L’heure d’été de Olivier Assayas ou l’histoire de trois générations au sein d’une même famille

L’heure d’été, le dernier film d’Olivier Assayas (Les destinées sentimentales, Fin août début septembre) sort en salle le 5 mars prochain. « J’ai voulu, de la façon la plus simple, raconter un cycle de la vie qui ressemble à celui des saisons…


L'heure d'été de Olivier Assayas
 J’avais envie de raconter l’histoire d’une famille qui a des racines dans le passé mais des ramifications dans le présent. Qu’est-ce ce qui se passe au moment du changement de génération ? » confie le réalisateur dans un récent entretien.

L’histoire : C’est l’été. Dans leur maison familiale, à la campagne, Frédéric, Adrienne, Jérémie et leurs enfants fêtent les 75 ans de leur mère, Hélène Berthier, qui a consacré sa vie à préserver l’œuvre de son oncle, le peintre Paul Berthier. La disparition soudaine d’Hélène, quelques mois plus tard, les obligera à se confronter avec les encombrants objets de leur passé. Cette famille, à l’apparence si heureuse, va-t-elle pouvoir rester unie ?

Autour de L’Heure d’Eté, entretien avec Olivier Assayas

Vous réunissez trois générations à l’écran, après une saga, « Les destinées sentimentales ». Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce motif de la famille ?

Chacun a son propre rapport à la famille et connaît bien sous une forme ou une autre la petite mécanique qui en anime les rouages. De ce fait, il est aisé de le transposer dans un autre contexte, tout en restant véridique. Même si mes relations avec ma famille, qui n’est pas celle-là, ne sont pas de cette nature-là, il y a fatalement des résonances autobiographiques. Et ce que cela déclenche chez les comédiens est du même ordre. Il y a le film que j’ai écrit et celui qu’on a fait : j’ai laissé les comédiens inventer leurs personnages, constitués de leur expérience. Quand on est dans une immédiateté avec un sujet simple et universel, chacun peut y apporter des choses authentiques et qui lui appartiennent.

Par ailleurs, je ne crois pas avoir fait un vrai film autour de la famille avant « l’heure d’été ». « Les destinées sentimentales » était un film d’époque adapté du roman de Jacques Chardonne, c’est son monde plutôt que le mien, son époque plutôt que la nôtre. Avec « L’heure d’été », je pouvais parler des relations entre frères et sœurs, au présent.


Ce film se situe dans une veine moins « globalisante » que vos films récents. Pourquoi ce retour à un récit intimiste à ce moment précis de votre carrière ?

Ce film vient en effet après une trilogie qui n’était pas pensée comme telle, articulée autour d’une société internationalisée. J’avais envie avec « Demonlover », « Clean » et « Boarding Gate » de projeter mon écriture sur la scène du monde contemporain, où se mélangent les cultures et les langages, où la circulation des individus est déterminée -comme à toutes les époques- par celle des marchandises et de l’argent. Je n’imaginais pas que cela m’emmènerait si loin de ma thématique originelle et des valeurs établies du cinéma français.

Depuis longtemps, j’avais envie de revenir chez moi, même si c’est pour repartir après. (…) J’ai écrit ce film à un moment où je savais que ma mère ne serait pas éternelle. Elle est morte l’année dernière. Cela m’a imposé de repenser le film dont le thème prenait une résonance qui me débordait.

J’avais envie de raconter l’histoire d’une famille qui a des racines dans le passé mais des ramifications dans le présent. Qu’est-ce ce qui se passe au moment du changement de génération ? La mondialisation est un phénomène économique autant qu’humain qui implique des transformations dans l’existence sociale des individus. Dans la plupart des domaines de l’industrie contemporaine un cadre se trouvera confronté à la question de sa transplantation ailleurs, là où son métier s’est trouvé délocalisé, selon la circulation nouvelle des savoirs et des compétences. Cela a des conséquences au regard de la transmission, de l’histoire, de l’identité.

De fait, les formes anciennes ou traditionnelles de la famille se transforment. la question n’est plus de se battre pour posséder l’héritage familial mais plutôt de savoir comment on s’en débarrasse. Comment ce passé qui ne représente plus grand-chose tout à coup nous tombe sur le dos ? Qu’est-ce qu’on en fait ? Ce qui m’intéresse dans le film n’est évidemment pas la valeur matérielle des choses mais leur valeur symbolique.


La maison familiale, dans sa permanence, est-elle un personnage du film ?

Je ne vais pas être très original mais je suis convaincu que les lieux ont une âme. La maison matérialise le lien entre les personnages et d’une certaine façon, ce qui se perd entre eux, c’est ce lien. Génération après génération, quelque chose s’est déposé couche par couche, strate par strate dans cette maison. Avec sa disparition, ce qui réunissait les personnages se défait, disparaît, devient béant. La maison est au cœur du film, en tant que lieu à la fois matériel et identitaire.

Vous êtes un cinéaste du mouvement. Pourtant votre film parle de la mémoire, réputée figée…

Je n’ai aucun sens de la nostalgie et j’éprouve même un malaise face à cette question. J’avais envie de faire un film sur la transmission, le passé et la façon dont les choses s’écoulent selon un mouvement qui est celui de la vie. Je surmonte ce qui me tire en arrière, comme l’attachement sentimental légitime à un lieu, à une histoire. Mais le flot de la vie, porteur de transformations, est bien plus fort, vrai et profond, que la mélancolie qu’on peut éprouver en se retournant.

Dans « Fin Août, Début Septembre », vos héros semblent ne pas vouloir clore le champ des possibles. Dans «L’Heure d’Eté», ils ont mûri et doivent faire face à l’inéluctable…

En effet. Mes personnages n’ont pas d’autre choix ici que d’être des adultes. La génération précédente a disparu, il n’y a plus de bouclier face au temps et à la maturité. Ils sont, de fait, en première ligne. «l’Heure d’eté» raconte cela. Mes protagonistes ne se contentent plus d’être dans le présent ou dans l’inventaire du passé, ils se posent une nouvelle question, celle de ce qu’à leur tour ils laisseront. J’avais très clairement le désir de revenir à une légèreté, une spontanéité, une évidence que j’avais ressenties en faisant « Fin Août, Début Septembre » qui a été pour moi un moment très heureux, peut-être aussi parce que je le sentais fragile et périssable. Je savais que je devais faire ensuite « les Destinées Sentimentales », une production très lourde et compliquée. C’était un peu partir à la conquête de l’Everest. Depuis, j’en ai conservé un regret de ce que j’avais abandonné derrière moi, et le souhait d’y revenir. «l’Heure d’Eté» m’en a donné l’opportunité.

Votre dernier film épouse le rythme et les tonalités des saisons. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?

En terme d’écriture cinématographique, chaque chapitre du film a imposé son style. Quand on est avec Hélène (Edith Scob), les choses sont plus posées : dans toute cette première partie, j’ai essayé de saisir le plus possible la vie collective de la famille, nimbée de soleil, et toutes générations confondues. Ensuite, chacun s’isole. Il n’y a plus cette vie autour de la famille. Les enfants et la nature ne sont plus là. On est chez les adultes. On part d’une matière sensuelle pour aller vers quelque chose qui se durcit et s’assombrit. Au moment où les adolescents prennent le pouvoir, les saisons ont passé, le printemps est revenu, je m’adapte à leur rythme, en utilisant de longs plans-séquence parfois à l’épaule, absents du reste du film.

On suit leur mouvement, leur course, leur joie. Le groupe, la maison se mêlent dans une pure chorégraphie avec un tempo ample. Les objets du patrimoine familial se chargent d’affects. Ils ont une présence amicale dans la maison. Mais ils deviennent statiques, exposés à la vue de tous au musée, presque captifs…

Propos (extraits) recueillis à Paris, le 11 janvier 2008, par Sandrine Marques

Juliette Binoche : sur son personnage

Adrienne est une rebelle. Elle a voulu se défaire du passé, se réinventer et sortir du poids de la famille. Pour cela, elle est partie loin, de l’autre côté de l’océan. La distance lui a permis cette renaissance. C’est un personnage plein de contradictions… Malgré ses tempêtes intérieures, Adrienne est proche de sa mère, complice avec ses frères, mais cette proximité l’incite à affirmer sa différence.

Le fait de se réaliser autant dans son travail et non dans sa vie intime fait partie de son décalage et de son besoin de détachement. Quand j’ai lu le scénario, j’ai aimé l’idée d’explorer les relations familiales et de me poser des questions sur l’héritage. De quoi héritons-nous ? Comment nous raccrochons-nous à cette séparation finale ? Qu’est-ce qui s’engage en nous, l’esprit reçu, le matériel, les lieux de l’enfance, les rapports de famille ?

Finalement j’ai l’impression qu’Adrienne reçoit l’héritage artistique de la famille (elle est créatrice d’objet, designer de renom), et à la fois le décès de sa mère la laisse dans un grand vide qui l’isole de ses frères.


Charles Berling : sur son personnage

Quand j’ai lu le scénario pour la première fois, j’étais en train de travailler sur Caligula au théâtre et cela m’a d’emblée beaucoup touché : le rapport à l’héritage, à la culture, à tout ce qui fonde une civilisation, ces gens qui rejettent d’un coup de main toute une histoire culturelle, artistique.

C’est un film sur la mémoire, sur ce qui se transmet entre générations, ce qu’on lègue aux autres et du coup où en est la France aujourd’hui et où elle va. Je suis très sensible à la peinture et aux objets, à l’art. J’en avais souvent parlé avec mon fils car pour lui, et pour sa génération, il est logique de balayer un certains nombres de valeurs, de les rejeter ou de se révolter contre. Puis Olivier a souhaité qu’Emile, mon fils, joue le rôle de mon propre fils dans le film. Cela fait un effet miroir intéressant…

Jérémie Renier : sur son personnage

Mon personnage est le dernier de la famille et il veut en quelque sorte se prouver qu’il est adulte. Il dirige une société, il est chef de famille, il a des responsabilités. En tant qu’acteur, j’aime aller vers des personnages différents, me transformer. Je cherche comment le personnage pourrait bouger. Je vois le métier ainsi, comme un lieu de recherche où il faut aussi se mettre en danger.

Le film d’Olivier Assayas a trouvé des échos en moi. Je me posais la question de la transmission, à travers un documentaire que je réalisais à l’époque sur mon grand-père. Il est décédé depuis. Je voulais moi-même porter un regard sur l’intergénérationnel. L’Heure d’été est une histoire de vie, aux résonances universelles.

L’heure d’été, un film de Olivier Assayas
Juliette Binoche Charles Berling Jérémie Rénier
France, 35mm, couleurs, 2008. Durée : 1h40
Sortie en salle le 5 mars 2008

Publié le 29/02/2008 à 12:28 | Lu 4987 fois





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