Le médecin généraliste face aux pathologies liées au vieillissement, interview de Françoise Forette

Dans le cadre du Medec, qui s’annonce comme le « plus grand congrès de médecins généralistes en France » et qui se tiendra au Palais de Congrès (Paris) les 18, 19 et 20 mars prochains, différents thèmes médicaux seront abordés. Parmi eux, les problèmes de santé posés par le vieillissement des populations « occidentales ». En attendant l’ouverture de ce grand rendez-vous, le Pr. Françoise Forette, directrice de la Fondation nationale de gérontologie (FNG) a accepté de partager son approche de gérontologue sur le sujet : « le médecin généraliste face aux pathologies liées au vieillissement ».





La France vieillit. Ce n’est pas une nouvelle en soi. Les chiffres publiés par l’Insee en janvier 2008 l’ont à nouveau mis en évidence.

La part des personnes âgées de 65 ans et plus a atteint, au 1er janvier 2008, 16,3 % de la population (contre 15 % en 1994). Cette hausse se poursuivra dans les années à venir avec l’arrivée des générations issues du baby-boom d’après-guerre.

L’une des composantes du vieillissement de la population est liée à l’augmentation de l’espérance de vie. Celle-ci atteint 77,5 ans pour les hommes et 84,4 ans pour les femmes (Insee – janvier 2008). Cette bonne nouvelle ne doit pas faire oublier que certaines pathologies peu ou rarement observées auparavant deviennent de plus en plus fréquentes et que le nombre de malades augmentent. D’où la mobilisation en cours. La maladie d’Alzheimer en est un exemple. 225 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année et une augmentation de dix ans de notre espérance de vie quadruple la probabilité de survenue de la maladie !

La croissance des cas d’ostéoporose, de cancers, de rhumatismes articulaires, etc. constituent une préoccupation majeure de santé publique. Au cours des dernières années et depuis l’entrée en vigueur au 1er janvier 2002 de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), différents plans ont abordé certains aspects de l’aide apportée aux personnes âgées et en particulier à celles entrées dans la dépendance.

Pour les praticiens en exercice, la préoccupation est de savoir quel suivi ils peuvent assurer et quelle prise en charge proposer à une population dont les pathologies et l’environnement évoluent. Alzheimer, cancers, ostéoporose, arthrose, etc. Lors du prochain Medec, les meilleurs spécialistes feront le point sur les progrès thérapeutiques.

En attendant ce nouveau rendez-vous, le Pr. Françoise Forette, directrice de la Fondation nationale de gérontologie (FNG) a accepté de partager son approche de gérontologue sur le sujet : « le médecin généraliste face aux pathologies liées au vieillissement ».

Quelle est la portée du vieillissement de la population ?
Dans le domaine du vieillissement de la population, il faut distinguer deux tendances :
- le vieillissement de la population en général, ou plus exactement l’augmentation de la proportion des plus de 60 ans au sein de la population générale. Ce phénomène va se poursuivre, en raison de la diminution de la natalité dans notre pays (même si elle reste parmi les plus élevées d’Europe) et de l’augmentation de l’espérance de vie.
- le vieillissement individuel, qui est un phénomène optimiste. On devrait parler plus d’allongement de la longévité. Dans le même temps, à âge égal, le vieillissement diminue.

Doit-on craindre le vieillissement ?
Quand on parle du vieillissement, la grande crainte est celle de la dépendance. Il faut combattre cette idée : seule 7 % de la population des plus de 60 ans est dépendante, cela signifie que 93 % de la population jouit de son autonomie ! Si la dépendance augmente avec l’âge, celle-ci reste inférieure à 20 % au sein de la population de plus de 85 ans et plus et atteint 42 % chez plus de 90 ans. Le corollaire est que plus de moitié de la population est autonome au-delà de cet âge. Ceci est particulièrement vrai chez les hommes (70 % de non-dépendants au-delà de 90 ans). De ces chiffres, il faut surtout retenir le côté optimiste. La dépendance est minoritaire.

Doit-on envisager une réduction de la dépendance à âge constant ?
Oui, très certainement. Une courbe issue d’une étude de la DREES a permis d’établir que la réduction de la « dépendance observée » de 1990 à 1999 a été supérieure à la « dépendance attendue ». Toutefois, la planification dans ce domaine reste difficile en raison de la balance
« réduction de la dépendance âge par âge » et « augmentation de la population très âgée ».

A quoi est liée cette diminution de la dépendance ?
A plusieurs facteurs : l’augmentation du niveau de vie, un meilleur accès aux soins et enfin à la prévention des maladies liées à l’âge.

Quelles sont les maladies liées à l’âge les plus fréquentes ?
Il existe tout un ensemble de maladies liées à l’âge, elles sont dépendantes de facteurs de risques. On peut retenir :
- les maladies cardiovasculaires.
- les démences, en particulier vasculaires, et sans doute Alzheimer.
- les maladies ostéoarticulaires. Les fractures du col du fémur sont opérées de plus en plus remarquablement, mais force est de constater qu’elles marquent l’entrée dans la dépendance dans plus de 30 % des cas avec institutionnalisation et une mortalité de plus de 30 % au bout d’un an.
- les cancers. Là aussi, les chiffres montrent que leur incidence augmente avec l’âge.
- les dépressions.
- les troubles sensoriels tels que l’audition, le glaucome, la cataracte, la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge).

Existe-t-il une prévention efficace ?
Pour tous ces troubles et pathologies, la prévention après la soixantaine est efficace, mais la meilleure prévention est celle entreprise dès le début de la vie. Pour lutter contre les maladies cardiovasculaires, il faut lutter contre l’obésité de l’enfant et inciter les jeunes à l’activité physique. Dans le domaine de l’ostéoporose, le capital osseux étant constitué avant 20 ans, l’activité physique des jeunes filles est capitale. Il faut savoir qu’aujourd’hui une femme sur deux est carencée en calcium ! Pour nombre de personnes âgées, la surdité crée un isolement dramatique. D’où l’inquiétude avec la multiplication des baladeurs et l’élévation du niveau sonore dans les concerts, les cinémas, etc.

La meilleure protection contre la cataracte et sans doute la DMLA est d’éviter l’ensoleillement dès le plus jeune âge et de faire porter aux jeunes enfants des lunettes de soleil à la plage, à la montagne ou dans les autres lieux à fort ensoleillement. Le médecin doit sensibiliser les parents à ces situations qui engagent l’avenir santé de leurs enfants.

Quel rôle particulier du médecin auprès des patients de plus de 60 ans ?
La prévention doit demeurer une ligne de conduite après 60 ans. Par exemple, plusieurs études ont démontré l’intérêt du traitement de l’HTA (systolodiastolique et systolique isolée) au sein d’une telle population : une diminution de 40 % des AVC et de 30 % des maladies cardiaques a été constatée. Les résultats de l’étude HYVET (the Hypertension in the Very Elderly Trial portant sur 2 100 personnes de plus de 80 ans) qui doivent être présentés au congrès de l’ACC à Chicago (du 29 mars au 1er avril 2008) s’annoncent tout aussi significatifs.

Outre les troubles cardiovasculaires ou cérébro-vasculaires, différents facteurs de risques non détectés par avant doivent être recherchés. Les plus classiques sont :
- les troubles de l’équilibre. Prévenir les fractures, c’est réduire une source de dépendance.
- les troubles de l’incontinence: 70 % des incontinences peuvent être rééduquées.
- les troubles nutritionnels. Le surpoids parfois observé avant 70 ans s’inverse souvent, en raison de l’isolement. Là aussi, des actions peuvent être entreprises pour maintenir un bon équilibre nutritionnel, indispensable pour rester en bonne santé ou réduire les risques.
- les dépressions masquées. Fréquentes chez les personnes âgées, leur détection doit être la plus précoce possible.
- les troubles cognitifs. Il n’est aujourd’hui pas question de pratiquer un dépistage systématique mais celui-ci doit être entrepris lorsque la personne âgée se plaint de troubles de la mémoire.

Sur quelles structures, le médecin peut-il s’appuyer ?
Pour que le médecin puisse jouer un rôle pivot, il faut qu’il puisse orienter ces patients si nécessaire vers des centres spécialisés. En cas d’incontinence vers une consultation urodynamique dans un service de gériatrie ou d’urologie, en cas de troubles de la mémoire vers une consultation mémoire, etc. De même lorsque le patient âgé est atteint de maladies aiguës, il doit bénéficier d’un service de court séjour de la filière gériatrique* s’il est très âgé et à risque de perte d’autonomie. En revanche, le patient âgé doit garder son droit d’accéder à tout service de spécialité si son état physiologique permet d’espérer un pronostic favorable.

Pour couvrir tous les besoins de la personne âgée, le médecin doit s’inscrire dans un réseau de soins complet. Il doit aussi pouvoir s’appuyer sur d’autres structures, comme les SSIAD (services de soins infirmiers à domicile) et les SPASAD (services polyvalents d’aide et de soins à domicile), les EHPAD (Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) si le maintien au domicile n’est plus possible. La création d’un guichet unique rendrait sa mission plus aisée.

Y a-t-il un âge ou des périodes plus cruciales ?
L’inactivité a un impact sur les fonctions cognitives, aussi le départ de la vie active est-elle une période cruciale. Je conseillerai de prolonger la période d’activité le plus longtemps possible ou de garder des activités accessibles (sportives, artistiques, bénévoles, etc.).
Le vieillissement de la population est à considérer de façon positive, même sur le plan économique.

* La filière gériatrique comporte : service de court séjour, soins de suite et de réadaptation, hôpital de jour, équipe mobile de gériatrie, soins de longue durée.

Pour aller plus loin, lire aussi :
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Le Pr. Françoise Forette est professeur de médecine interne et de gériatrie à l'Université Paris V et Présidente de la Commission de surveillance de l'Hôpital Broca.

Elle est également membre du Conseil d'administration de la Croix Rouge Française et Directeur de la Fondation Nationale de Gérontologie et Présidente d'ILC-France (International Longevity Center-France).

Parmi les autres fonctions qui ont été exercées par Françoise Forette figurent celle de Présidente de la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie (2002-2004), ainsi que celle de Présidente du Conseil scientifique de l'association France Alzheimer (1992-2004).

Article publié le 12/03/2008 à 15:02 | Lu 14352 fois