Goutte : de nouvelles données dans la prise en charge de cette pathologie chronique

La goutte est une pathologie principalement associée à une hyperuricémie chronique. En l’absence de prise en charge, elle peut évoluer vers des complications sévères avec une destruction articulaire et osseuse, voir une néphropathie pouvant conduire à l’insuffisance rénale. Enfin, la goutte et l’hyperuricémie constituaient un facteur de risque cardiovasculaire. Faisons le point sur cette maladie avec l’étude Cactus.


1/ La goutte


Définition

Depuis l’Antiquité, à laquelle remonte l’identification de la maladie, la définition de la goutte n’a cessé d’évoluer au cours du temps et particulièrement ces dernières décennies. En effet, d’une définition axée uniquement sur la crise de goutte et l’aspect inflammatoire, on parle aujourd’hui de façon plus globale d’une maladie chronique multi systémique.

Physiopathologie

La goutte résulte d’une hyperuricémie chronique. On distingue la goutte primitive (90% des cas) et la goutte secondaire (insuffisance rénale, hémopathies, origine iatrogène/diurétiques et chimiothérapie principalement).

Au delà de l’hyperuricémie qui représente le facteur de risque majeur dans l’apparition d’une goutte, de très nombreux facteurs de risque de goutte ont été identifiés, chez l’homme et chez la femme, dans des études épidémiologiques prospectives : facteurs génétiques, facteurs alimentaires, consommation d’alcool, syndrome métabolique (incluant hypertension et obésité, insuffisance rénale chronique et médicamenteux/diurétiques11….

Evolution

La goutte est une maladie de surcharge (due à l’accumulation des cristaux d’urate) qui évolue dans le temps et qui peut s’aggraver en l’absence d’une prise en charge adaptée. Avant la survenue de la première crise de goutte, l’hyperuricémie peut rester asymptomatique pendant une longue période au cours de laquelle les cristaux d’urate
peuvent s’accumuler et se déposer de façon silencieuse dans les articulations, sans que le patient n’ait de symptôme.

De façon imprévisible, parfois liée à un excès ou à des facteurs extérieurs, les microcristaux d’urate présents dans l’articulation précipitent et provoquent une crise aiguë de goutte à l’origine de douleurs souvent qualifiées d’atroces par le patient. Si l’hyperuricémie persiste, les crises de goutte peuvent devenir récurrentes, et de plus en plus sévères et handicapantes.

Puis, la phase chronique de la goutte s’installe, en général, après une dizaine d’années d’évolution. Elle se caractérise, d’une part par une atteinte poly-articulaire avec l’arthropathie goutteuse, et d’autre part par l’apparition de dépôts tissulaires appelés tophus. L’ensemble des articulations peut être atteint et le développement de tophus dans certaines localisations peut avoir des répercussions fonctionnelles importantes. La goutte n’est pas une maladie bénigne et lorsqu’elle est sévère, elle peut conduire à des complications graves.

Complications

A terme et en l’absence de prise en charge adaptée, la goutte peut évoluer vers des complications sévères.

Au niveau ostéo-articulaire, la goutte chronique peut se caractériser par une atteinte polyarticulaire destructrice, très invalidante pour le patient.

Au niveau rénal, la maladie peut être responsable de néphropathie uratique aiguë, de lithiases rénales et/ou de néphropathie goutteuse proprement dite. Toutes ces affections réunies sous le terme de « rein goutteux » exposent au risque d’insuffisance rénale, complication grave de la goutte.

Au niveau cardio-vasculaire, l’hyperuricémie et/ou la goutte constituent des facteurs de risque cardio-vasculaire indépendants:

- l’hyperuricémie précède l’HTA et le syndrome métabolique chez l’homme
- la goutte multiplie par un facteur 2 à 3 le risque d’infarctus du myocarde, y compris après ajustement des autres facteurs de risque souvent associés sur ce terrain.

Perçue à tort comme une succession de crises, la goutte est une pathologie chronique principalement associée à une hyperuricémie chronique. A terme et en l’absence de prise en charge adaptée, la goutte peut évoluer vers des complications, comme l’apparition de tophus, parfois sévères avec une destruction articulaire et osseuse, ou une néphropathie pouvant conduire à l’insuffisance rénale. Enfin, il a été récemment décrit que la goutte et l’hyperuricémie constituaient un facteur de risque cardio-vasculaire indépendant.

2/ Prise en charge de la goutte

Selon les experts de l’EULAR (European League Against Rheumatism), le traitement optimal de la goutte nécessite des mesures médicamenteuses et non médicamenteuses et doit être adapté en fonction : des facteurs de risques spécifiques (dont l’uricémie) ; du stade clinique ; et des facteurs de risque généraux.

Mesures hygiéno-diététiques

Le respect des mesures hygiéno-diététiques est essentiel dans la prise en charge de la goutte. La réduction de la consommation d’alcool, en particulier l’arrêt des alcools forts et de la bière (même sans alcool) est fondamentale dans la prise en charge de la goutte. La consommation de vin, avec modération, peut être acceptée. Le régime doit être pauvre en purines, c’est-à-dire pauvre en viandes, abats, crustacés et riche en protéines végétales et en laitages pauvres en graisses. Il faut également éviter au maximum les boissons sucrées riches en fructose, dont la consommation va croissante dans nos sociétés industrialisées. Selon des études récentes, la consommation d’aliments pauvres en graisses, de café et de vitamine C serait liée à un plus faible risque de développer une goutte.

Traitement de la crise aiguë

Lors d’une crise aiguë de goutte, le traitement vise à soulager rapidement le patient présentant une réaction inflammatoire locale à l’origine d’une douleur intense. La colchicine orale et/ou les AINS sont les traitements de première intention des accès goutteux aigus. La corticothérapie par voie orale peut être proposée dans certains cas particuliers. Enfin, le traitement de la crise associe l’immobilisation et le glaçage des articulations permettant de soulager le patient et de réduire la durée de la crise.

Traitement de fond

Le traitement de fond de l’hyperuricémie est différent du traitement des accès aigus de goutte. Selon les recommandations de l’EULAR 2006, un traitement de fond hypouricémiant est indiqué chez les patients ayant des crises aiguës de goutte récurrentes, une arthropathie, des tophus, ou des lésions radiographiques.

L’objectif thérapeutique d’un traitement hypo-uricémiant est d’entraîner la dissolution des cristaux d’urate et de prévenir leur formation. Cet objectif thérapeutique peut être atteint en maintenant une uricémie inférieure au seuil de saturation de l’urate de sodium. Chez le patient goutteux, la cible thérapeutique est une uricémie inférieure ou égale à 60 mg/l16.

Parmi les traitements hypo-uricémiants indiqués dans la goutte, on distingue les inhibiteurs de la xanthine oxydase, allopurinol et febuxostat et d’autres options thérapeutiques tels que les agents uricosuriques (probénécide et benzbromarone).

Un traitement préventif des accès goutteux aigus par colchicine et/ou AINS est recommandé pendant les premiers mois de traitement hypo-uricémiant car la diminution de l’uricémie entraîne la dissolution et la mobilisation des microcristaux dans les articulations et augmente le risque de crise de goutte. La durée de ce traitement préventif n’est pas codifiée, mais doit être au moins de 3-6 mois voire plus si l’hyperuricémie évolue depuis longtemps à un niveau élevé.

Toutefois, il reste nécessaire d’évaluer chaque cas dans son contexte pour adapter au mieux la prise en charge du patient goutteux.

Prise en charge des co-morbidités

La prise en charge des co-morbidités associées et des facteurs de risque cardio-vasculaire est primordiale. Toutes ces mesures visent non seulement à réduire l’hyperuricémie mais également à contrôler le syndrome métabolique associé (HTA, diabète, obésité, dyslipidémie).

3/ Epidémiologie

La goutte est la plus fréquente des arthrites inflammatoires de l'homme adulte et âgé. Elle semble être en augmentation ces dernières décennies dans les pays occidentaux, où elle affecte 1 à 2% de la population17.

Au Royaume-Uni, la goutte a augmenté dans une proportion de 0,3 à 1,0% de la population totale entre 1970 et 1990. Plus tard, entre 2000 et 2005, au Royaume-Uni et en Allemagne, le chiffre de prévalence de 1,4 % a été retrouvé en population générale. Une tendance similaire a été signalée aux Etats-Unis au cours des années 90, concernant en particulier les hommes âgés de plus de 75 ans chez qui les taux de goutte ont presque doublé, passant de 2,1% en 1990 à 4,1% en 1998.

La goutte est également devenue fréquente dans d'autres parties du monde comme la Chine, la Polynésie, la Nouvelle-Zélande et les villes d'Afrique sub-saharienne. Dans l'est de la Chine, où la goutte était considérée comme une maladie très rare, la prévalence a été estimée à 1,14% en 2008. En Nouvelle-Zélande, sa progression dans la population Maori est encore plus importante que dans la population européenne. En 1992, la prévalence de la goutte chez les Maori était de 6,4%.

Selon les spécialistes, les augmentations observées de la prévalence de la goutte semblent attribuables à des changements de régime alimentaire et de mode de vie, ainsi qu'à l'accroissement de la durée de vie, résultant en partie de l'amélioration des soins médicaux.

Les derniers travaux publiés sur la prévalence de la goutte et l’uricémie en France datent de 1981. L’étude portait sur la sous population des hommes actifs de moins de 45 ans et retrouvait une prévalence de la goutte de 1,1% de 35 à 39 ans et de 2% de 40 à 44 ans. Selon les estimations à partir des données étrangères, la goutte toucherait entre 600 000 et 800 000 personnes en France (comme Alzheimer env.). Quant aux données sur les caractéristiques des patients goutteux et leur prise en charge, elles sont en France très limitées voire inexistantes.

Le constat est que, malgré l’ancienneté de la maladie, connue depuis l’Antiquité, et l’existence de données limitées au niveau international, il persiste des lacunes encore plus importantes en terme de données épidémiologiques sur la goutte en France.

La goutte est l’arthrite inflammatoire la plus fréquente chez l’homme et son incidence est en forte augmentation depuis la fin du XXème siècle. Pourtant, si de récentes études épidémiologiques ont été menées sur cette pathologie, aucune n’a impliqué la France. C’est dans ce contexte que les laboratoires MENARINI et IPSEN ont souhaité mettre en place une étude épidémiologique française sur la goutte « CACTUS » afin de décrire les caractéristiques des patients goutteux, leur pathologie et leur prise en charge.

4. Cactus : prise en charge, caractéristiques patients, épidémiologie de la goutte en France

Face au manque de données épidémiologiques récentes sur la goutte en France, les laboratoires MENARINI et IPSEN ont mis en place l’étude épidémiologique CACTUS. L’objectif principal de CACTUS était de décrire en situation réelle les caractéristiques des patients atteints de goutte, leur pathologie, selon leur taux d’uricémie, ainsi que leur prise en charge. D’octobre 2010 à mai 2011, 2.812 patients atteints de goutte ont été inclus dans cette étude de façon consécutive par 857 médecins généralistes et 92 rhumatologues, et analysés.

L’étude épidémiologique CACTUS a permis de décrire les caractéristiques de 2.812 patients atteints de goutte et les modalités de leur prise en charge par les médecins généralistes et les rhumatologues.

L’étude CACTUS a montré en particulier les résultats suivants :

- une prédominance masculine chez les patients inclus (84%), avec un âge moyen de 64 ans, des antécédents familiaux de goutte (23%) et présentant des co-morbidités : obésité (47%), hyperlipidémie (58%), diabète de type 2 (22%), HTA (65%),
- une goutte (primaire dans 90% des cas) diagnostiquée depuis 4 ans en médiane,
- 2 crises d’arthrite goutteuse en moyenne au cours des 12 derniers mois (membres inférieurs : 94%) et au moins une lithiase urinaire chez 7% des patients sur cette même période,
- 86% des patients déjà sous traitement de fond de la goutte à l’inclusion (allopurinol principalement), avec une uricémie moyenne à 73mg/L. 79% des patients ont une uricémie > 60 mg/L, non conforme à l’objectif thérapeutique fixé en 2006 par L’EULAR (European League Against Rheumatism),
- une dernière crise de goutte traitée par colchicine (92%), AINS (36%) ou corticoïdes (1%) pendant 14 jours en médiane,
- des recommandations hygiéno-diététiques associées à la prescription médicamenteuse dans 97% des cas.

Sur un effectif très important de patients, l’étude CACTUS permet d’actualiser les données épidémiologiques françaises sur la goutte et sa prise en charge. Elle nous permet de constater que seul 21% des patients avaient une uricémie inférieure à 60 mg/L, correspondant à l’objectif thérapeutique actuel de la maladie, défini par le groupe
d’experts de l’EULAR (European League Against Rheumatism). Des efforts en termes d’éducation et d’amélioration de la prise en charge de ces patients doivent donc encore être développés.

Sur un effectif très important de patients, l’étude CACTUS permet d’actualiser les données épidémiologiques françaises sur la goutte et sa prise en charge. Elle nous permet notamment de constater que seul 21% des patients avaient une uricémie inférieure à 60mg/L, correspondant à l’objectif thérapeutique actuel de la maladie, défini par le groupe d’experts de l’EULAR (European League Against Rheumatism). Cette étude permet de sensibiliser sur l’importance de la prise en charge globale et au long cours de la goutte en tant que pathologie chronique.

Publié le 15/12/2011 à 09:15 | Lu 5665 fois