Information pauvre et prise de parole des plus âgés, chronique de Serge Guérin

Pour mieux expliciter la difficulté d’intervention dans l’espace public des plus âgés, on peut recourir au concept de l’information pauvre, développée par la chercheuse américaine Elfreda Chatman. La Théorie de l’information pauvre marque les publics ou les espaces (comme les prisons) qui ne bénéficient pas de la même richesse, qualité et diversité d’information que les autres acteurs. Les personnes concernées tendent à se satisfaire d’un système d’information toujours plus réduit, toujours moins complexe et nuancé.


La maison de retraite, peut aussi se définir comme un lieu d’information pauvre. C’est un espace de communication difficile à pénétrer et appréhender, et encore peu exploité.

Pourtant, depuis plus de 25 ans, des initiatives se sont développées pour permettre aux résidents de s’exprimer à travers de multiples formes, y compris par des journaux d’établissement, pris en charge parfois conjointement par la direction et les résidents eux-mêmes. Ces initiatives proviennent d’acteurs convaincus que la vie en maison de retraite pouvait constituer l’opportunité d’une vie sociale et d’un nouveau parcours sur le chemin de l’évolution personnelle.

Le Conservatoire francophone des journaux d’établissements pour personnes âgées, créé en 1988 par une équipe de gérontologues et d’enseignants menée par Hélène Reboul, a cherché à constituer un fond de ces journaux et à aider à l’apprentissage de la réalisation de ces supports à travers l’organisation de formations.

Ces journaux sont une façon pour les résidents de rappeler et d’affirmer qu’ils restent des acteurs autonomes. La prise de parole par le biais d’un média, de rencontres ludiques (chants, soirée poème, atelier conte…) ou d’échanges avec d’autres publics participe toujours d’un exercice de citoyenneté. La personne âgée est d’abord, tout simplement, une personne qui a le droit de s’exprimer par les voies et moyens dont elle peut disposer.

Notons aussi l’expérience d’Antirouille. Lancée par Renate Gossard, par ailleurs fondatrice des « Panthères Grises » françaises, une organisation à forte résonance médiatique mais aux effectifs confidentiels, ce trimestriel se positionnait alors comme un magazine de proximité réalisé par les seniors eux-mêmes.

Magazine bon enfant qui ne se prenait guère au sérieux, Antirouille entendait construire un discours plus ludique et plus informel que celui auquel on pourrait s’attendre vu l’âge des protagonistes. Par ailleurs, Antirouille se distinguait de ses confrères par la place donnée à l’expression directe des acteurs. On y trouvait aussi bien des associations de défense des retraites que des paroles de résidents de maisons de retraite.

Volontairement, le titre conservait dans sa première version un aspect « potache », qui contribue à l’inscrire dans un genre rédactionnel inauguré par la presse jeune, à savoir les fanzines. Rappelons que le premier magazine national destiné aux lycéens, créé, dans les années 70, par de jeunes journalistes indépendants, avait pour nom… Antirouille. Le hasard sémantique ne frappe pas plus au hasard que les autres…

Alors qu’Orange vient de proposer un ordinateur dédié aux seniors, signalons que de nombreux retraités ou plus généralement personnes âgées ont recours au web (sites, blog, forum) pour s’exprimer. Internet, totem de la modernité et de la jeunesse ne se situe pas hors du vécu des seniors ! Si une majorité utilise le blog pour traiter de la vie quotidienne, d’une passion ou pour créer du lien social et faire surgir des communautés sociales et générationnelles, il en est qui n’hésite pas à faire de ce mode d’expression, un espace de défense et de revendication au service des plus âgés. Dans les deux cas, ce sont en majorité des individus, mais il existe aussi des collectifs qui entendent se regrouper, intervenir et interpeller l’espace public.

La diversité des médias s’adressant aux seniors est croissante. Pour autant, la prise de parole autonome des seniors recouvre des réalités polymorphes et encore peu institutionnalisées. Elle apparaît cependant croissante. On peut ainsi s’interroger si l’arrivée d’une population encore plus au fait des possibilités d’intervention dans le débat et dans la sphère ne va pas contribuer à faire évoluer le regard des médias sur les problématiques seniors et contribuer à faire émerger des supports plus offensifs ?

Serge Guérin
Professeur à l’ESG
Vient de publier La société des seniors Editions Michalon
Information pauvre et prise de parole des plus âgés, chronique de Serge Guérin

Publié le 12/05/2009 à 02:16 | Lu 2010 fois