Harry Brown : un justicier –senior- dans la ville (film)

Sir Michael Caine, 76 ans, revient sur le devant de la scène dans le dernier film de Daniel Barber : Harry Brown, un long-métrage qui met en scène un ancien marine à la retraite qui, suite à l’assassinat de son vieil ami Leonard, décide de faire du « nettoyage » dans un quartier mal famé de Londres. Attention, papi fait de la résistance et ça déménage… En salles aujourd'hui.


Après Clint Eastwood, grand-père à la retraite qui venait en aide à une famille Hmong dans son somptueux long-métrage Grand Torino, c’est au tour du formidable acteur anglais Michael Paine d’endosser le rôle d’un justicier senior.

Comme quoi le cinéma commence à évoluer et mettre en scène de plus en plus régulièrement des personnages de retraités… plus qu’actifs !

L’histoire :

Ancien marine à la retraite, Harry Brown (Michael Paine) vit dans un quartier difficile de Londres. Témoin de la violence quotidienne engendrée par les trafics de toute sorte, il évite soigneusement toute confrontation et invite son vieil ami Leonard à en faire de même.

Le jour où l'inspectrice Frampton lui annonce le meurtre de Leonard, Harry, dévasté, ne peut que constater l'impuissance de la police. Un soir, en rentrant du pub, il se retrouve face à un junkie qui le menace d'un couteau. Malgré les effets de l'alcool, Harry va retrouver ses anciens réflexes... Dans un film dur et sombre

Harry Brown : cette fois, c’est personnel

Pour Michael Caine, le personnage d’Harry Brown et le monde dans lequel il vit faisaient écho à des souvenirs personnels. Comme Harry, Caine est un ancien soldat - il a combattu en Corée.

Il a par ailleurs, lui aussi, grandi dans l’East End de Londres, en bordure du Heygate Estate, au sud de l’intersection The Elephant and Castle, où ont été tournées plusieurs scènes clés du film. Il explique : « Avec ce rôle, j’ai le sentiment de revivre nombre de mes propres expériences. J’ai vécu dans les cités, dans un environnement difficile. J’ai grandi dans une famille pauvre, et j’ai été soldat. Aujourd’hui, je m’engage dans des rôles plus difficiles, et celui-ci l’était tout particulièrement. Le film expose une situation dramatique qui me touche beaucoup, à savoir la façon dont les choses tournent pour notre jeunesse. Nous avons tourné à The Elephant and Castle, où j’ai grandi. Je viens de passer trois semaines sur les lieux de mon enfance, à discuter avec les jeunes dont parle ce film, et il est évident qu’il s’agit là de notre échec, en termes d’éducation, de famille, à tous les égards. Nous avons échoué avec ces gosses. »

L’acteur confirme que le film met en lumière l’un des problèmes majeurs de la société britannique contemporaine : «Il traite de la violence, des raisons pour lesquels ce monde est si violent. A l’image d’Harry Brown, le personnage que j’incarne, on comprend comment des personnes innocentes deviennent des criminels, simplement pour se défendre. on lit constamment dans les journaux ce genre de titres : « La police arrête un homme qui se défendait » ou « Un homme abattu en tentant de se défendre. » Je ne vis plus dans cet environnement social défavorisé mais pour y avoir grandi, je le comprends très bien. »

Kris Thykier, le producteur du film, se rappelle : « Daniel m’a raconté une histoire lors de notre première séance de travail. Il vivait dans une cité, à Londres, lorsqu’il était au collège, et il m’a expliqué que le passage du scénario auquel il s’était le plus identifié était le moment où Harry tire un rideau pour voir un voisin victime d’une agression raciste. Que faites-vous dans un tel cas ? Vous vous ruez dehors pour vous interposer ? Vous intervenez ou vous tirez le rideau ? »

Daniel Barber confie : « C’est vrai, on voit de la violence dans ce film, mais elle n’est en rien montrée sous une lumière séduisante, elle n’est pas stylisée. Ce n’est pas un film pro-autodéfense comme l’est Un Justicier dans la ville. La violence, dans ce film, naît d’une situation bien précise et elle est traitée de façon très prosaïque grâce au talent de nos comédiens. Le fait que nous ayons à nos côtés l’un des plus grands acteurs de l’histoire du cinéma est un témoignage éloquent. Michael estimait qu’il était important pour lui d’y figurer, et nous l’avons entouré d’acteurs aux capacités très vastes.

« Je ne suis pas une personne violente, loin de là, mais c’est une histoire formidable, et je suis ravi que notre héros soit un homme de 76 ans dont on penserait qu’il ne ferait pas de mal à une mouche. A mes yeux, ce film a pour toile de fond un ensemble de problèmes très graves. Bien sûr, nous pouvons tous prétendre que notre problème principal est aujourd’hui l’état de notre système bancaire, mais c’est de la connerie. L’un de nos plus gros problèmes, et je ne le dis pas parce que je réalise ce film, c’est la montée de la violence et des crimes liés à la drogue, dans ce pays. C’est un problème extrêmement grave
. »

Et l’acteur –anoblit- de poursuivre : « Je m’inquiète avant tout en tant que père. J’ai un fils, et lorsqu’il sort, je ne suis pas à l’aise. Quand j’avais son âge et que je sortais, mes parents savaient que je rentrerais sans encombre. Aujourd’hui, des gosses peuvent vendre de la drogue et gagner 2.000 livres par jour, alors à quoi bon chercher un métier normal ? »

Violence et désespoir : un western urbain

Michael Caine, dont le rôle rappelle inévitablement certains des grands rôles qu’il a interprétés, comme ceux de Jack Carter ou d’Harry Palmer, estime que Harry Brown peut se voir comme un western urbain. « Je le considère comme un western, comme l’était d’ailleurs le court-métrage de Daniel, The Tonto Woman », explique-t-il. « Il décrit la réalité telle qu’elle est, c’est pour cette raison que nous sommes là. Nous n’exposons pas la violence pour l’encourager mais pour en rendre compte, pour vous dire qu’elle est bien réelle et que, quelle que soit votre répulsion à son égard, vous l’avez générée. Vous êtes les coupables, vous avez construit ces écoles, ces immeubles, vous avez abandonné vos enfants, vous êtes coupables. Tout le monde. on m’a demandé si le film était comparable à Un Justicier dans la ville, et la réponse est non, en aucun cas. on est ici en présence d’un vieil homme qui n’a pas la moindre envie d’agir ainsi, qui cherche à fuir ces événements. Il vit dans un monde violent et, en ce sens, le film fait penser à un western urbain. »

Le réalisateur Daniel Barber confirme : « Ce film est un western urbain. Il met en scène un homme qui finit par s’en prendre à la jeunesse et au mal qui sévit dans son environnement. Ca pourrait être n’importe qui, vous et moi, mais le fait qu’il s’agisse d’un vieil homme m’intéressait particulièrement. En fin de compte, notre héros n’a plus rien à perdre. sa femme est morte, son meilleur ami est mort et lui-même arrive au terme de sa vie

L’actrice Emily Mortimer, qui incarne l’inspecteur Frampton, l’officier de police qui mène l’enquête sur les meurtres commis dans le film, apprécie également ce sentiment de réalité cruelle digne du Far West. « C’est un monde comparable, dur et froid » explique-t-elle. « Certaines séquences ont le caractère épique des scènes tournées dans l’ouest américain. »

Alors que le film atteint son paroxysme, le personnage de Mortimer est impliqué dans une scène extrêmement violente tournée dans un pub aux allures de vieux saloon poussiéreux. « Cette scène vous évoquera plus que toute autre le Far West, elle est tournée à l’ancienne, au fin fond d’un quartier plutôt louche, dans un vieux saloon. Lorsqu’elle s’achève, les cadavres jonchent le sol de ce pub sinistre. » Elle poursuit : « J’ai regardé l’écran et j’ai pensé à un tableau d’Edward Hopper, sobre, étrange, très froid. J’espère que ce ton s’intégrera bien au film. »

La genèse : un conte prend forme

Le réalisateur se rappelle de sa réaction à la première lecture du scénario : « J’ai trouvé l’histoire très intéressante, elle aborde une multitude de problèmes auquel le pays est aujourd’hui confronté. J’étais enchanté à l’idée de raconter une histoire contemporaine. En plus d’être une bonne histoire, Harry Brown possède une certaine dimension politique, il traite d’une foule de problèmes sociaux, c’est une chose qui m’attirait beaucoup. »

Un seul acteur pouvait interpréter le rôle principal. « Le rôle d’Harry Brown exigeait un homme reconnu et imposant, mais qui devait également paraître vulnérable, sinon fragile. Il nous fallait une icône. Je pense que toutes les personnes impliquées à ce stade du projet savaient que seul Michael Caine pourrait incarner le personnage d’Harry Brown

N’avoir qu’une option à l’esprit pour le rôle principal peut mener un projet à sa perte avant même ses premiers pas. Pourtant, après avoir lu le scénario, Caine n’a pas tardé pas à accepter la proposition. Une fois encore, c’est la force du récit et l’importance du sujet traité qui susciteront son adhésion.

Selon Caine, certaines répliques du scénario ont un écho bien particulier : « Je dois dire qu’à la lecture du scénario, je me suis demandé si l’auteur n’avait pas espionné certaines de mes conversations ! C’est toujours cette vieille rengaine : qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez nos jeunes ? C’est une question récurrente, les anciens comme moi ont l’habitude de se demander ce qui cloche chez les jeunes, et ces mêmes jeunes finissent par s’en sortir. Hélas, ce ne sera pas le cas de la prochaine génération. Ils ont des armes, désormais, et la drogue est bien trop présente. Il nous est tous arrivé de sortir et de picoler jusqu’à plus soif, mais quand vous êtes ivre, vous ne sortez pas poignarder quelqu’un, vous vous affalez par terre. Cela dit, Harry Brown est un ancien soldat, tout comme moi. Et il a grandi dans le même quartier que moi. Je comprenais donc parfaitement bien le personnage. »

Une Angleterre brisée : le monde d’Harry Brown

Durant l’ensemble du projet, l’équipe du film travaille en étroite collaboration avec la police de Londres, qui leur révèle de bien désagréables vérités. « La violence empire dans notre société, et elle continuera de le faire », explique Daniel Barber. « La conseillère d’Emily Mortimer m’a raconté le cas d’un garçon qui a vendu pour 15 livres de cannabis à des jeunes. Ceux-ci ont finalement voulu récupérer leur argent et ont décidé de mettre le feu à sa maison. Ils ont tué sa mère et sa sœur, pour 15 livres ! Et croyez-moi, cela n’a rien d’inhabituel. »

Mortimer explique quant à elle : « L’inspecteur de police avec qui je travaillais me racontait que la violence devient synonyme d’honneur et que le fait de tuer quelqu’un ou de lui faire beaucoup de mal ne paraît plus si grave, aux yeux de certains, qu’autrefois. Le film semble donc particulièrement pertinent. »

Caine, quant à lui, pointe du doigt l’effondrement de l’unité familiale et estime que l’éducation est la clé de tout : « La famille est aujourd’hui en échec, le père est trop souvent absent. Interrogez n’importe lequel de ces délinquants, dans neuf cas sur dix, ils vous diront que leur père est parti. Ils n’ont plus l’exemple de la figure paternelle, l’autorité responsable du père, et c’est là que tout commence. Je pense aussi à l’éducation, qui est en faillite dans ce pays. Ce film est dur et sombre, mais j’espère qu’il permettra à chacun d’ouvrir les yeux ».
Harry Brown, DR

Publié le 19/01/2011 à 11:39 | Lu 2424 fois





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