avons un devoir de mémoire par rapport à ceux qui se sont engagés pendant la guerre. Bien sûr, nous sommes dans le cadre d’un film, d’un spectacle, mais on n’a pas envie de raconter n’importe quoi. J’ai essayé d’être très scrupuleux avec ce qui s’est vraiment passé ou ce qui aurait pu se passer.

Quel regard portez-vous sur les films qui ont traité de cette époque ?
Au moment de l’écriture et de la préparation, on se nourrit de références cinématographiques. La seconde guerre mondiale est une époque qui a été très exploitée au cinéma. J’ai revu beaucoup de films de l’époque et je me suis aperçu que ceux qui avaient le mieux traversé le temps étaient ceux dont les costumes, les décors et surtout les coiffures étaient particulièrement soignés, à tel point que les coiffures sont devenues, pour moi, une véritable obsession sur ce film !

Pourquoi avez-vous fait le choix de tourner dans des décors naturels, plutôt qu’en studio ?
Nous ne voulions pas tourner en Roumanie ou en Hongrie. Il y avait un devoir de vérité et un plaisir du spectateur d’essayer de recréer le Paris de l’époque. Quand Spielberg recrée le Paris des années 70, à Budapest, pour MUNICH, ça passe, mais nous français, on n’y croit pas.

Je pense qu’on pardonne à Spielberg, mais qu’à moi, on ne le passerait pas... Avec Eric Névé, le producteur, on a choisi de retrouver des lieux originaux. Il a fallu les aménager, mais les prisons ou les caves ayant servi à la Résistance sont des lieux chargés d’une émotion difficile à recréer en studio. Néanmoins, cela n’a pas toujours été possible, certaines personnes ont refusé qu’on vienne tourner chez elles, parce que le souvenir était encore trop frais pour elles ou qu’elles ne voulaient pas que l’image de leur établissement soit de nouveau associée à cette époque-là.

Ce film a-t-il changé votre regard sur la guerre ?
Des jeunes gens ont eu un sens du sacrifice, du devoir et du courage hors du commun. Pendant que nous tournions certaines scènes du film, comme des scènes de torture, j’étais bouleversé d’imaginer le courage qu’il avait fallu pour lutter dans de telles circonstances. Ce sont des moments de l’histoire où les gens ont vraiment été confrontés à leurs convictions.

Transmettre ces notions de sacrifice et de courage par des personnages féminins vous paraissait plus fort ?
On gravit un échelon supplémentaire parce que ces femmes se mettaient en danger physiquement, pour toujours. Avec les tortures qu’elles subissaient, leur rapport à la maternité était mis en jeu, elles prenaient le risque de ne plus pouvoir avoir d’enfants. Elles étaient atteintes dans leur féminité ainsi que dans leur intimité. C’est précisément cela que je trouvais fort dans ce sujet. Cela modifie le regard porté sur chacun de leurs actes, la dimension émotionnelle est plus grande.

L’expérience sur ce film vous a-t-elle transformé ?
J’ai envie de faire un autre film sur cette époque. Les périodes de guerre sont très cinématographiques parce que les émotions, les sentiments et les enjeux sont décuplés. Ce film m’a donné envie de me concentrer sur des périodes de notre histoire où il s’est passé des choses fortes, où les êtres humains ont radicalement changé le cours de l’histoire. Je pense aussi que je ne pourrai plus faire les mêmes films qu’avant, mais c’est sûrement une évolution liée à mon âge car les centres d’intérêt évoluent.

Les femmes de l’ombre : un film de Jean-Paul Salomé sur les femmes dans la résistance

Les femmes de l’ombre : un film de Jean-Paul Salomé sur les femmes dans la résistance
Les femmes de l’ombre
Durée : 1h58
Réalisateur : Jean-paul Salomé
Scénario : Jean-paul Salomé et Laurent Vachaud
Acteurs
Deborah François : Gaelle Lemenech
Julie Depardieu : Jeanne Faussier
Marie Gillain : Suzy Desprez
Sophie Marceau : Louise Desfontaine

A lire, le livre LES FEMMES DE L’OMBRE de Laurent Vachaud aux éditions Perrin.

Publié le 12/02/2008 à 08:57 | Lu 26582 fois