Hausse de la CSG et remarques sur les représentations sociales des retraités par Serge Guérin

Les retraités se mobilisent dans la rue ce 15 mars. Cette alerte sociale survient dans un moment où la tentation d’opposer aux jeunes, les retraités « privilégiés » qui « osent » se plaindre apparaît croissante dans l’espace public. Le point de vue de Serge Guérin.





Hausse de la CSG et remarques sur les représentations sociales des retraités par Serge Guérin
Le président Macron, qui doit largement sa qualification au 2ème tour de la présidentielle aux seniors, puis aussi sa victoire, au-delà d’un projet nécessaire de réforme structurelle des retraites, joue de l’opposition « retraités versus actifs ».
 
En témoigne le discours à propos de la hausse de la CSG pour les retraités les plus « aisés » (soit une pension nette égale ou supérieure à 1.289 euros par mois pour les retraités de moins de 65 ans et de 1.394 euros pour ceux de plus de 65 ans …) qui selon le rapport du député En Marche Joël Giraud, ne sera pas du tout compensé par les baisses de taxe d’habitation pour 2,5 millions de retraités, et seulement en partie sur le moyen terme pour 4,5 millions d’entre eux.
 
Si cette hausse est parfaitement légitime pour les retraités réellement aisés et devrait participer d’une approche de redistribution solidaire, le socle choisi apparaît trop bas et le discours associé assez peu bienveillant. Rappelons surtout que ces décisions s’appuient sur des représentations dépassées des seniors et sur une vision contestable des disparités sociales entre les générations.
 
Ces représentations restent au niveau d’une vision productiviste de la société sans mesurer combien les retraités sont impliqués dans les solidarités familiales et de proximité, matérielles et informelles, mais aussi dans le tissu associatif ou encore dans la vie des communes. Sans compter l’apport des quatre millions d’aidants bénévoles d’un proche (ce qui représente l’équivalent de 80 Mds€ d’économie pour les budgets de santé publique).
 
Concernant la montée en épingle de l’opposition entre « jeunes pauvres » et « vieux riches », signalons simplement l’hétérogénéité de situations entre les 16 millions de retraités : l’origine sociale et géographique et la situation patrimoniale à la naissance, comme les parcours de vie, y jouent un rôle majeur.
 
La lutte des âges ne saurait cacher la question sociale qui traverse toutes les générations. Une donnée suffit à rappeler cette réalité sociale : l'espérance de vie des hommes à la naissance est de 13 ans supérieure pour les 5% les plus aisés, par rapport aux 5% les plus modestes. L'écart chez les femmes est un peu moindre : 8,3 ans. Encore plus que la différence de diplôme ou de localisation géographique (même si les écarts sont forts entre les Hauts de France et l’Ile de France et l’Occitanie), le pouvoir d’achat apparaît comme la clé d’explication majeure.
 
Face à la question sociale, signalons aussi que selon le Comité d’Orientation des Retraites, le maintien du pouvoir d’achat des retraités ne s’explique aujourd’hui que par un effet de noria (les nouveaux retraités ont eu des carrières mieux rémunérées et pour les femmes, plus souvent déclarées que les personnes très âgées). En dehors de cet effet, depuis 1992, un cadre de 85 ans a déjà supporté une baisse de 10% de son pouvoir d’achat et un non cadre, une perte de 2% à 7%.
 
Rappelons aussi que le discours voulant que le niveau de vie des retraités soit de 10% supérieur aux actifs est discutable… Au-delà du fait qu’il n’est pas anormal que des personnes justifiant de 40 ans de travail puissent avoir des revenus supérieurs à d’autres qui n’ont pas encore commencé dans la vie active, si l’on enlève la génération la plus jeune des actifs, le niveau de vie devient équivalent.
 
En termes de revenus médians, selon l’Insee, il est de 15.500 euros pour les moins de 55 ans contre 15. 410 euros pour leurs aînés (et même de 14.870 euros pour les 65-74 ans et 14.120 euros pour les plus de 75 ans). Nous voici donc bien loin du mythe des riches retraités…
 
Plutôt que de vouloir créer une lutte des âges mortifère, l’enjeu serait de donner la parole et d’accompagner l’action des personnes fragilisées, quelque que soit leur âge, par leur situation de santé comme leur situation d’emploi et de formation.
 
Plutôt qu’inventer une pseudo lutte des âges, nous avons besoin plus que jamais, d’une intergénération active et solidaire pour tisser et retisser le lien social et faire de la prévention, adaptée aux différents publics, un sujet majeur pour réussir la société de la longévité.
 
Serge Guérin, sociologue.
Professeur à l’INSEEC où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé.
Co-auteur de « La guerre des générations aura-t-elle lieu ? », Calmann-Lévy. Publie prochainement avec Dominique Boulbès « La Silver économie », La Charte Publisching

Article publié le 14/03/2018 à 02:00 | Lu 2664 fois