L’Espace de Réflexion Éthique sur la Maladie d’Alzheimer (EREMA) a été lancée le 10 décembre dernier

Le vendredi 10 décembre dernier, dans le cadre de la Journée internationale des droits de l’homme, le plan Alzheimer initié en 2008 a franchi une nouvelle étape avec le lancement de l’EREMA. Cet espace de réflexion, en posant un caractère national, dédié à une maladie en particulier, constitue une première en France.


Ce nouveau site collaboratif s’adresse à toutes celles et ceux qui sont confrontés, de près ou de loin, à la maladie d’Alzheimer : proches de malades, personnel soignant ou encadrant… Il vise à porter au plus grand nombre les évolutions de cette réflexion éthique mais aussi à devenir une source exhaustive de ressources pédagogiques et documentaires.

Plus concrètement, de quoi s’agit-il ? D’une démarche nationale et inédite visant à apporter une réponse sociétale à la maladie d’Alzheimer, aux côtés des nécessaires avancées médicales. Dans cette optique, il implique des personnalités du milieu associatif et du monde de la Santé coordonnées par le Professeur Emmanuel Hirsch (Directeur de l’Espace éthique / AP-HP).

A terme, cet espace a vocation à devenir « un espace référent permettant de dynamiser les réflexions liées au bien-vivre du malade et de ses proches, de servir de lieu de ressources pédagogiques et documentaires, ainsi que d’orchestrer des rencontres entre les principaux acteurs concernés » assure le communiqué.

Dans un contexte épidémiologique sensible, en dépit des efforts de recherche –850.000 personnes malades et 225. 000 nouveaux cas par an–, l’EREMA vise à contribuer à apporter une réponse sociétale pour les années à venir, avant tout soucieuse de la dignité du patient.

Le site web collaboratif Grand Public : www.espace-ethique-alzheimer.org

Editorial de Catherine Ollivet, Présidente de France Alzheimer 93, Coordonatrice du Groupe de réflexion « Éthique et Sociétés - Vieillesse et vulnérabilités », Espace éthique/AP-HP, membre du comité de pilotage de l’EREMA

Plus que jamais homme, dans la vulnérabilité

Pour bénéficier et même revendiquer ces droits de l’homme promulgués le 10 décembre 1948 et évoqués le 10 décembre 2010 dans le cadre de l’ouverture de l’EREMA, encore faut-il pouvoir « être », se sentir être, se reconnaître être homme. Et pourtant.

Comment « être » quand je ne sais même plus qui je suis ?

Les symptômes de certaines maladies neurologiques dégénératives peuvent me priver peu à peu de mes capacités de connaître mon nom de femme mariée depuis 45 ans, de retrouver le prénom de mes enfants, de me reconnaître au point même de ne plus savoir qui peut bien être cette personne que je vois dans la glace en face de moi. Mais bien avant d’en arriver à ce stade de mes pertes cognitives, comme disent les savants, comment puis-je encore être quand mon identité même disparaît ?

Si je suis atteinte d’une maladie d’Alzheimer, et que je vis chez moi, je conserve toujours mon identité : je reçois des courriers à mon adresse, des factures à mon nom, ma taxe d’habitation qui m’affirme mon lieu de vie, les lettres de mes petits-enfants qui commencent par « ma bonne maman », et tant d’autres détails de la vie quotidienne, éléments précieux pour continuer encore et toujours à me reconnaître.

Pour mon médecin qui me fait un MMSE* afin d’évaluer mes capacités cognitives, je suis atteinte d’une « démence », mais pour mon voisin de pallier, je suis « complètement folle » car il m’arrive parfois de sortir faire mes courses à 2 heures du matin, de me tromper de porte à mon retour et d’être très en colère en constatant que ma clé n’arrive pas à ouvrir… sa porte.

Mon médecin me dirige vers un neurologue pour établir un diagnostic différentiel qui me permet de devenir une « Alzheimer », « un corps de Lewi » ou « une démence fronto-temporale ».

Si je dois être hospitalisée, je suis nommée « patiente » avec un numéro de Sécurité sociale, mais je vais devenir en même temps, une « usager d’un établissement sanitaire » dans lequel des « représentants des usagers » s’efforcent de faire progresser la qualité de ma prise en charge.

Si mon retour chez moi est devenu impossible, je vais tout à coup, par la grâce de mon entrée en EHPAD, devenir une « résidente » et une « dépendante » puisque telle est la signification du « D » de EHPAD. Si j’ai de la chance, les plus subtils et respectueux m’appelleront peut être « en perte d’autonomie » pour paraître moins péjoratifs.

Pour l’évaluatrice du Conseil Général, je serai « une GIR 2 », ce qui me permettra d’être une « bénéficiaire » de l’APA en établissement d’accueil.

… Et mon mari dira : « pour Noël, j’ai offert à notre petit fils un appareil qui projette la voûte céleste au plafond de sa chambre. Je lui apprends les étoiles, la Grande Ourse, la Petite Ourse et Cassiopée ... Mais il y en une qui n’a pas de nom officiel, plus brillante que les autres pour moi. Elle jette ses éclats alors qu’elle est un astre mort depuis longtemps, c’est ma femme. »

… Et ma fille dira : « Elle pique de saintes colères parfois. C’est difficile parce que, soit je ne comprends pas pourquoi elle est en colère, soit elle me refuse ainsi quelque chose qui pourtant serait bien bénéfique pour elle… mais ses saintes colères, c’est elle, c’est ma maman ! »

Qui suis-je donc devenue ?

Comment concilier ma vérité d’homme aux mêmes droits théoriques que tous les autres, avec cette nécessité de m’accorder des droits supérieurs, des droits élevés à la hauteur inverse du gouffre de ma faiblesse, répondant à mes besoins particuliers d’homme souffrant, sans faire de moi un être à part, un autre différent, trop différent peut être ; un être aux multiples identités sous le regard pourtant bienveillant des uns et des autres, mais un être sans nom ?

Comment affirmer encore mes « droits de l’homme », lorsque la maladie fait éclater ma personnalité, mes comportements, mes souvenirs, mes amours, mes valeurs, tout ce qui faisait mon « moi », connu et reconnu par mes proches aimants, mes amis, lorsque tous ces professionnels médicaux, soignants, sociaux, administratifs, ce nouvel entourage gravitant autour de ma nouvelle personne devenue vulnérable, me fait exploser en une myriade de tout petits éclats d’astres inconnus, tournoyant follement dans une voûte céleste en plein « big-bang » ?

Qui me permettra de redevenir à nouveau unique ? La mort peut être, dans laquelle à jamais, je resterai pour ceux qui m’aiment, ce que j’ai été, dans cette incomparable vertu de l’adieu, ou à Dieu, qui pare alors la personne décédée de tant de qualités. Qui me permettra de redevenir moi ? Les progrès de la recherche médicale peut-être ? Ils apparaissent si lointains.

Je porte bien plus d’espérance, dans cette quête de valeurs et de repères éthiques que je rencontre chez des professionnels soignants de plus en plus nombreux, et chez bien d’autres témoins de notre société, du plus grand intellectuel philosophe, à la plus modeste bénévole d’une association qui, chacun avec leurs mots, affirment : « tu es… toi, toujours homme, plus que jamais homme dans ta vulnérabilité. »

*Mini Mental State Evaluation

Publié le 14/12/2010 à 10:47 | Lu 2266 fois