La confession négative de Richard Millet : l’esthète mercenaire

Ce n’est pas que la guerre soit jolie, mais Richard Millet lui rend, dans un livre âpre et singulier, sa « beauté atroce et saugrenue ». 1975. Beyrouth. L’auteur-narrateur rejoint les combattants des Phalanges chrétiennes et participe, tantôt en assailli, tantôt en massacreur, à la guerre civile qui ravagea la capitale levantine pendant plus d’un an.


Le récit ample et sensuel qu’il en fait, met en lumière l’abandon par l’Occident de la communauté chrétienne du Liban mais aussi, plus généralement, de ses valeurs corrompues par le matérialisme, le conformisme, les Droits de l’Homme, le socialisme, le cosmopolitisme, la pensée que l’on qualifie aujourd’hui de correcte parce que l’on ne veut pas dire qu’elle est aseptisée.

Dans ce registre, Richard Millet est à l’aise dans la dénonciation et il utilise toute la puissance de son écriture pour exercer sa misanthropie. Un homme qui voue tant de haine à l’humain et qui écrit : « je pensais que l’être humain n’est en effet qu’un crachat sur le trottoir du Temps » ne peut pas être mauvais car « l’humanité, dit-il, est un défi, une expérience, une tentation, non quelque chose d’inhérent à l’être humain ».

L’expérience de l’humain, il la fait dans cette guerre d’une violence inouïe qui sera pour lui « prélude à l’écriture ». Que l’on ne s’y trompe pas, son combat n’est pas là, pas seulement là dans la fureur du feu et de la haine de celui, de ceux d’en face ; sa vraie patrie, c’est la littérature, son arme la langue française.

Là est l’autre dimension du livre. Celui que ses compagnons de combat surnomment « Le Grammairien » fera l’apprentissage de la littérature en tant que « lieu des transactions secrètes, obscures et éclatantes » dont il fait du « romanesque (…) la pierre de touche de la vérité » parce que « la littérature ne relèv(e) pas du divertissement mais plutôt d’une forme de connaissance obscure ».

Plus loin, il écrit que « la littérature est liée à la perte, à l’opprobre, à l’effroi, à la folie, au mal, au silence de Dieu, à la mort et à la guerre, et qu’il fallait pour écrire avoir connu la guerre ».

L’aventure littéraire et l’aventure de l’individu se confondent dans l’aventure humaine. « Tuer, explique l’auteur, m’apprenait à être humain, tout en me tenant à distance, ou à part, de l’espèce humaine » car l’horreur des combats, « l’étrangeté de la situation me rendait étranger à moi-même, c'est-à-dire plus que jamais étranger à mes victimes ».

Une innocence, en quelque sorte. Une innocence qu’il énoncera à la fin du livre dans une confession émouvante. Richard Millet, signe ici son livre le plus puissant, le plus dévastateur, le plus impressionnant (pourtant dans une œuvre qui ne manque pas de force), célébrant par instinct physique la langue française, se réconciliant, semble t-il, avec une certaine dimension humaine.

Son écriture draine avec elle ce qui demeurerait, sans cela, invisible, peut-être inavouable, quelque chose aux marges de l’abjection et de la magie du verbe, spécifiquement français.

La confession négative
Richard Millet
Editions Gallimard
525 pages
22,50 euros
La confession négative de Richard Millet : l’esthète mercenaire

Publié le 23/03/2009 à 09:02 | Lu 4754 fois





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