Héros de conduite : deux ouvrages sur la mythologie grecque

Par son statut d’être à part, le héros grec a vocation à faire de son action une puissance de sens et à utiliser son énergie pour déjouer l’engluement de l’existence. Il est l’archétype du combattant pour « la vie bonne », c'est-à-dire, celle qui coïncide avec l’harmonie du monde. Il est celui qui fait face à l’absurdité de la vie en pleine conscience. Sa proximité avec les dieux, il en est souvent un des rejetons, lui permet d’appréhender l’éternité en la suspendant dans l’ici et le maintenant.


Cette philosophie de la vie est mise en perspective par le nouvel essai de Luc Ferry qui prolonge « Apprendre à vivre ». (1)

Avec sa pédagogie érudite et accessible à tous, il retrace l’histoire de la mythologie grecque et la place résolument dans une philosophie dont il est difficile de ne pas souscrire.

Car « la mythologie, écrit-il, n’en est pas moins d’abord et avant tout une philosophie encore « mise en récit », une tentative grandiose en vue de répondre de manière laïque à la question de la vie bonne par les leçons de sagesse vivantes et charnelles, habillées de littérature, de poésie, et d’épopées plutôt que formulées dans des argumentations abstraites ».

L’ouvrage de Luc Ferry montre bien que la mythologie est une explication cohérente et allégorique du monde, que les découvertes scientifiques ne remettent pas fondamentalement en cause.

On le voit bien aujourd’hui dans les préoccupations écologiques où l’homme ne doit pas désorganiser l’harmonie du monde, sauf à ce que celle-ci se retourne contre lui.

Le message que nous délivre le philosophe est là, dans cet appel à la réconciliation des deux principes antagonistes : la Nature et la nature humaine. Il faut donc des héros pour nous montrer le chemin. Eux ont le courage de se lever et de chasser l’hybris, cette façon démesurée et arrogante de dominer le monde.

Luc Ferry nous conte l’épopée de quelques uns : Prométhée, Thésée, Ulysse etc. Ils ont en commun d’élever leur finitude en un point d’excellence. Leur héroïsme, au-delà de leurs singulières aventures, est de se libérer des liens de leurs peurs, comme la mort ou l’exil.
Héros de conduite : deux ouvrages sur la mythologie grecque

Héros de conduite : deux ouvrages sur la mythologie grecque
Vincent Delecroix, lui, s’attache au héros de « l’Iliade », Achille. Il en fait un récit intime, non seulement pour son héros mais aussi pour le lecteur, peut-être parce qu’il prend celui-ci à partie : « (…) votre innocence est absolue vous êtes en compagnie des héros. Ce qui se donne à vous, est une pure humanité (…). C’est une langue que vous n’avez jamais parlé, mais elle est limpide et c’est comme si vous l’aviez comprise ».

Il faudrait tout citer, tant ce livre est splendide : il touche, il brûle, tant Achille est profondément humain. Rarement, la condition humaine est ainsi détaillée avec acuité : « La soif de destruction n’est pas seulement en Achille comme l’exemple pur de la sauvagerie qui sommeille en tout homme : elle signale la condition mortelle et la loi du monde. Il pousse à son extrémité absolue la fragilité de toute chose, sans autre foyer que le foyer brûlant de la guerre, il n’a rien bâti mais tout ruiné, n’a fondé aucune famille véritable qu’un fils lui aussi déchainé, n’a modelé que la plus fugace, le plus évanescent de toutes les choses du monde : des actions, des exploits et des paroles, a confié sa vie à cela, comme pour dire : ne vous trompez pas, tout est de cette consistance, volatil, ténu, toujours livré à l’univers, puissance de la disparition, mais l’éclat bref de cette poussière lumineuse des actes et des paroles, l’existence, est intense et aveuglant, il troue la nuit ».

Peu avant la dernière ligne de son livre, Vincent Delecroix délivre au lecteur cet avertissement : « Vous tenir droit n’est pas facile ; la main de l’autre n’est pas de trop, fût-elle de papier ». La main de Vincent Delecroix assurément.

(1) Editions Plon, 2006

La sagesse des mythes
Luc Ferry
Editions Plon
394 pages
20,90 euros

Tombeau d’Achille
Vincent Delecroix
Editions Gallimard
(collection L’un et l’autre)
163 pages
16.50 euros

Publié le 16/02/2009 à 10:32 | Lu 5124 fois