L'Homme Connecté : par le Dr Stanley Durrleman, chercheur à l'ICM

Les big data vont révolutionner la médecine, car cela va apporter de nouveaux outils à tous les acteurs : le patient, le thérapeute, les aidants, l'ensemble du système de soin et les familles. Le point avec le docteur Stanley Durrleman, chercheur à l'Inria et à l'Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, spécialiste de la modélisation mathématique et de l'apprentissage statistique et coordinateur du centre de neuroinformatique de l'ICM.





Outil normatif : c'est excessif. Tout dépend de la façon dont l'humain va s'approprier la technologie ; mais si je me permets aujourd'hui de vous pronostiquer l'arrivée d'une pathologie avec une certaine probabilité, la décision que vous allez prendre par rapport à cela vous appartient.
 
Ce n'est pas l'outil qui va vous dire ce que vous devez faire. Dans une adoption raisonnée de ces data et outils technologiques, l'humain aura accès à une palette d'informations, avec des marges d'erreurs cependant, qui lui permettra de prendre des décisions plus éclairées, en meilleure connaissance de cause.
 
Certes, il y a des risques réels que des mutuelles par exemple, ayant accès à ces data, mettent en place des systèmes de bonus-malus à ceux qui ont plus ou moins de probabilités de développer tel ou tel type de pathologies (ndlr : cela existe déjà dans certains pays, comme à Hong Kong par exemple). C'est au législateur de mettre les barrières là où il pense devoir les mettre.
 
Aujourd’hui, l'apport du numérique et du big data dans la « santé », reste encore très marginal ; il y a très peu d'exemples qui fonctionnent. Cela reste donc très largement à faire. Les grandes entreprises du web et informatiques (Google, Apple, Microsoft) essayent effectivement d'investir ce marché mais actuellement, il n'existe aucune solution adoptée même à moyenne échelle.
 
Cela va arriver ; mais on ne sait pas précisément dans combien de temps. On est donc aujourd'hui largement « dans le fantasme ». On anticipe parfois un peu trop les problèmes. Or, l'histoire montre qu'il est extrêmement difficile d'imaginer les usages qui seront faits d'une nouvelle technologie. Quand le téléphone a été inventé, on imaginait que les gens allaient appeler un numéro pour écouter des airs d'opéra -les prémices de la musique « on demand » !
 
Aujourd'hui, on peut imaginer ce que sera l'intelligence artificielle et la médecine personnalisée de demain, mais il faut rester humble. On n'est pas capable à l’heure actuelle, de décrire les outils qui existeront demain. Et le jour où ces outils seront adoptés par un très grand nombre, on n'a pas la moindre idée de la manière dont les gens se les approprieront et les utiliseront. Et ce sera même sans doute, très différent de ce que les développeurs auront imaginé en créant ces dits outils.
 
A l'ICM, on essaie de développer des systèmes de pronostic automatique pour la maladie d'Alzheimer.  A partir d'un ensemble de données acquises sur un individu, le système pourrait être capable de dire « vous allez développer la maladie à tel rythme, les symptômes vont apparaitre à 6 mois ou 1 an pour tel patient, à 2 ans pour tel autre patient, et pour chacun on sera capable de faire une prédiction personnalisée sur ses risques et sur l'évolution de sa maladie. La question que l'on peut se poser alors, c'est : « à quoi ça sert puisqu'il n'y a pas de traitement ? Vous allez créer de l'angoisse ».
 
Mais s'il n'y a pas de traitement, c'est aussi parce qu'on n'est pas capable d'anticiper l'évolution de la maladie ; on administre donc les médicaments très tardivement alors qu'ils auraient pu être efficaces s’ils avaient été donnés à des stades plus précoces. Si le neurologue avait cette information en amont, il pourrait tester de nouvelles stratégies thérapeutiques à des stades précoces, avant que la maladie ne soit trop avancée.
 
Par ailleurs, aujourd'hui le neurologue va raconter à son patient des généralités sur la maladie, alors que le malade souhaite savoir ce qui va se passer pour lui « maintenant ». Proposer au patient ou à sa famille, une information plus fiable sur ce qui va se passer réellement dans les prochaines années, peut leur permettre d'organiser leur vie en conséquence, de prendre des décisions, sans être dans une forme d'ignorance. Bien sûr, il faut laisser le choix à chacun de savoir… ou de ne pas savoir.
 
Quant à la question de savoir qui va avoir accès aux données : mon neurologue ? ma famille ? En ayant accès à ces données, ai-je toujours la possibilité de prendre des décisions de manière libre si je suis en position de vulnérabilité ? Il y a effectivement tout un champ éthique qui s'ouvre et ne doit pas être occulté mais qui sort du champ purement scientifique et technologique. C'est le domaine du législateur et de la société dans son ensemble qui doit établir des règles.

Article publié le 13/09/2017 à 01:25 | Lu 3890 fois