Les Français : l’information santé et la peur de la maladie

Selon l’étude de l’institut Ifop réalisée pour le compte de l’agence de Relations Publiques santé Capital Image, un tiers (32%) des Français déclarent avoir peur d’être atteints d’une maladie ou d’en développer une lorsque certains signes ou symptômes les inquiètent. Par ailleurs, 13% ont cette même angoisse en l’absence de tout symptôme, essentiellement déclenchée par l’information reçue à travers les médias et les sites Internet…


Pour ces 13% de la population, les conséquences vont être importantes : recherche d’information sur Internet (74%) discussions avec les proches (61%), consultation de leur médecin, voire de plusieurs médecins.
 
Et paradoxalement, ces mêmes personnes inquiètes pour leur santé vont éviter les tests de dépistage du cancer ou les tests sanguins…
 
Au final, l’information qu’ils auront trouvée va diminuer leur peur d’avoir une maladie grave pour 36% d’entre eux et au contraire l’augmenter pour 64% !
 
Les Français ont peur de la maladie avec ou sans symptôme

Toujours selon cette étude, si 54% des Français interrogés déclarent considérer les questions de santé comme étant de plus en plus préoccupantes, ils sont 32% à indiquer avoir peur d’être atteint d’une maladie ou d’en développer une lorsque certains signes ou symptômes les inquiètent et 13% ont cette même angoisse en l’absence de tout symptôme : certains sont dans une attitude préventive tandis que d’autres sont anxieux voire hypocondriaques.
 
« Sont particulièrement concernés les jeunes, notamment de sexe masculin, de moins de 35 ans, et les habitants de la région parisienne. On peut noter une étroite corrélation entre la peur d’être atteint d’une maladie et le suivi de l’information santé de manière générale » indique Damien Philippot, directeur des Etudes, département opinion, Ifop.
 
Les médias, Internet et les discussions avec les proches alimentent la peur d’être atteint d’une maladie grave

Les 13% de Français inquiets en l’absence de tout symptôme déclarent qu’il leur arrive d’avoir peur d’être atteints d’une maladie en entendant parler dans les médias (48%), 43% en lisant quelque chose sur un site Internet d’information et 41% en entendant parler de cette maladie par un proche.
 
Et le Pr Jean Pierre Olié, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne de s’interroger : « Est-on plus ou moins inquiet lorsqu’on est informé ? Lorsqu’on est bien informé, on peut être plus inquiet dans certaines situations. Etre médecin, par exemple, pourrait être une catastrophe, car à partir du diagnostic, on peut émettre toutes les hypothèses. En réalité, les médecins tout comme les journalistes et les communicants santé ne sont pas pour autant hypocondriaques ! »
 
De son côté, Michèle Declerck*, psychologue, remarque par exemple que « beaucoup de gens jeunes sont persuadés de pouvoir faire un AVC parce qu’ils en ont entendu parler à la télévision, même si l’AVC a d’infimes chances de les toucher ». Elle souligne néanmoins que « les médias ne sont pas le facteur déclencheur, mais plutôt l’accélérateur de leur anxiété ».
 
Des comportements ambivalents

Pour se rassurer, 13% des Français qui ont une préoccupation démesurée de leur santé en l’absence de tout symptôme déclarent pour 74% d’entre eux faire des recherches sur les sites d’information sur Internet, 58 % sur les blogs et forums et 47% consulter livres, revues et médias. On constate que 59% vont consulter leur médecin pour dissiper leurs inquiétudes et 44% vont même consulter plusieurs praticiens afin d’être pleinement rassurés, tandis que 61% vont solliciter leurs proches et exposer leurs craintes. A contrario, 56% vont tenter de ne plus y penser et garder leur inquiétude pour eux-mêmes.
 
« Deux attitudes coexistent bien chez ces personnes : le fait de surconsulter et rechercher des informations en masse ; mais aussi la tentative d’évitement, de contournement de la peur liée à la maladie. Il est même probable qu’elles puissent passer d’une attitude à une autre en fonction des circonstances et de la situation » remarque  Damien Philippot.

La recherche d’informations va davantage augmenter leur peur d’être réellement atteint par une maladie (pour 64% d’entre eux) -les symptômes éprouvés étant ressemblants avec ceux décrits- tandis que cela produira l’effet inverse chez 36% d’entre eux.

Selon Michèle Declerck : « Les émetteurs et transmetteurs d’information santé devraient en premier lieu davantage vérifier et indiquer leurs sources d’information. Ils devraient également donner une information plus nuancée car le même symptôme peut ne pas être grave ou être à surveiller en fonction de chaque personne ».
 
Les personnes qui ont peur d’avoir une maladie en l’absence de tout symptôme sont un tiers plus nombreuses à fuir les examens que l’ensemble de la population Ainsi, 19% craignent les tests de dépistage du cancer (vs 13% des Français), 14% évitent la mammographie (vs 5% des Français). Elles ont davantage tendance à éviter les différents examens potentiels ou à les accepter en cas de prescription. Ainsi, 11% d’entre elles, par exemple, préfèrent fuir les scanners ou IRM (contre 3% en moyenne) et 46% les acceptent avec réticence (contre 29% en moyenne).
 
Hypercondriaques ou cybercondriaques, un faux débat ?

L’hypocondrie à l’heure du web suscite une certaine curiosité, voire de l’inquiétude. Qu’en est-il de l’effet anxiogène d’Internet ?

Michèle Declerck remarque que « ce n’est pas une maladie du 21ème siècle ; l’hypocondrie est en recrudescence à chaque fois que la médecine fait de grands progrès comme c’est le cas aujourd’hui. Les hypocondriaques et les cybercondriaques sont en réalité les mêmes personnes. Elles adorent l’information santé et en sont très friandes, ce qui ne fait qu’accentuer leur tendance à l’hypocondrie. Les hypocondriaques se plongeront dans la lecture des encyclopédies médicales tandis que les cybercondriaques vont  rechercher l’excès de l’information sur Internet, et surtout, ils vont aller chercher l’information la plus grave possible ».
 
La technologie n’est pas neutre, Internet n’est pas neutre. Ces sont des « pharmakon », du grec pharmakon désignant à la fois le remède et le poison. Le Pr Jean-Pierre Olié le confirme : « il y a deux hypothèses extrêmes avec Internet, soit les malades, à l’aide du web, améliorent leurs connaissances, leur niveau d’information sur la maladie et de compréhension des thérapeutiques, soit à l’extrême, les personnes qui sont envahies par une pathologie hypocondriaque préexistante vont alimenter leur pathologie ».
 
Internet est aussi une bonne façon de s’informer et de se rassurer sur sa maladie

« J'ai une maladie auto-immune de la thyroïde qui ne se guérit pas, mais je peux être substituée en hormones thyroïdiennes. J'ai rejoint l'association "Vivre sans thyroïde" que j’ai découverte en recherchant et en partageant des informations sur ma maladie sur Internet. Le web a changé la prise en charge de ma maladie en me permettant de devenir actrice de ma santé. Il y a beaucoup d'info santé ; je ne suis pas sûre qu’elle soit toujours pertinente, c'est-à-dire qu'elle repose sur des études scientifiques poussées. Il faut conseiller à l’utilisateur d’Internet de bien regarder les sources. Mais Internet, si on s'en sert bien, permet un partage d'info. L'aspect communautaire est très important. Je crois beaucoup à l'intelligence collective » indique Muriel Londres, e-patiente et co-responsable IDF « Vivre sans Thyroïde", www.forum-thyroide.net
 
Zoom sur l’hypocondrie

L’hypocondrie* ou trouble hypocondriaque est un syndrome caractérisé par une anxiété excessive et bouleversante concernant la santé et le bon fonctionnement du corps d'un individu. Une écoute obsessionnelle de son corps amène l'hypocondriaque à interpréter la moindre observation comme le signe d'une maladie grave.
 
Selon Michèle Declerck, psychologue : « Il s’agit d’une attention exagérée portée à sa santé qui fait qu’à n’importe quel symptôme même banal, on se croit atteint d’une maladie grave de sorte que la vie s’en trouve perturbée ».

Pour le Pr Jean Pierre Olié, psychiatre : « Il existe deux types d’hypocondrie : l'hypocondrie délirante, forme grave mais rare, représente 1% des cas d'hypocondrie ; l'hypocondrie non délirante est une forme extrême d’anxiété cristallisée sur le thème de la santé ou de la maladie, où le sujet n’arrive pas à se rassurer durablement sur son état de santé ».

Et Michèle Declerck d’ajouter : « Enfin, une foule de gens qui sont des anxieux vont faire un épisode d’hypocondrie à l’écoute d’une information, au sujet de quelqu’un de leur entourage ou d’une personnalité connue ». Car l’hypocondrie se développe sur le terrain de l’anxiété et comme le confirme le Pr Jean-Pierre Olié : « Elle peut être en elle-même une maladie : les troubles anxieux concernent tous les jours environ 6% de la population générale ».
 
Vivre avec un hypocondriaque : conseils au patient et à son entourage

L’hypocondriaque est difficile à vivre pour l’entourage qui cherche en vain la bonne attitude pour l’aider. Michèle Declerck l’observe : « l’entourage est toujours sur un chemin de crête entre l’écoute attentive et la relative indifférence. L’hypocondriaque ne peut pas se soigner lui-même et les proches ne peuvent rien pour lui. Mais il y a une pédagogie de l’hypocondriaque : quand il a compris ce qui se passe dans son corps et dans sa tête, il est déjà à moitié guéri ».
 
Le Pr Jean-Pierre Olié le confirme : « L’hypocondriaque peut se construire sa propre théorie de la maladie et des traitements. Il est en difficulté pour écouter et l’entourage est dérouté. Vivre avec un anxieux n’est pas chose facile. Il ne faut négliger aucune stratégie d’atténuation du niveau d’anxiété qu’elle soit psychologique, médicale ou non médicale. Faire du sport, améliorer son cadre de vie, inventer des stratégies de psychologie positives… peuvent permettre de réduire la tension, le stress, le niveau d’anxiété ordinaire. Si ce niveau d’anxiété devient problématique, il est important d’en parler et de se faire aider de son médecin ».
 
« Artériopathie des membres inférieurs, hypertrophie bénigne de la prostate, hypertension artérielle pulmonaire, maladie de Crohn, rectocolite hémorragique ou encore, cancer, hépatites, maladie de Parkinson, AVC… Nous menons des campagnes d’information sur toutes ces maladies en allant à la rencontre des premiers concernés -les malades et leurs familles, les associations de patients- mais aussi les chercheurs, les soignants et plus généralement les acteurs de la santé. Lorsque nous abordons un nouveau sujet, il nous arrive parfois de traverser un épisode d’hypocondrie… Qui n’a pas eu peur un jour de développer une maladie ? Comment ne sommes-nous pas devenus complètement hypocondriaques après vingt-cinq ans d’information santé !? » s’interroge Stéphanie Chevrel, co-fondatrice et DG de Capital Image.
 
Et conclure : « toutefois, la pluralité des points de vue nous permet de prendre de la distance. Nous collectons, hiérarchisons, diffusons une information juste et réfléchie. Notre rôle est essentiel et suppose de prendre en compte le trouble que peut susciter l’information santé et ce d’autant que l’arrivée des réseaux sociaux permet aujourd’hui une diffusion immense de façon instantanée ».
 
*Auteur de « Le malade malgré lui »

Publié le 28/02/2014 à 01:20 | Lu 2774 fois