L’enjeu des représentations, chronique par Serge Guérin

Dans cette nouvelle société du vieillissement tout change même –et surtout- l’âge. Physiquement, moralement, culturellement, un quinquagénaire en 2008 est plus proche du quadragénaire d’aujourd’hui, que de l’homme de 55 ans d’hier. Il a tout juste dépassé la mi-vie et peut faire de multiples projets d’avenir, sur le plan personnel et familial, comme sur celui de l’activité professionnelle ou sociale. Il en va de même pour les femmes : les femmes de 55 ans, par exemple, ressemblent, certes, à leur mère… mais lorsque cette dernière avait 35 ans. Aujourd’hui, même les femmes matures jouent sur l’âge, prennent de la distance. Mais les normes institutionnelles, les habitudes sont en retard et restent encore cantonnées sur la ligne Maginot d’un rapport à l’âge stratifié et daté.


Nos sociétés sont conduites à se mettre en cause et innover pour répondre à ce défi né de l’apparition d’une nouvelle catégorie sociodémographique : les jeunes seniors qui ont le plus souvent entre 50 et 70 ans -que j'ai dénommé boobos pour boomers bohêmes-, symbolisent le mieux la seniorisation de la société aux effets complexes et multiples.

Les Boomers Bohêmes bénéficient du « triangle d’or » symbolisé par le temps disponible, le pouvoir d’achat et la santé. Ils forment une nouvelle catégorie sociologique, qui fait le pendant aux adulescents (ces adultes chronologiques au comportement social d’adolescent dont la figure a été popularisée par le film Tanguy).

Notons que les contraintes économiques et le prix de l’immobilier contribuent largement à cette infantilisation des jeunes adultes. L’évolution des contraintes risque cependant de mettre à mal ce triangle d’or.

De la même façon, les BooBos peuvent apparaître comme des adultes biologiques, considérés comme trop vieux pour le monde de l’entreprise, mais comme consommateurs par les marketeurs… Les Boobos cherchent leur équilibre entre différentes injonctions paradoxales, qu’elles viennent de l’entreprise (où le vieillissement commence à 45 ans), du monde des médias et de la publicité, (qui en reste à la notion passablement éculée de « ménagère de moins de 50 ans »), ou de la norme socio-juridique (qui inscrit l’âge officiel de la retraite, le marqueur essentiel, à 60 ou 65 ans), …

Les références, d’ailleurs largement portées par les seniors eux-mêmes, sont marquées du sceau de la jeunesse et de la beauté. Les personnes avançant en âge, en particulier les femmes, doivent composer largement avec le « faire jeune » comme idéal normatif se traduisant par exemple par le « vieillir jeune », formule paradoxale et toute empreinte de l’idéologie jeuniste, largement porté par les médias et le discours publicitaire. On sait, avec Georges Palante, que l’individu est fragile face à la pression de la norme et souffre d’être perçu comme différent de l’autre.

Notre identité vient en grande part du regard de l’autre et de l’image que l’on veut lui renvoyer. Notons en outre, que si l’ensemble des individus est influencés et influencent les médias, pour autant, il est des populations, en particulier les très âgés, vivant ou non en institution, qui s’inscrivent dans le champ de l’information pauvre proposé par Elfreda Chatmann ayant ainsi moins accès à l’espace public, à la fois comme émetteur et récepteur de l’information.

Le vieillissement entraîne la société à refonder son pacte social et à dégager de nouvelles références par un jeu d’influence réciproque entre les personnes âgées et l’espace public. Le vieillissement de la population participe directement des mutations du lien social et transforme les conditions de la solidarité organique. Il nécessite de penser les conséquences de la rupture des liens sociaux et l’importance de la diversité des appartenances.

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier Vive les vieux !, Editions Michalon
L’enjeu des représentations, chronique par Serge Guérin

Publié le 12/01/2009 à 10:24 | Lu 4838 fois